Tartuffe. Théâtre du Lucernaire

Tartuffe au théâtre du Lucernaire"Liberté incroyable et intacte : c’est ainsi qu’apparaît Molière près de 350 ans après sa mort" écrivait Philippe Sollers à l’occasion de la nouvelle édition des Oeuvres complètes du dramaturge dans la Pléiade (1). C’est tellement vrai : réécoutez Tartuffe, c’est un suc dont chaque vers vous délectera. Durant tout l’été, le Théâtre du Lucernaire en propose une représentation fort réjouissante.
La mise en scène de Philippe Ferran est adaptée à la salle du plateau : pas de décor spectaculaire ni d’amples mouvements tels que la grande scène de la Comédie-Française les autorise. Dans le Théâtre Rouge du Lucernaire, le spectacle repose sur la direction d’acteur et le talent des comédiens. Comme celle-là est habile et celui-ci au rendez-vous, deux heures durant on ne perd pas une miette de ce chef d’œuvre corrosif, au comique de tous les instants.

Tartuffe est, faut-il le rappeler, ce fieffé hypocrite, faux dévot et vrai séducteur qui s’introduit chez le naïf Orgon, le charme de ses doucereuses paroles et de ses pieuses poses, au point de recevoir de lui donation de tous ses biens, tout en cherchant, en coulisse, à obtenir les faveurs de son épouse…

Comme dans L’Avare, l’autoritarisme du père est rudement croqué, la fraîcheur et les élans spontanés venant des enfants. Mais c’est bien sûr la faux-culterie dans toute sa spendeur, que Molière applique ici à la dévotion, qui fait toute la saveur de la pièce.
Marc Chapiteau y fait un Tartuffe inattendu et un peu décalé, mais dont la suavité de la voix colle exactement au personnage. Jean-Paul Dubois est un Orgon parfait, calme, agaçant, attachant puis perdu. La scène de la dispute qu’il partage avec Dorine est un petit bijou, Patricia Varnay donnant à ce rôle de suivante tout le bagoût, l’aplomb et l’humour exigé par le personnage. Même bonheur avec Elmire l’épouse d’Orgon : Laurence Guillermaz va du grave au plus enjoué, mêlant les deux de façon très convaincante dans la scène des faux aveux avec Tartuffe.
L’on sort du spectacle enchanté, le rythme magnifique des vers de Molière résonnant encore en tête, mais aussi un brin songeur, car, pour citer à nouveau Philippe Sollers (1) "comment oublier les noms de ces merveilleuses marionnettes que vous retrouvez aujourd’hui dans la vie courante ?"

Tartuffe
De Molière
Mise en scène de Philippe Ferran assisté de Héloïse Martin
Avec Jean-Paul Dubois, Marc Chapiteau, Laurence Guillermaz, David Legras, Marine Segalen ou Patricia Varnay, Dominique Jayr, Hélène Gédilaghine, Cédrick Spinassou ou Bertrand Barré, Harold Girard, Walter Hotton
Le Lucernaire – Théâtre Rouge
53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris
Jusqu’au 11 septembre 2010
Du mardi au samedi à 21 h 30
Durée 2 h
Places de 15 à 30 €

(1) Le Nouvel Observateur du 27 mai 2010

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Le Palais Bénédictine. Fécamp

Le Palais Bénédictine à Fécamp, enluminuresA la fois palais Néo-Renaissance, musée et distillerie, le Palais Bénédictine est une curiosité de plus de cent ans d’âge à découvrir à Fécamp, sur la Côte d’Albâtre.

Le début de l’histoire remonte à 1863, lorsqu’un jeune homme nommé Alexandre le Grand (!) redonne vie à une vieille recette de liqueur inventée par un moine bénédictin de Fécamp au XVIème siècle. Il la baptise Bénédictine, dépose la marque, fait un habile usage de la publicité grâce notamment aux grands affichistes de l’époque, et voici l’affaire bien lancée, y compris à l’exportation.
Très vite, Alexandre le Grand se plaît à mêler les genres, exposant une collection d’œuvres d’art dans sa fabrique de spiritueux. Une veine qui depuis demeure : dans le drôle de palais, inauguré en 1900 après la mort du fondateur Alexandre, une aile abrite toujours un musée, tandis que dans une autre, la distillerie produit encore le précieux breuvage. Toutes deux valent la visite, qui s’enchaîne fort naturellement.

