Into the wild. Sean Penn

Into the wild, Sean PennChristopher, fils de bonne famille prêt à entrer à Havard est promis à un brillant avenir.
Mais au matérialisme de son milieu, il préfère le dénuement d’un chemin solitaire.
A l’hypocrisie de ses parents, au mensonge originel sur lequel son identité s’est fondée, il oppose la fuite.
Son idée fixe : aller chercher la vérité dans le Grand Nord.

Après avoir traversé les paysages magnifiques de l’Arizona, de la Californie ou du Colorado, Chris atteint en Alaska son objectif : non pas simplement contempler la nature, mais vivre dans la nature et plus encore, vivre de la nature. Sa réserve de riz épuisée, et avant de recourir à de fatales cueillettes, il ne se nourrit plus que de chasse, mais en considérant comme un désastre tout gibier gâché, non consommé.

Sur sa route, les gens qu’il rencontre l’aident à préparer cette expérience matériellement improvisée : ici on lui fait cadeau d’un bonnet de laine, là de bottes, plus loin d’un couteau.
Pourtant Chris ne leur demande rien. Il leur offre simplement sa jeunesse, son irrésistible sourire, son élan vital hors du commun. Tous l’aiment et s’attachent à lui. Chris rependra toujours sa route, obstiné mais enrichi, car il trouve dans ces moments passés auprès de ces êtres simples mais exceptionnels une part de vérité qu’il ne réalisera que plus tard, au dernier chapitre du film intitulé La sagesse.
C’est ainsi qu’une fois en Alaska, après des mois passés dans la joie de se suffire, il écrit dans un des livres qu’il a emportés avec lui (Tolstoï, London et le philosophe américain Thoreau) : "Le bonheur n’est pas réel sans partage".

Mais à travers la recherche de l’autonomie physique, c’est celle de l’autonomie au sens large, qu’il a entreprise. Et dans cette quête de soi, il commence par se dépouiller de son patronyme, pour adopter celui de Supertramp, qu’il grave au fil de ses étapes, laissant partout des traces et tenant son journal de bord au plus près.
Son dernier mot est "trouver le nom juste". C’est là qu’il échoue, c’est ce qui l’a perdu. Mais auparavant, souriant à une nature superbe, il aura trouvé la paix et la liberté.

Into the wild, un film écrit et réalisé par Sean Penn
Avec Emile Hirsch, Marcia Gay Harden, William Hurt
Durée 2 h 27

Sean Penn a réalisé ce film magnifique à partir de l’histoire réelle de Christopher McCandless, relatée par le journaliste américain Jon Krakauer dans le livre Into the wild (publié en 1996) à l’aide de témoignages de personnes qui l’ont connu et des notes de son journal.
Ce document est édité en France par les Presses de la Cité dans une traduction de Christian Molinié (Into the wild, Voyage au bout de la solitude, 311 p., 19 €, réédition 2008).

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Le Dernier voyage du juge Feng. Liu Jie

