Hokusai "L'affolé de son art" au musée Guimet

Hokusai, l'affolé de son artL’artiste souleva l’engouement des Européens dans le dernier quart du XIXème siècle mais ne suscita de son vivant, malgré une production prolifique, qu’une admiration éphémère dans son pays.
Il est aujourd’hui le peintre japonais le plus connu dans le monde et, par le détour de son succès occidental, sa patrie célèbre désormais son génie.

L’on connaît de lui Sous la vague au large de Kanagawa, dite La grande vague et ses Trente-six vues du Mont Fuji, devenues des classiques. Des splendeurs qui en cachent bien d’autres : jusqu’au 4 août 2008, le musée Guimet sort de son fonds d’art graphique les oeuvres de Katsushika Hokusai (1760-1849), donnant en embrasser le parcours de cet artiste qui n’a cessé d’évoluer, allant jusqu’à déclarer "C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant."

Il n’y a pourtant "rien à jeter" dans la rétrospective présentée par le musée Guimet ; au contraire, de retour chez soi, le catalogue – très réussi – donne le regret d’être passé trop vite devant certains dessins et estampes.
Ceux du début s’inscrivent dans la tradition de l’art de l’Ukiyo-e, scènes de maisons de thé, de spectacles, de geishas. Fourmillant de détails, d’actions, de personnages, ils se lisent comme des pièces de théâtre. Puis, autour des années 1830, Hokusai bascule vers le paysage. Voici donc nos "classiques", enfin vus dans leurs véritables couleurs, leur pleine beauté ; mais aussi d’autres paysages oniriques et puissamment enracinés dans la culture japonaise, dont les titres à eux seuls enchantent.

Viennent ensuite de magnifiques estampes de grandes fleurs associées à un petit animal, oiseau à la posture pour le moins acrobatique, insecte, voire grenouille qui disparaît dans les feuilles. Les cadrages évoquent la photographie moderne et les bouquets n’ont aucune apparence de composition. Economie de moyens, audace, épure, douceur des teintes… dans la suite des paysages, cette série souligne la sensibilité à la fois esthétique, enjouée, spirituelle et poétique du maître japonais.

Le clou de l’exposition figure dans la dernière salle, juste à côté d’un paravent grandiose : le diptyque des Tigre sous la pluie et Dragon, composés par Hokusai à la toute fin de se vie et dont le lien n’a été établi que récemment (la première de ces deux oeuvres appartenant au musée Ota de Tokyo et l’autre faisant partie d’une donation récente au musée Guimet). Avec le beau jeu de diagonales, les regards croisés des animaux, l’opposition lumineuse et chromatique, la symétrie et la complémentarité des deux pièces sont fascinantes. On dit qu’il s’agit du testament d’Hokusai. Et l’on ne peut s’empêcher de songer avec émotion à cet homme mort dans la misère dans sa quatre-vingt-dixième année alors qu’il pensait qu’il avait encore beaucoup à apprendre…

Hokusai "L’affolé de son art"
Jusqu’au 4 août 2008
Musée national des Arts asiatiques Guimet
6, place d’Iéna – Paris 16ème
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h
Catalogue Hokusai 1760-1849, « l’affolé de son art », sous la direction d’Hélène Bayou
Coédition musée Guimet / RMN, 2008, (245 p., 39 €)

Image : Trente-six vues du Mont Fuji, Vent frais par matin clair (1830-32), legs Charles Jacquin, 1938, AA 380 © musée Guimet / Thierry Ollivier

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Aquarelle : atelier et plein air. Musée d'Orsay

Musée d'Orsay, accrochage aquarelles, Cézanne, le four à plâtreIl faut le reconnaître, une aquarelle ne séduit pas forcément du premier coup d’oeil. Contrairement à la peinture à l’huile et à la gouache, plus hautes en couleurs, plus pleines, plus aguicheuses, le fin lavis de l’aquarelle a le charme si discret que l’on pourrait passer devant sans le remarquer.
Un petit tour à la Galerie des Arts graphiques du Musée d’Orsay jusqu’au 7 septembre rectifiera cette erreur. Le choix parmi le fonds du Musée est resserré – deux salles : bonne raison pour s’y attarder un peu.