Palais Bénédictine, Christ en ivoireCôté art, le bâtiment est dans le goût de la fin du XIXème avec son style éclectique enchevêtrant Gothique et Renaissance, conçu par Camille Albert l’architecte de la ville de Fécamp. Y sont exposés des sculptures religieuses médiévales, des émaux, des ivoires, des albâtres, des vitraux, des manuscrits anciens, des sceaux et monnaies, une collection de ferronnerie, des lampes à huile romaines et même une petite pinacothèque ! Le parcours n’est pas bien long et permet, dans le calme absolu des salles dont le décor vaut à lui seul le coup d’œil, de détailler des petites pièces de haute qualité, tel un très beau Christ du XVIIème siècle taillé dans une seule défense d’éléphant, de somptueux livres d’heures enluminés des XV° et XVI° siècles, ou encore une sculpture en bas relief sur bois, marbre et ivoire, sorte de tableau de la Présentation au Temple daté du XVII°.

Dans la fabrique sont visibles de gros alambics de cuivre et grandes cuves. La célèbre liqueur (très prisée à l’étranger, dit-on) est élaborée à partir de plantes et d’épices (près de trente différentes), auxquelles on ajoute encore, après distillerie, du safran et du miel. On laisse vieillir en fûts de chêne une bonne année, on filtre, on embouteille… et on goûte… Verdict : puissante, complexe et très parfumée, avec un excellent équilibre entre amertume et sucré. Mais attention, la Bénédictine affiche tout de même 40°… La variante B&B, mélange de la précédente et de cognac est, elle, un peu plus forte, et beaucoup moins convaincante. Rien de tel que l’original.

Palais Bénédictine
110 rue Alexandre Le Grand – 76400 Fécamp
Ouvert TLJ sauf le 1er mai et le 25 décembre
Entrée 7 €

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La Malouinière de la Ville Bague

La chapelle Sainte-Sophie de la Malouinière de la Ville Bague, St MaloLoin des expositions parisiennes qui régulièrement tapissent les pages culturelles des journaux, et des vastes musées où s’engouffrent en longues grappes des touristes empressés, on tombe toujours sur quelque visite intéressante, porté ici ou là par sa curiosité ou par un bon conseil.

Ici, à Saint-Malo, notre hôte nous envoie découvrir la Malouinière de la Ville Bague.
En réalité, entre les remparts, les rochers de Rothéneuf, Dinard, Dinan et le Mont Saint-Michel, le programme ne nécessite aucun complément. Mais en province le temps s’étire d’une façon merveilleuse et, charmé par la grâce de quelque confiture maison, on finit par se rallier à la cause du patrimoine local. C’est ainsi qu’on se retrouve devant une grande maison de maître, au milieu d’une poignée de personnes âgées extrêmement enthousiastes.

Le gendre de la propriétaire actuelle fait office de guide et nous embarque pour 1 h 1/2 de visite historique, ambiance vieille famille-ouvrons nos armoires.
Comme leur nom l’indique, les Malouinières sont des villas typiques du pays Malouin : une centaine furent construites entre 1650 et 1730 autour de Saint-Malo, par des armateurs avides de grand air, mais aussi soucieux de vider leurs cargaisons hors la vue du percepteur, sans toutefois trop s’éloigner du port.
La Ville Bague date de 1715 ; un manoir la précédait, d’où l’existence dans son enceinte d’une chapelle et d’un pigeonnier de la 2ème moitié du XVIIème siècle. Construite par Guillaume Eon, elle en est pierres de pays enduites de crépi ; sa façade régulière est ornée de fenêtres encadrées de granit, sa haute toiture surmontée d’impressionnantes cheminées.