Le dernier voyage du juge FengLe juge Feng part rendre la justice dans les communautés reculées de la République populaire de Chine.
Une femme et un jeune homme l’accompagnent : ils sont la greffière bientôt mise en retraite anticipée et le juge stagiaire tout droit sorti de l’Université. Un vieux cheval de bât porte les dossiers et l’insigne national.
Drôle d’équipée que ce tribunal itinérant qui parcourt les montagnes pour rendre au nom de l’Etat une justice acceptable par les paysans dont les attentes et la notion d’équité sont aussi diverses que le sont les coutumes des différents villages.
Ici, deux belles-soeurs ne se parlent plus à cause d’un vase ; là, le cochon de l’un a déterré les ossements des ancêtres de la famille voisine. Plus loin, c’est une épouse abandonnée qui ne veut pas quitter l’ex-domicile conjugal qui pourtant appartient à la famille de son ancien conjoint.
Il faut un talent infini pour non pas imposer, mais faire accepter une décision "juste", c’est-à-dire ressentie comme légitime par les parties opposées dans ces communautés repliées sur elles-mêmes, qui se déchirent à grands cris et dont les conflits non réglés se transmettent de génération en génération.
Le juge Feng a ce talent-là, mélange d’écoute, d’observation, de connaissance et de respect des rites, de recherche obstinée du dialogue, mais aussi d’autorité. La greffière l’épaule, le complète, le prolonge et prend carrément le relais avec sa propre sensibilité quand la diplomatie et la patience du juge trouvent leur limite.
Le tout jeune magistrat ressemble à première vue au "juge en bois brut" fraîchement moulé par l’école.
Tous trois vont alors former un passionnant trio : sorte de couple pour les deux plus anciens, "filiation" plus refusée qu’acceptée entre eux et le stagiaire. Le soir autour du feu, lorsqu’ils s’étendent pour dormir à même le sol, après avoir dîné d’une pomme de terre cuite sous la cendre, les conversations glissent imperceptiblement du professionnel au personnel. Ces moments donnent lieu à des scènes magnifiques, où les visages ne sont éclairés que par les éclats des flammes de l’âtre, où l’humour et la taquinerie dissimulent avec pudeur une grande tendresse.
Le film soulève beaucoup de questions : sur les rapports Etat-communautés, la laïcité et les croyances, la culture moderne urbaine et les cultures traditionnelles rurales, sur ce qui est dit et ce qui est tu ; mais aussi sur les relations hommes-femmes, sur la transmission, sur le rapport au travail, sur la justice bien sûr et sur les sentiments familiaux, amicaux et amoureux.
Une richesse de thèmes traités avec finesse, où le rire côtoie une émotion contenue, où toutes les scènes sont filmées avec délicatesse, où l’on voyage très loin avec des personnages et dans des lieux auxquels on croit, et où la beauté des montagnes de Chine ne devient jamais prétexte à esthétisme.
Ce que l’on appelle un très, très beau film.

Le Dernier voyage du juge Feng
Un film chinois de Liu Jie
Avec Baotian Li, Yulai Lu, Yang Yaning
Durée : 1 h 41
Sorti le 3 octobre 2007
Encore projeté dans 11 salles en France (voir sur allocine.fr)

Distribué par Pierre Grise Distribution
On peut lire sur ce site un entretien avec Liu Jie, ancien directeur de la photo et dont Le Dernier voyage du juge Feng est le premier long métrage en tant que réalisateur. Sélection officielle Orizzonti Venise 2006, Prix Premiers Horizons

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La graine et le mulet. Abdellatif Kechiche

La graine et le mulet, Abdellatif KechicheC’est peut-être le film qu’on attendait sans le savoir. Celui qui surprend parce qu’il parvient à exprimer ce qu’on n’aurait osé espérer : le courant de la vie même, son côté imprévisible, ce qu’elle contient de brouillon sans jamais laisser la possibilité de refaire "au propre".
Ce moment pris sur le vif se passe à Sète, où l’activité portuaire et ses difficultés laissent Slimane sur le carreau. Travailleur immigré des années 1970, on lui fait comprendre qu’à soixante ans passés il est devenu trop usé pour suivre les rythmes exigés.
Il décide alors d’installer un restaurant sur un vieux rafiot. Spécialité : couscous au poisson. Autour de lui : ses amis issus du travail et/ou de la communauté, ses enfants, son ex-femme, sa compagne et la fille de celle-ci, Rym.
La graine et le mulet n’est donc pas simplement l’histoire de Slimane. Il est aussi celle de sa famille et de ses amis qui vont l’aider à aller au bout de son projet, sa réussite devenant plus ou moins spontanément l’affaire de tous.
Mais elle est d’emblée surtout celle de Rym, très décidée à pousser les portes administratives, politiques et financières qui auraient naturellement tendance à vouloir laisser Slimane sur son quai d’ouvrier des chantiers navals.
Très décidée aussi à contrer le vent des grands fistons, qui renverraient bien leur père au bled.
Bref, une graine d’intelligence et de sensibilité, un brin de caractère trempé, enrobés d’une irrésistible spontanéité qui sait se policer quand il faut.
Interprétée par une Hafsia Herzi qui crève l’écran, Rym forme avec Slimane un duo filial très attachant. Mais c’est à tous ses personnages qu’Abdellatif Kechiche nous attache. Car il prend le temps de les faire exister, de nous les montrer manger et vivre, de nous les faire entendre parler et crier.
Il prend tout le temps qu’il faut. Et il a raison, car dans la vie certains moments durent longtemps. Un déjeuner dominical, cela dure longtemps. Une crise conjugale, cela dure longtemps. Un couscous qui n’arrive pas au restaurant, cela peut être long aussi.
Mais le spectateur ne s’ennuie pas une seconde, non seulement parce qu’il est embarqué dans cette vie-là, mais encore parce qu’il a aussi la place de vivre en tant que spectateur : pendant la dernière scène, aussi longue que géniale, il imagine différentes possibilités, différentes issues.
Il est bien là et n’a aucune envie que le rythme accélère.
Il faut un sacré culot pour filmer cela, et de cette façon-là.