Alors que les artistes anglais en étaient friands et maîtres depuis le XIXème siècle, en France l’aquarelle était traditionnellement réservée à l’exercice du peintre, à l’étude qui précédait l’exécution de la toile en atelier. Il en est ainsi des croquis et des esquisses de Pierre Bonnard, Jules Elie Delaunay, Edgar Degas, Edouard Manet. Ces deux derniers, contrairement à leurs contemporains plus franchement au coeur du mouvement impressionniste ne furent jamais des peintres de plein air ; leurs aquarelles ne resteront que des sortes de notes préparatoires à leurs travaux d’atelier.
Mais passons dans la seconde salle, et nous voici "dehors" avec le peintre de marines Eugène Boudin (1824-1898), Normand resté fidèle toute sa vie à Honfleur : scènes de bord de mer, élégantes sur la plage à Trouville, vues de port. Il fut l’un des précurseurs en France d’un genre nouveau qui allait connaître un grand succès avec les impressionnistes : la saisie des paysages en extérieur.
Tout près, les belles aquarelles du néerlandais Johan Barhold Jongkind (1819-1891) : marines et scènes côtières également, mais dont se dégage l’impression que la présence de l’eau n’est qu’un prétexte. Le motif qui attire irrésistiblement l’oeil est le ciel. Immense, toujours différent, parfois d’une couleur inattendue, il joue l’harmonie avec les autres teintes (superbe vert mousse du jardin qui fait écho au jaune du ciel dans Jardin de la ferme Toutin à Honfleur) et constitue l’écrin idéal, faisant magistralement ressortir la beauté et l’harmonie des compositions.
Quelques mètres plus loin, éblouissement avec Paul Signac et notamment sa Vue de Bayonne toute multicolore. Fi des teintes délavées, voici de l’orange, du jaune vif, du bleu Majorelle. Quelle audace, et quel équilibre remarquable, avec son bouquet de lignes sinueuses pour définir l’eau et les arbres, et emporter le regard loin des lignes géométriques du bateau et du pont sur l’autre partie du tableau.
Avant de partir, un regard pour les esquisses de Cézanne, notamment ce Four à plâtre très épuré mais où la recherche des lignes et des volumes est tout à fait présente. Au fond, la montagne Sainte-Victoire non peinte apparaît comme l’émouvante annonce de ce qui suivra. En une cinquantaine d’aquarelles, ce très bel accrochage nous fait parcourir, discrètement, un chemin fondamental et passionnant de l’histoire de la peinture.

Aquarelle : atelier et plein air
Musée d’Orsay
Jusqu’au 7 septembre 2008
TLJ sf le lundi de 9 h 30 à 18 h et le jeudi jusqu’à 21 h 45
Entrée 8 € (TR : 5,5 €)

Image : Paul Cézanne (1839-1906), Le Four à plâtre (au fond, la montagne Sainte-Victoire). Vers 1890-1894. Crayon noir et aquarelle sur papier vélin, trous d’épingles aux angles, 42 x 52,9 cm © Photo RMN / © Jean-Gilles Berizzi

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Traces du sacré. Centre Georges Pompidou

exposition traces du sacré au Centre PompidouQue faire lorsqu’après avoir passé 2 heures dans une exposition présentée comme réunissant des oeuvres exceptionnelles autour d’un thème inédit, vous en ressortez au bord de la nausée, avec le sentiment de n’avoir rien vu de beau et une idée de son propos aussi vague qu’avant d’y entrer ?

Y penser un peu ; laisser reposer une semaine ; voir alors ce qu’il en reste.
D’abord, l’éblouissement de la première salle Trace des dieux enfuis. A la fin du XVIIIème et au cours du XIXème siècles, des artistes proclament que Dieu est mort et enterré : Nietzsche, Germaine de Staël, Munch et surtout Goya avec sa magnifique gravure issue de la série Les désastres de la guerre, intitulée Rien, c’est ce qu’il dira. Après son passage "de l’autre côté", un cadavre nous délivre ce message laconique : Nada. Il n’y a pas d’autre monde. Il n’y a rien. (1)

Mais il était bien sûr impossible d’en rester là, de contempler tranquillement cette béance.
C’est ainsi que de Nostalgie de l’infini à L’ombre de Dieu, l’exposition parcourt les différentes réponses que les artistes ont essayé de proposer tout au long du XXème siècle à leurs questionnements spirituels une fois débarrassés des dogmes religieux.
Et il s’agit dès lors pour le visiteur de tenter de s’accrocher vaille que vaille à cet interminable magma utopico-cosmico-ésotérique (ou quelque chose comme ça).

Naturellement, la grandiloquence est souvent au rendez-vous ; la laideur hélas presque autant ; quant aux voix psalmodiant d’entêtantes prières, elles ne laissent à aucun moment les oreilles en repos.
Les créations psychédéliques peuvent éventuellement divertir. Le reste, pas du tout.
Avec les abominations du XXème siècle, l’on passe de la question du rapport au divin à celle de la définition de l’humanité, ce que soulignent les effrayantes oeuvres de l’entre-deux-guerres, puis celles qui évoquent les horreurs de la Seconde.