Dans le pigeonnier de la Ville Bague, le coffreDans la partie basse du pigeonnier, cartes anciennes, coffre ouvert avec un brin de cérémonial et armes que les visiteurs sont invités à soupeser.
Dans la demeure, on passe du salon à la salle à manger puis à quelques pièces à l’étage, en admirant la belle rampe de l’escalier. On réalise à quel point la visite d’une maison remplie de vieux meubles et objets, où vivent aujourd’hui des particuliers a quelque chose de profondément anachronique et décalé. Fait-on visiter son vaisselier, tâter ses toiles de Jouy capitonnées et admirer ses croûtes plus ou moins familiales ? C’est assez comique à vrai dire, mais l’ambiance ne se prête pas à ce genre-là.
Alors on se garde de tout second degré, on joue le jeu à fond et finalement les yeux sont plutôt contents. En bas, un papier peint panoramique de 1820 montre l’arrivée de Pizzare chez les Incas (tout un poème) : un papier peint aux couleurs magnifiques et qu’il est rarement donné de voir, issu de la manufacture Dufour et Leroy et classé Monument historique. A côté, dans la salle à manger où sont exposées des pièces de porcelaine et d’argenterie pas du tout repoussantes, le maître des lieux se plaît à nommer, pour le plus grand bonheur de ces dames, des objets devenus totalement inusités. A l’étage enfin, derrière des vitrines, d’adorables ivoires, tout petits objets sculptés par les marins. C’est fin, simple et joli, ça sent le temps long, la minutie, mais aussi la passion et une forme de solitude ; ça en deviendrait presque émouvant.

Malouinière de la Ville-Bague
35350 – Saint-Coulomb
Ouvert de Pâques à la Toussaint
Visites guidées à 10h30 (sur RV), 14 h 30 et 16 h
Fermé le mercredi sauf en juillet et août
Ouvert aux groupes toute l’année sur rendez-vous
Entrée 8 € (adultes)

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Nunzio. Spiro Scimone

Nunzio, de Spiro Scimone au LucernaireChaque fois que l’on monte tout en haut des marches du petit escalier pour accéder au Paradis, la surprise est la même : on a beau se souvenir que cette salle du Lucernaire est toute petite, on se demande, en y entrant, comment il est possible d’y faire cohabiter spectateurs et comédiens.
Et pourtant ! Les lumières s’éteignent, et la magie du théâtre s’allume. La pièce démarre et l’on oublie que nos pieds touchent la scène. Il y a le spectacle et, derrière une invisible frontière, il y a nous, public, et cela fait chaud au cœur de se trouver là ensemble ce samedi 3 juillet, jour où l’on apprend la mort de Laurent Terzieff. A l’entrée, une affiche annonce que le Théâtre est en deuil ; ouvreuses et spectateurs ne parlent que du disparu.
Mais the show must go on.
C’est donc parti pour 1 h 20 avec Nunzio, de l’Italien Spiro Scimone, dont on avait vu, en 2008 au Théâtre du Rond-Point, La Busta, une pièce sur les régimes totalitaires qui nous plongeait dans un univers kafkaïen.
Dans Nunzio, l’ambiance est tout à fait différente. Il s’agit d’un huis-clos entre deux hommes unis par un lien très fort. Nous sommes en Sicile, dans un pauvre appartement faiblement éclairé, où vit Nunzio, grand gaillard un peu efflanqué et assez imbécile, rêveur et fervent catholique. Un être désarmant et malade, que l’on a envie de protéger. Arrive Pino, un ami, lui pas naïf du tout, un bras armé de Cosa Nostra, dur d’apparence mais en réalité cœur fondant face à Nunzio.
Le spectacle, dont Scimone, avec Francesco Sframeli a tiré Due amici (qui a reçu le prix du meilleur premier film à la Biennale de Venise en 2002) est précisément une pièce sur l’amitié entre deux hommes. Ici le lien se teinte d’un rapport paternel très fort, Pino couvant Nunzio comme son fils, Nunzio faisant vibrer la fibre poétique de Pino.
Sur un décor qui va à la pièce comme le gant sur la main, la mise en scène de Thierry Lutz est parfaitement juste. Les deux comédiens se régalent et régalent le public, surtout Christian Lucas impeccable dans le rôle de Nunzio. On aimerait que Christian Abart joue de façon un peu moins conventionnelle à certains moments, en particulier dans les passages où il joue le "dur". Il est certainement plus difficile d’être original quand on doit incarner un cliché. Mais lorsqu’il se laisse étreindre par les sentiments, il nous montre un visage autrement plus singulier, émouvant, sur fond de ritournelle italienne délicieusement surannée…

Nunzio
Une pièce de Spiro Scimone
Mise en scène Thierry Lutz
Avec Christian Abart et Christian Lucas
Théâtre du Lucernaire – salle Le Paradis
53 rue Notre-Dame des champs – 75006 Paris
Places 22 € (TR 15 €)
Du mardi au samedi à 19 h, durée 1 h 20
Jusqu’au 11 septembre 2010

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L'Illusionniste. Sylvain Chomet

L'Illusionniste de Sylvain Chomet

Il y a sept ans déjà, Les triplettes de Belleville, avec une cruelle histoire de vélo sur un air de jazz nous avait enthousiasmé. Il émanait de ce dessin animé un parfum de tristesse, de solitude et de temps révolu à nul autre pareil.
Sylvain Chomet, après avoir connu le succès avec ce premier long métrage (nominé aux Oscars en 2004) s’empare d’un scénario inédit de Jacques Tati pour réaliser un nouveau film d’animation débordant de charme, de beauté et d’émotion ; et, comme le précédent, de mélancolie.