La graine et le mulet. Abdellatif Kechiche
Avec Habib Boufares, Hafsia Herzi, Faridah Benkhetache…
Durée : 2 h 31 mn
Distribué par Pathé Distribution

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Ce que mes yeux ont vu. Laurent de Bartillat

Ce que mes yeux ont vu, Laurent de BartillatCe que mes yeux ont vu est ce que mes yeux verront si je prends la peine de regarder ce qu’il y a réellement, si je découvre ce qui est caché "derrière". Ainsi pourrait se résumer le propos de ce joli film un peu bancal, non exempt de défauts mais qui en définitive convainc et ne manque pas de séduire.
Lucie, étudiante en histoire de l’art, interprétée par Sylvie Testud, axe ses recherches sur Antoine Watteau. Son directeur de mémoire (Jean-Pierre Marielle), qui a effectué ses propres travaux sur le peintre du Gilles et des fêtes galantes, suit son travail de très près. Mais lorsque Lucie se trouve sur la piste qui pourrait l’amener à éclaircir le mystère de la femme que l’on retrouve sur différents tableaux du maître, toujours de dos, le professeur essaie de la détourner de ses recherches.
Ce que le film a d’original et de tout à fait réussi est de rendre l’enquête autour de la peinture de Watteau aussi haletante que n’importe quelle intrigue policière.
La faiblesse d’exploitation des personnages (Bartillat ne va guère plus loin que l’esquisse) est bienheureusement contrebalancée par l’apparition d’un jeune homme pour le moins hors norme. Vincent, joué par notre très cher James Thierrée, est sourd-muet. Il fait le mime (façon statuaire) dans la rue ; son comportement est étrange ; il semble obsédé par la jeune femme.
Dans une très belle scène, sur le trottoir d’une rue de Paris, il s’agenouille au dessus d’une bouche d’égouts et lui fait signe de faire de même. En dessous coule la Bièvre. Métaphore simple et efficace pour signifier ce qui est caché, ce qui est dessous. Et c’est lui qui mettra l’étudiante-enquêteuse sur le chemin de la vérité… avant de disparaître à jamais, emportant le mystère de son personnage avec lui.
Entre temps, il aura contribué à imprimer à ce film son originalité et une ambiance aussi singulière qu’attachante non dénuée de charme.

Ce que mes yeux ont vu. Laurent de Bartillat
Avec Sylvie Testud, Jean-Pierre Marielle, James Thierrée
Durée 1 h 28