Plus loin, une partie de l’exposition est consacrée à des happenings d’artistes mettant en scène des rituels sacrificiels et autres cérémonies mystiques n’excluant pas la communion. La provocation n’est évidemment jamais loin. Ainsi, en novembre 1969, Michel Journiac, à l’occasion de la Messe pour un corps célébrée dans la galerie Templon proposait à ses (fidèles) spectateurs des hosties constituées de rondelles de boudin frit élaboré avec son propre sang.
Ce n’est qu’un exemple. L’exposition clôturée sur une légèreté de ce ce genre, l’on en a presque oublié les Kandinsky, Chagall, Matisse, Beuys, Picasso vus au fil du parcours. De très belles oeuvres assurément. Ailleurs, on les aurait adorées.
Ici, elles ont semblé plombées, parfois d’une violence excessive (typiquement, la série mythologique de Picasso autour du minotaure, qui peut être lue de façon plus ambigüe que ne le fait le commentaire de l’exposition).

Une semaine après, il reste une autre image de cette visite ; celle qui saisit en sortant de la salle : la splendeur des toits de Paris à perte de vue sous le soleil rougeoyant. Puis la redescente vers la ville, son bitume et ses pavés grouillants. Qu’elle est belle cette descente-là, qu’il est bon de retrouver la chaussée, son air pollué, ses bruits ordinaires et ses impures odeurs.

Traces du sacré
Centre Pompidou
Jusqu’au 11 août 2008
TLJ sauf le mardi de 11 h à 21 h
Entrée 12 € (TR 9 €)

(1) Encore quelques jours pour aller voir l’exposition  »Goya graveur » au Petit-Palais, autrement plus nourrissante que celle-ci

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Goya graveur au Petit Palais

Goya graveur au Petit Palais à ParisArtiste des Lumières, peintre à la cour d’Espagne, Francisco de Goya (1746-1828) donne dans la gravure libre cours à son imagination.
Devenu sourd en 1792, il commence alors la série des Caprices, souhaitant par cette composition de fantaisie en vogue au XVIIIème (dans la veine des vénitiens Tiepolo et Piranese notamment) "bannir de nuisibles croyances communes et perpétuer le solide témoignage de la vérité".
L’artiste y dénonce l’hypocrisie de la société espagnole, les excès de la religion, le sort fait aux femmes, la vanité, l’ignorance, l’obscurantisme. Caractère universel du propos, langage très personnel fait de monstres, d’hommes et de bêtes mêlés dans un imaginaire singulier, compositions épurées toutes concentrées sur les personnages ; virtuosité, finesse, maîtrise des jeux de lumière et de mouvements : la série des Caprices est aussi admirable que fascinante.

Homme du XIXème siècle également, Goya a connu l’invasion des troupes napoléoniennes et les ravages de la guerre dans son pays. Il en témoigne dans les Désastres de la guerre, titrant "J’ai vu cela" l’une des gravures de la série et attaquant avec une violence inouïe l’absurdité de la guerre, la brutalité, la famine, la maladie, le viol, la cruauté. Ces gravures d’une actualité captivante remplissent d’effroi.

Enfant d’Espagne passionné de tauromachie, aficionado, Goya rend à cet art un hommage appuyé à travers trois séries : une histoire (plus ou moins inventée) de la tauromachie ; des scènes d’arène dans lesquelles il met en valeur l’audace des grands toreros ; et enfin la série dite des Taureaux de Bordeaux, quatre magnifiques lithographies exécutées à la toute fin de sa vie, alors qu’il était exilé en France.

Partie la plus énigmatique du parcours, Les Disparates, série inachevée dans laquelle Goya semble s’être affranchi de tout souci de réalisme et de lisibilité, place le spectateur déboussolé dans le domaine du rêve, du fantastique, voire de la folie. Ces gravures passionnantes permettent de retrouver presque tous les thèmes explorés par l’artiste dans ses oeuvres précédentes : le ridicule, la bêtise, le vice, l’ignorance, la guerre, la violence.

Voici enfin, dans la dernière salle, perdue au milieu d’oeuvres d’artistes symbolistes, la célèbre planche des Caprices, Le sommeil de la raison. Son titre complet, L’imagination abandonnée par la raison engendre des monstres impossibles ; mais elle est aussi mère des arts et origine de leurs merveilles pourrait être la belle et ambigüe conclusion de cette exposition exceptionnelle où se retrouvent tout à la fois l’humour, la beauté, l’intelligence et la lucidité de l’oeuvre de Francisco de Goya.