Cet illusionniste est un magicien de music-hall qui, à la fin des années 1950, n’intéresse plus grand-monde à Paris ni à Londres, où les groupes de rock apparaissent et passionnent les foules, renvoyant prestidigitateurs, acrobates et ventriloques à une époque préhistorique.
Notre héros, grand dadet d’âge mûr, bien élevé et élégant mais un tantinet coincé et gauche se voit contraint de pousser jusqu’en Ecosse pour essayer de continuer son métier. Là, il lui faudra atterrir dans un patelin loin de tout pour étonner encore le public avec ses tours. Surtout, il y fait la connaissance d’une jeune fille qui croit à la magie et ne le lâche plus.

Ce dessin animé "à l’ancienne", artisanal et en deux dimensions a quelque chose de profondément poignant. Il se déroule à une époque qui n’est plus, certes, mais il retrace dans ce passé-même la fin d’une période, un moment de mutation profonde où, notamment, les artistes du music-hall ont dû laisser la place aux vedettes du rock et de la variété.
C’est à travers le personnage de l’Illusionniste, naïf et toujours étonné de ces changements, dont on dit qu’il est le double de Jacques Tati, que l’on vit ce basculement. L’adolescente qui le suit comme son ombre, mystérieuse – il n’y a pas de dialogue, ce qui contribue à l’atmosphère élégante du film – est tout aussi attachante que lui. Rurale, elle découvre à Edimbourg avec émerveillement les attraits de la ville. Orpheline, elle s’attache à cet illusionniste comme à un père (Noël). Il y a la magie bien sûr, et de la poésie à revendre. Il y a aussi la beauté des dessins, en particulier des paysages lors des longs voyages en train à travers l’Ecosse, puis des paysages urbains splendides, avec des plans dignes du plus grand cinéma, sans compter un dessin de la lumière très inventif.
Mais, entre deux gags un peu désuets, se déroulent des moments rares et précieux montrant une humanité bouleversante, avec ce magicien qui essaie, de façon totalement désintéressée, de continuer à faire plaisir à la jeune fille, qui elle-même, avec ses faibles moyens, essaie de sauver son prochain, comme ce clown totalement désespéré, qu’un ragoût par elle apporté sauvera du suicide.

L’Illusionniste
Réalisé par Sylvain Chomet
Durée 1 h 20
Sorti en salles le 16 juin 2010

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A cinq heures de Paris. Leon Prudovsky

A cinq heures de Paris

Voici une comédie romantique comme on aimerait en voir plus souvent. Ni poussive, ni cul-cul la praline, ni cousue de fil blanc. Sa légèreté évoque ce qui porte haut avant d’imprimer au cœur un pli de gravité : l’élan éprouvé ensemble par un homme et une femme, irrésistible et parfois contrarié.
Nous sommes en Israël, près de Tel-Aviv. Yigal est chauffeur de taxi, divorcé, père d’un garçon qui s’obstine à ne vouloir ni jouer au piano ni chanter malgré les injonctions assurées de son beau-père (ou à cause de celles-ci…). Il est un homme en retrait, discret, bon esprit, un peu contemplatif et surtout très valeureux combattant de la phobie qui l’empêche d’aller à Paris fêter la bar-mitsva de son fils : la peur de l’avion.
Un soir, il fait la connaissance de Lina, le professeur de musique de son fils. Elle est mariée, mais le mari en question a la bonne idée de se trouver au Canada pour y obtenir de son diplôme d’urologue. Il a hélas aussi celle, fixe et beaucoup moins bonne, de vouloir s’installer dans ce beau et froid pays avec son épouse.