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Souffle. Kim Ki-duk

Souffle, de Kim Ki-dukCe souffle est celui d’une histoire d’amour passionnelle. Une histoire d’amour singulière, impensable, interdite.
Jang Jin est condamné à mort pour avoir assassiné sa femme et ses deux enfants. Dans sa cellule, il essaie pour la deuxième fois d’attenter à ses jours. Ses compagnons gravent des femmes nues sur les murs décrépis. L’un d’eux entoure Jang Jin d’un amour tendre et exclusif. Entre eux, aucune parole ne sera jamais prononcée.
A des kilomètres de là, dans sa vaste villa, une femme est en proie à l’abandon de son mari. Elle dessine calmement avec sa petite fille ; modèle des sculptures dans la terre grise. Sans un mot, tout en elle exprime le désarroi, la solitude, l’élan brisé.
Le journal télévisé se fait l’écho de la nouvelle tentative de suicide de Jang Jin. L’épouse trompée est hypnotisée par cet homme. Elle entre dans un magasin de fleurs. Se rend à la prison. Offre en plein hiver une fête de printemps à Jang Jin. Revient le lendemain, encore plus dénudée malgré la glace, pour cette fois lui jouer l’été. Elle lui parle. De ces mots, de ces chansons et de ces décors de rêve créés dans un parloir par une femme triste devenue fée éclot une histoire d’amour.
L’improbable devient évident. Le silence – durant tout le film on n’entendra pas la voix de Jang Jin – est éloquent ; les non-dits sont des cris ; les sourires des brèches dans le cours du monde.
Jamais annoncée, l’émotion surgit par surprise au détour d’un regard, de flocons de neige qui s’envolent, d’une chanson qui libère, de corps qui brusquement s’étreignent.
Délicat, beau, limpide, le dernier film du virtuose Kim Ki-duk (1) n’a rien d’une démonstration de talent.
Fort et troublant sur l’ambivalence des sentiments et de la passion amoureuse, Souffle est bien sûr aussi un film très physique. Il tire de l’étrange comme du prosaïque une atmosphère poétique inattendue, et surtout, ne souligne jamais. Absolument magnifique.

Souffle (titre original Soom)
Un film sud-coréen de Kim Ki-duk
Avec Chang Chen, Jung-woo Ha, Ji-a Park
Durée : 1 h 24 mn
Sélection officielle Festival de Cannes 2007
(1) Kim Ki-duk a réalisé notamment Printemps, été, automne, hiver…et printemps et Locataires

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Faut que ça danse. Noémie Lvovsky

Faut que ça danse, Noémie LvovskyCe film est un pied de nez. Pied de nez au temps qui passe, à l’héritage douloureux, à la maladie et à la mort. Et comme tous les pieds de nez à ce qui fait mal, il est terriblement réjouissant.
Salomon, quatre-vingt ans, interprété par Jean-Pierre Marielle vit séparé de sa femme, laquelle (délicieuse Bulle Ogier plus que lunaire) vogue sur une douce folie.
Il se repasse Fred Astaire en boucle, prend des cours de claquettes, danse tout seul à la maison. Cherche une compagne par petite annonce, ne doute de rien et séduit. Son âge, il l’oublie, ou plutôt a l’air de ne s’être jamais vu l’atteindre. Sa fille lève les yeux au ciel mais l’adore tendrement. Tiens, la voici enceinte, d’ailleurs. Pour une déclarée stérile de 41 ans (jouée par Valeria Bruni Tedeschi, très convaincante aussi), c’est une belle surprise ; elle en engueule le labo qui n’a pu que se tromper…
Tout part comme ça, et ne s’arrête pas. Ainsi déboule la piquante Sabine Azema, alias Violette, la petite amie que Salomon a dégotée grâce au journal. Et le garde-malade de la mère foldingue qui l’embarque en Suisse pour trouver quelque argent. Et enfin le bébé qui décide de naître dans la bibliothèque de l’hôpital psychiatrique. Cela peut paraître décousu et simplement loufoque.
Evidemment, et alors ? Car cette comédie déjantée est tout sauf vaine. Bien au contraire, sous cette légèreté qui a l’air de partir dans tous les sens, il y a une véritable cohérence, et un propos d’autant plus savoureux qu’il n’est jamais dit.
L’obstination de la mémoire qui fait mal, la maladie, la vieillesse, la mort qui vient, le tragique donc, oui. Mais voici que sur ces drames pousse un brin de folie, surgissent une rencontre, une étreinte, une danse, une ballade, une engueulade pleine d’amour… tout ce qui bouge, et même tout ce qui paraît improbable et que seul explique cet élan de vie débridé, enviable et souverain.