Goya graveur
Jusqu’au 8 juin
Petit Palais – musée des Beaux-arts de la ville de Paris
Avenue Winston Churchill – Paris (8e)
TLJ de 10 à 18h, sauf les lundis et jours fériés
Nocturne le jeudi jusqu’à 20h
Entrée : 9 € (TR 6 €)

Image : Le sommeil de la raison engendre des monstres, planche 43 des Caprices

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Pas la couleur, rien que la nuance !

Exposition pas la couleur aux Musées des Augustins à ToulouseLa peinture, c’est le jeu des couleurs, des contrastes, des éclats lumineux ? Pas toujours. Le monochrome, le camaïeu, la grisaille, ont leur propre beauté. La preuve est donnée dans cette exposition à la thématique rarement rassemblée.

Oh, les artistes n’ont pas tout de suite trouvé une légitimité esthétique à se passer de couleurs.
Jusqu’au début du XVIIe siècle, les œuvres grises qui nous sont parvenues sont essentiellement des travaux préparatoires à des réalisations plus définitives : par exemple pour la gravure (l’inquiétant Les Morts sortent de leurs tombeaux de Barendsz), ou des maquettes pour de grandes compositions (La Résurrection de Rubens), ou encore des modèles pour la tapisserie (une bataille de Quellinus).

Puis une mode se répand : l’imitation de la sculpture par le pinceau. L’utilisation des gris est alors évidente, avec une extraordinaire variété de nuances. Le Massacre des Innocents de Jacques Stella est très représentatif de ces performances. Certains vont nettement jusqu’au trompe l’œil : imitation de bas relief de pierre, mais aussi de bronze patiné, avec de belles gradations de jaunes et de verts chez Piat-Joseph Sauvage, ou encore de vieil or chez Alexandre François Desportes.
Bien des fois l’artiste a réussi une œuvre originale alors qu’elle ne se voulait que le moyen d’en préparer une autre. Ainsi Gabriel François Doyen dans sa préparation au fameux Miracle des Ardents de l’église Saint Roch à Paris : après des esquisses en couleur, il réalise une grisaille où les nuances disent l’essentiel.

pas_la_couleur_carpeaux.jpgMais c’est au XIXe siècle que l’on assume totalement l’intérêt de la grisaille ou de la monochromie comme méthode à effet esthétique à part entière. Et l’on découvre ici de belles œuvres de Puvis de Chavannes, des deux Gustave, Doré et Moreau, de Benjamin Constant. Un des tableaux les plus étonnant est celui de Jean-Baptiste Carpeaux : cette Scène d’accouchement toute en suggestion de violence, souffrance et délivrance est très impressionnante.

Même si quelques unes de cette soixantaine d’œuvre ont traversé les frontières pour venir à Toulouse, on remarque que les musées des villes en région constituent l’essentiel de l’exposition, et l’on se dit : que de tours de France à projeter à la découverte de ces trésors, de Dieppe à Albi, de Castres à Douai, de Reims à La Rochelle !

Pas la couleur, rien que la nuance !
Trompe-l’oeil et grisailles de Rubens à Toulouse-Lautrec
Jusqu’au 15 juin 2008
Musée des Augustins – Musée des Beaux-Arts de Toulouse
21, rue de Metz – Toulouse
TLJ de 10 h à 18 h, nocturne le mercredi jusqu’à 21 h
Entrée : 6 € (TR : 4 € et gratuit pour les moins de 18 ans)

Images : Ce que font les gens pour de l’argent, Adriaen Van de Venne (1589-1662), H. s. bois (Lons-le-Saunier, musée des Beaux-Arts Photo © Lons-le-Saunier, musée)
et Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), H. s. t. (Paris, musée du Petit Palais © Paris, musée du Petit Palais, photo : Roger-Viollet)

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Rencontres de la Villette 2008 : L'appartement

L'appartement, art brut aux rencontre de la VilletteVisiteurs et lecteurs franciliens, vous avez jusqu’au 27 avril pour vivre une expérience qui ne ressemble à nulle autre. Son énoncé, déambulation théâtrale dans une exposition d’art brut ne doit en rien vous effrayer.
La proposition ne coûte que 6 €, dure 40 minutes et a lieu dans le cadre des Rencontres de la Villette 2008, treizième édition d’une manifestation de cultures urbaines qui se plaît à mélanger les disciplines. L’état d’esprit est franchement au dialogue, à l’ouverture et à la découverte.

Avec L’appartement, vous entrerez dans l’un de ces petits mondes comme on les aime, cohérent, singulier et décalé, tellement humain.