La trame du film est naturellement ce qui va se nouer entre Yigal et Lina. L’histoire est déroulée avec subtilité, à l’image de la relation entre ces deux êtres délicats, plutôt résignés et dépourvus de violence, dont les cœurs se mettent à déborder avec naturel, simplicité et pudeur.
Si les deux principaux protagonistes sont très bien incarnés, les personnages qui les entourent, amis et famille ne le sont pas moins, presque tous assez complexes voire ambigus. Tous très attachants en somme, et c’est avec un plaisir croissant que l’on suit cette "aventure" qui n’y ressemble pas et laisse un doux parfum de mélancolie, l’effluve du bonheur vécu.

A cinq heures de Paris
De Leon Prudovsky
Avec Dror Keren, Helena Yaralova, Vladimir Friedman
Durée 1 h 30
Sorti en salles le 23 juin 2010

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Les moissons du ciel. Terrence Malick

Les moissons du ciel, Terrence Malick

Alors qu’on attend avec impatience son prochain film, un temps espéré au dernier Festival de Cannes, et dont on connaît déjà le titre – The tree of life – et les acteurs – Sean Penn et Brad Pitt -, une des belles surprises de ce début d’été est la reprise en salles du deuxième film de Terrence Malick, Les moissons du ciel.
Parfait pour débuter la fête du cinéma qui cette année durera une semaine : ceux qui ont déjà vu ce chef d’œuvre récompensé du Prix de la mise en scène à Cannes en 1979 n’ont pas besoin qu’on leur fasse l’article ; les autres n’ont qu’à courir le découvrir – ventre à terre.

L’histoire se passe au début du siècle dernier au Texas, où les sans-rien-sauf-leurs-bras vont travailler dans les champs du lever au coucher du soleil pour trois dollars par jour. Bill, accompagné de sa petite sœur Linda et de sa petite amie Abby a quitté Chicago où il a battu à mort son contremaître. Ils passent la saison des moissons dans une immense ferme céréalière, ne perdant ni leur joie de vivre ni leur fantaisie enfantine malgré le dur labeur. Mais quand Chuck, le propriétaire fermier s’éprend de Abby, Bill, qui ne supporte plus de la voir se tuer à la tâche, voit le moyen de mettre un terme à cette vie sans espoir, d’autant que les jours de Chuck sont paraît-il comptés.
La suite ne se déroulera pas comme prévu, au fil d’une tension dramatique de plus en plus aigüe.

Terrence Malick filme et monte comme personne. En fond, il y a le rythme lent des travaux des champs, le quotidien sans surprise des journaliers soumis à des gestes répétitifs, le déroulement des saisons, l’immensité des espaces, la splendeur de la nature. Au centre, se trouve un tempérament impétueux, encore adolescent mais déjà adulte, Bill, joué par un Richard Gere magnétique, yeux et cheveux bruns inoubliables, dont on ne sait jamais, entre rires, gestes tendres et explosion, quel sera le prochain élan. A ses côté, une jeune femme calme et riante au charme mystérieux, Abby, dont on ne peut que deviner les pensées et les sentiments. Chuck le propriétaire, beau et blond solitaire, aurait pu être méchant, mais ç’eût été trop simple. Tous les personnages en réalité sont attachants ; tous sont complexes ; et magnifiquement interprétés, même les rôles secondaires comme la petite Linda ou le vieil ami de Chuck.

A chaque plan, Terrence Malick montre autant qu’il réserve. Les dialogues sont rares ; le réalisateur semble laisser les regards et la nature écrire l’histoire. De ciel d’orage en épis de blé tourbillonnants, de feux de fin d’été en eaux fraîches au crépuscule, le réalisateur du Nouveau monde offre avec cette histoire d’amour et de souffrances un poème cinématographique sur fond de toile de maître.
Alors pourquoi être pressé : si tel doit à nouveau être le résultat, laissons-le peaufiner encore tranquillement son cinquième film… en quarante ans de carrière.

Les moissons du ciel
Un drame de Terrence Malick
Avec Richard Gere, Brooke Adams, Sam Shepard
Durée 1 h 35
Année de production 1979 – Reprise le 16 juin 2010

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Du Greco à Dalí. Musée Jacquemart-André

El Greco, miniature Tête du ChristL’exposition est courte (une soixantaine d’œuvres), voit large (cf. son titre), mais ne déçoit pas si l’on est prévenu de sa véritable substance.
Issus de la collection de l’homme d’affaires mexicain Juan Antonio Pérez Simón, ces tableaux ne sont pas de ceux que l’ont peut habituellement admirer dans les musées. Tel est l’intérêt de la visite, auquel s’ajoute celui d’offrir une idée de la production espagnole sur une période de pas moins de quatre siècles. Et si manquent deux très grands du XVII°, Vélasquez et Zurbarán, dans l’ensemble, du Siècle d’Or au XX° siècle, on fait ici un fort joli paseo ibérique.