Faut que ça danse. Noémie Lvovsky
Avec Jean-Pierre Marielle, Valeria Bruni Tedeschi, Sabine Azéma, Bulle Ogier, Arié Elmaleh…
Durée : 1h 40 mn

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De l'autre côté. Fatih Akin

De l'autre côté, Fatih AkinLe principe : plusieurs histoires mettant en scène des personnages liés plus ou moins directement les uns aux autres sont vues sous différents angles dans un va-et-vient entre l’Allemagne et la Turquie. L’on passe ainsi sans cesse des deux côtés de la frontière, entre Brême et Hambourg, Istambul et le bord de la mer Noire.
Le détail de ces histoires serait assommant à raconter. Mais les sentiments qu’elles expriment sont jolis et simples. Il y a ce poignant amour manqué entre une jeune activitiste politique et sa mère prostituée au caractère tout aussi trempé, deux coeurs tendres qui se chercheront en vain.Et cet amour d’un fils pour son tonitruant de père qui finit par déborder. L’amour entre deux jeunes femmes qui s’aimantent, entier et peut-être fatal. Et encore une histoire d’amour maternel manqué, celui d’une Allemande dépassée par les élans de sa fille. Précision étant faite qu’un même personnage est le plus souvent acteur de plusieurs de ces trames dont les fils entremêlent en permanence les deux cultures, allemande et turque, qui s’opposent et donc se complètent.
La réalisation est belle, quoique le rythme un peu lent, les histoires touchantes et le jeu de miroirs intéressant.
Mais le film sembler manquer d’un petit quelque chose pour être tout à fait enthousiasmant. Est-ce l’émotion véritable qui au fond fait défaut ? A moins que De l’autre côté ne pêche par l’excès : celui des bons sentiments, qui finit par donner une impression de "tartinage". Ceci explique peut-être cela.

De l’autre côté. Fatih Akin
Titre original Auf der anderen Seite
Avec Baki Davrak, Tuncel Kurtiz, Patrycia Ziolkowska
Durée : 2h 2min

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Le Journal d'une fille perdue de G.W. Pabst au Balzac

Le journal d'une fille perdue, Georg Wilhelm PabstLa beauté et le charme infinis de Louise Brooks au service d’un chef-d’oeuvre du muet accompagné du grand pianiste de jazz Giovanni Mirabassi : tel est le programme que Le Balzac réservait aux courageux Parisiens de sortie lundi dernier. Cette soirée exceptionnelle renvoyait tous les efforts et toute la fatigue de marche à pied aux oubliettes.

Le Journal d’une fille perdue est l’histoire d’une jeune fille de la bourgeoisie berlinoise des années 1920 qui tombe enceinte pour s’être évanouie un soir de peine dans les bras d’un cupide et rustre petit apothicaire. Employé du père de la jeune "victime", le sourire carnassier de ce subalterne intéressé est digne des pires films d’horreur.
On devine la suite : à sa naissance, le nourrisson est placé ; et la toute jeune femme mise illico dans une maison de redressement. La suite de la suite est quant à elle savoureuse.
Tiré d’un roman qui scandalisa à l’époque au motif qu’il faisait parler une prostituée à la première personne, le film que Pabst en tira fut interdit à sa sortie en 1929. Ce n’est qu’après de sévères coupes de la censure que Le Journal d’une fille perdue ainsi largement mutilé fut autorisé dans l’Europe du début des années 1930.
La copie projetée au Balzac, assez proche de la version d’origine, permet de réaliser toute l’immoralité dont la société de l’époque a pu l’accuser. La charge contre l’hypocrisie des milieux bourgeois est d’une violence inouïe. L’humour de Pabst est aussi corrosif qu’irrésistible. Et il balance à merveille avec des moments d’émotion déchirants, où Louise Brooks déploie une palette de sensibilité tout en nuance, crevant l’écran du muet par un jeu pourtant retenu.
C’est peu dire que l’accompagnement du Journal ne peut souffrir d’approximation. Toujours présent, toujours dans le rythme du film, toujours dans la tonaltié du moment, Giovanni Mirabassi fut époustouflant.

Le Journal d’une fille perdue. Georg Wilhelm Pabst
Titre original : Das Tagebuch einer Verloren
Avec Louise Brooks, Fritz Rasp, Andrews Engelmann, Valeska Gert, Franziska Kinz, Edith Meinhard, Josef Rovensky
Année de production : 1929

Prochain Ciné-Concert mardi 11 décembre à 21 h pour une soirée Buster Keaton (trois courts-métrages : Cops, One Week et The PlayHouse) avec la formation jazz  »Ciné X’Tet/Bruno Régnier »

Dimanche 16 décembre à 11 h, Ciné-Concert jeune public avec Faut pas s’en faire (Why worry ?) de Frad Newmeyer et Sam Taylor (1923), accompagné au piano par Xavier Busatto

Et chaque deuxième dimanche du mois à 11 h Pochette surprise, destinée aux petits et aux grands, pour découvrir une sélection de films courts, muets pour la plupart, accompagnés par le pianiste Jacques Cambra et ses invités.