Mêlant approches thématique et chronologique, le parcours débute par les fêtes espagnoles, avec deux tableaux de la Plaza Major, construite au début du XVII°, haut-lieu de festivités royales de Madrid devenue capitale sous le règne des Habsbourg en 1561. L’on découvre avec ravissement dans cette salle l’artiste catalan Anglada-Camarasa (1872-1959) avec une Feria de Valence (1907) éclatante de couleurs, où se lisent les inspirations parisiennes et viennoises, symbolisme, veine décorative de Klimt et Art nouveau. Y est également exposé un très beau Dalí bourré de références (dont celle au fameux Enterrement du Comte d’Orgaz du Greco à Tolède), qui était un projet de décor pour un ballet.

La peinture religieuse fut un des temps forts du Siècle d’or : après le Concile de Trente les autorités voulaient affirmer avec force images la vigueur de la religion catholique, couvrant les églises de peintures du Christ, de la Vierge et des Saints afin d’inculquer aux fidèles souvent illettrés les idées et les pratiques nées de la Contre-Réforme. Murillo (1617-1682), le plus doux, et Ribera (1591-1652), le plus poignant en produisirent un grand nombre. On admire ici une Immaculée Conception du premier et un frappant Saint Jérôme du deuxième. Le cher Greco est également présent grâce à une miniature de dix centimètres de haut Tête de Christ aux yeux plein de larmes sur un visage livide, d’une très belle humanité.

Goya, collection Perez SimonDans la salle consacrée à l’art du portrait, un grand portrait féminin de Goya se laisse longuement contempler. L’artiste semble avoir joué sur le contraste entre la monumentalité du buste drapé d’étoffes et de fourrure de l’Infante et un visage très naturel dont les yeux sont d’une extraordinaire expressivité.
Plus loin, les esquisses et les peintures de Sorolla répandent leur incomparable lumière, avec des scènes de loisirs sur la plage et de pêche au cadrage presque photographique (sur ce peintre, voir le billet du 6 mars 2007, rendant compte d’une exposition magnifique présentée au Petit Palais).
Ajoutez à cela deux natures mortes cubistes de haute tenue de Juan Gris et de Picasso, des nus de ce dernier, quelques Miró et même un Tàpies, et vous reconnaîtrez que les choix sot plutôt convaincants.

« Du Greco à Dalí : les grands maîtres espagnols. La collection Pérez Simón »
Musée Jacquemart-André
158, boulevard Haussmann – 75008 Paris
Téléphone : 01 45 62 11 59
M° Saint-Augustin, Miromesnil ou Saint-Philippe du Roule
Jusqu’au 1er août 2010
Ouvert 365 jours par an, de 10 h à 18 h, lundi jusqu’à 21 h 30
Entrée 11 euros (TR 8,5 euros)

Images : Domenikos Theotokopoulos, dit Le Greco (1541-1614), Tête du Christ, Vers 1600, huile sur papier collé sur panneau de bois, 10,2 x 8,6 Collection Pérez Simón, Mexico © Fundación JAPS © Studio Sébert photographes
et Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828), Doña Maria Teresa de Vallabriga y Rozas, 1783, huile sur panneau de bois, 66,7 x 50,5, Collection Pérez Simón, Mexico © Fundación JAPS © Studio Sébert photographes

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La Dame du lac à l'Opéra Garnier

La dame du lac de Rossini à GarnierCréé à Naples en 1819, La Donna del lago n’avait jamais été monté à Paris.
C’est chose faite depuis lundi à l’Opéra Garnier, où l’on peut le découvrir jusqu’au 10 juillet prochain.

La Dame du lac fait partie, avec Armida notamment, des opéras dits sombres de Rossini : on est loin des airs enjoués du Barbier de Séville.