Cinéma  »Le Balzac »
1 rue Balzac – 75008 Paris
M° Charles de Gaulle Etoile

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L'Heure zéro. Pascal Thomas

L'Heure zéro de Pascal ThomasC’est un dessert délicieux à déguster attentivement ; il craque sous la dent bouchée après bouchée, au rythme des pièces du puzzle qui s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres au fil de l’histoire.
Savoureux policier adapté d’Agatha Christie, L’Heure zéro est un film finement découpé. Pascal Thomas a trouvé le bon tempo, d’abord lent dans un prologue qui installe tranquillement la situation, adoptant ensuite avec assurance celui de l’intrigue qui avance pas à pas ; il n’a pas oublié l’humour, saupoudré à juste dose dans des moments furtifs, un peu à la dérobée. Il a tout autant soigné le décor – vieille demeure fourmillant de lampes posées, de boiseries cirées et de bouquets poudrés –, que les costumes, prolongements sur mesure de personnages dessinés à la perfection. Reinhardt Wagner y a ajouté sa musique, désuète et très réussie.
Quant au casting, il est impeccable : qui imaginer de meilleurs que Danielle Darrieux dans le rôle de la vieille tante riche, autoritaire et goûteuse des plaisirs de la vie, que Jacques Sereys dans celui de son ami ancien procureur, élégant et au verbe toujours bien ciselé ?
Du côté des plus jeunes, de Melvil Poupaud à François Morel en passant par la toujours juste Chiara Mastroianni, ils sont très convaincants aussi. Aucune raison de bouder son plaisir.

L’Heure zéro. Pascal Thomas
Avec François Morel, Danielle Darrieux, Melvil Poupaud, Laura Smet, Chiara Mastroianni, Alessandra Martines, Clement Thomas, Jacques Sereys
Musique de Reinhardt Wagner
Durée 1 h 47

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Le Rêve de Cassandre. Woody Allen

Le rêve de Cassandre, Woody Allen Le Rêve de Cassandre commence comme une comédie, mais qui cède vite le pas au drame, lorsque le poids lourd de la conscience vient charger l’envolée juvénile du début.

C’est l’argent qui fait basculer la situation, au détour d’apparitions diaboliques, le prêteur usurier qui fait bruisser les liasses de billets et la femme belle mais trop généreusement tentatrice.
Pour cause de dette de jeu, pour cause d’amour passionné, les deux frères vont passer de leur condition de fils de la classe moyenne – dont les préoccupations sont tout ce qui a de plus ordinaire, installer son couple et faire plaisir à sa douce pour l’un, s’élever vers la classe supérieure pour l’autre – à celle de nécessiteux aux abois. Ressort de l’histoire : le sauveur, incarné par un oncle richissime, seule personne qui pourrait les aider, se fait à son tour maléfique…

Après l’entrée bondissante des deux frangins-à-la-mort-à-la-vie, le portrait familial croqué autour d’un repas aux dialogues délectables, la mise en place de l’histoire, avec des personnages et des situations teintés d’humour, bref, après une très agréable première partie, voici donc qu’à traits épais se dessine le drame.
Et force est de reconnaître qu’une fois le forfait attendu accompli, toute la fin du film a tendance à coller au sujet de la culpabilité un peu trop intimement, pour ne pas dire à l’engluer. Woody Allen se met alors à se répéter comme s’il ne savait qu’en faire pour finir sur une tragédie tout à fait prévisible.
Quel dommage ! Après un début des plus alertes qui ne pourra que ravir ses fans, le cinéaste se met à devenir ennuyeux, et ce malgré l’excellente prestation des deux comédiens, Ewan McGregor et surtout Colin Farrell.

Le Rêve de Cassandre. Woody Allen
Avec Colin Farrell, Ewan McGregor, Tom Wilkinson, Hayley Atwell
Durée 1 h 48

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