Pour autant, les amateurs du style bel-cantiste le plus pur seront comblés.
Tiré du poème de Walter Scott, le livret semble sans intérêt, avec des histoires d’amour compliquées dont la Donna se semble savoir se tirer, sur fond d’épisodes guerriers dans l’Ecosse du XVI° siècle. Peut-être le livret vaut-il mieux que cela, mais ce n’est pas la mise en scène de Lluís Pasqual qui permet d’en saisir les subtilités.
Durant le premier acte, le temps passe lentement, on découvre les voix et les décors en se laissant bercer. Au second en revanche, la dramaturgie se tend davantage, tout le monde se réveille autour de très belles envolées. D’autant que Nicolas Joël, le directeur de l’Opéra national de Paris, a convoqué un casting de choc ; on dirait que c’est exactement celui qu’il fallait pour servir cet opéra.
Dans le rôle-titre, la star américaine Joyce DiDonato (1) magnifie de sa voix de mezzo chaude et mélodieuse tous les duos et trios et envoûte le public dans le grand air final. La voix du ténor péruvien Juan Diego Florez, nuancée et veloutée enchante dans ce rôle romantique. La mezzo italienne Daniela Barcellona est quant à elle à la fois assez singulière et d’une grande efficacité dans le rôle masculin de Malcolm.
A l’image de la mise en scène, les décors et les costumes ne marqueront pas les annales. Quelle idée par exemple d’habiller le chœur de façon anachronique et qui plus est mémère ? Mais lui aussi régale le public d’une belle voix profonde. Alors, qu’importe l’étoffe, car l’émotion, elle, est bien au rendez-vous.

La Dame du Lac (La Donna del Lago)
Opéra en deux actes de Gioacchino Rossini
Livret d’A. L. Tottola, d’après le poème narratif de sir Walter Scott The lady of the lake
Direction musicale Roberto Abbado
Mise en scène Lluís Pasqual
Avec Juan Diego Florez Giacomo V (Uberto di Snowdon)
Simon Orfila Duglas d’Angus
Francesco Meli Rodrigo di Dhu
Joyce DiDonato Elena
Daniela Barcellona Malcolm Groeme
Diana Axentii Albina
Jason Bridges Serano
Palais Garnier – Place de l’opéra, Paris 1er
Durée 3 h 15 avec un entracte
Places à 7€, 10€, 21€, 40€, 70€, 116€, 172€

(1) La distribution sera différente pour les représentations de juillet.
Consulter le site de l’Opéra de Paris

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Le soir, des lions… François Morel

Le soir des lions... François Morel au Rond-PointQue ce soit en suivant ses chroniques sur France Inter, les spectacles qu’il donne en chansons ou les souvenirs du temps des Deschiens sur Canal +, l’on se fait de François Morel, à tort ou à raison, l’idée d’un homme sincère et cohérent, dont le personnage artistique est l’écume bouillonnante d’une intimité pleine d’émotions pudiquement habillées.

Feinte ou réelle, sa relation au passé, à l’amitié, à l’amour et à la mort vient s’inscrire dans une tradition dont la source est proche de Trenet, Brassens et les frères Jacques. Ses airs et ses mots ont la vertu, en 2010, d’enchanter les cœurs en ranimant les temps révolus, tout en apaisant, tel un baume ancestral, d’incurables plaies devenues avec lui presque aimables.

Son souffle nostalgique, son lyrisme maquillé de pitrerie, il les présente fort joliment jusqu’au 27 juillet dans l’intimité de la salle Jean Tardieu du théâtre du Rond-Point.
Décor mi-guinguette (palissade et lampions) mi-brocante (mannequin articulé et bassines en zinc), complets pour les messieurs et robes à fleurs des années 1950 pour les dames, François Morel entouré de très sympathiques musiciens-choristes enchaîne chansons de son cru et micro sketches en alternant franche moquerie, poésie, calembours et mélancolie.

Sur des musiques d’Antoine Sahler et de Reinhardt Wagner et une mise en scène d’une Juliette jamais à court de fantaisie, l’ensemble fonctionne du feu de Dieu, porté par une complicité bien en place entre l’artiste, faux hâbleur et vrai ravi, et le public tout à sa joie. Il en redemande, nous compris.

Le soir, des lions…
Textes et interprétation des chansons François Morel
Mise en scène Juliette
Musique Antoine Sahler, Reinhardt Wagner
Musiciens Lisa Cat-Berro, Muriel Gastebois et Antoine Sahler
Jusqu’au 27 juin2010
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
A 21 h – Dimanche à 15 h 30
Durée 1 h 30

Photo © Brigitte Enguerand

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