Du petit salon rouge, lumières tamisées, piano, meubles anciens, tableaux, des voix vous entraînent vers le couloir, puis dans la grande cuisine, longue table, linge suspendu, pain, café chaud, tartes, tableaux. En face, le séjour, clair, canapé, télé, tableaux. Enfin la chambre, coiffeuse, miroirs, voile blanc sur le lit, tout en en féminité, encore des tableaux.

Dans chacune des pièces, vous aurez fait fait étape pour écouter autant les mots que les voix des comédiens professionnels (handicapés) de la compagnie de L’Oiseau-Mouche, disant des lettres, des fragments d’écrits de malades mentaux. Aimanté, vous aurez aussi contemplé longuement ces tableaux d’art brut issus de la collection de la galerie abcd à Montreuil. (1)

Le corridor est entièrement consacré à des dessins d’Adolf Wölfli, l’un des plus célèbres artistes de l’art brut, la chambre à ceux d’Aloïse Corbaz. Dans le séjour, de nombreuses oeuvres ne manquent pas de fasciner. Ce qui frappe le plus dans ces dessins, c’est peut-être le détail, la minutie avec laquelle ils ont été réalisés. Il faut s’approcher de près pour voir que la moindre "ornementation" est motif figuratif ; parfois ce sont des mots écrits tout petits comme un fil ininterrompu qui complètent le trait. Les compositions sont très denses mais finalement ordonnées.
Dans le dessin à l’encre de Lubos Piny, l’un des plus impressionnants de l’exposition, se mêlent hyper-réalisme des organes, vision éclatée du corps humain et mise en évidence des liens du fonctionnement organique. Impossible à décrire mais à voir absolument.

L’on se sent bien dans ce lieu, à écouter ces voix parfois accompagnées de musique. Le vocabulaire, pictural ou non, de ces artistes nous parle. A cette fatigue, à ces passions, à ces peurs et à ces délires, l’on entend des échos résonner en nous. L’ambiance intime et le décor ancien de l’appartement renvoient à une intériorité et à un passé rassurant. Comme si la vision de ces folies-là nous reposait.

L’appartement, Déambulation théâtrale dans une exposition d’art brut
Rencontres de la Villette 2008, Grande Halle, studio 1
Les 18, 19, 25 et 26 avril à 17 h, 18 h 30 et 21 h ; le 24 avril à 19 h et 22 h
Entrée 6 €
Entrée libre à l’exposition/projection le mer. à partir de 19 h et le dim. à partir de 14 h
Conception et réalisation : Bruno Decharme, Kate France et Sylvie Reteuna
En partenariat avec la galerie abcd, la Cie de L’Oiseau-Mouchet et la Cie La Sibylle

(1) L’art brut désigne les oeuvres spontanées, échappant à toute influence culturelle, réalisées par des personnes créant en dehors des normes esthétiques convenues, par exemple par les pensionnaires d’asiles psychiatriques. Ce terme a été inventé en 1945 par Jean Dubuffet.
Lire le billet sur Le plancher de Jean
Dossier assez fouillé sur le site de la galerie abcd.

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Le Dernier Titien et la Sensualité de la peinture

Le dernier Titien et la sensualité de la peinture à l'Académie de VeniseL’Académie de Venise réunit quelques vingt-huit tableaux que Titien a réalisés dans la dernière partie de sa longue vie, entre 1550 et 1576.

Les chefs-d’oeuvre venus d’un peu partout en Europe se répondent et se complètent au fil d’un accrochage particulièrement heureux.

Les deux premiers ne font pas mentir le titre de l’exposition, avec Venere che benda Amore, merveille de tendresse et de douceur et Danae dont le corps nu resplendit de lumière sur le draps blanc, recevant la pluie d’or dont on croit sentir la chaleur. Une atmosphère encore réchauffée par le carmin du rideau qui abrite la couche de Danaé. Les blancs et les rouges des deux toiles, leur commune sensualité créent un magnifique ensemble.

La manière de peindre de Titien à cette période, plus libre que jamais, bien qu’il ne travaillât presque exclusivement que pour la cour d’Espagne, semble lui avoir autorisé une expression des sentiments des plus hardies.

Ainsi, toujours dans la série des grandes toiles mythologiques et religieuses, qu’il appelait "poésies", Santa Margherita con il drago saisit par l’effroi qui s’en dégage.
Si l’on devine le plaisir du peintre à placer au centre du tableau le beau corps de Sainte Marguerite, soulignant sa torsion par le drapé de la robe relevée par le dragon et les bras nus tendant la croix de l’autre côté, il a imprimé à son visage un intense désarroi, auquel fait écho l’ensemble du décor : nature sombre où, sous un ciel d’orage gisent corps du dragon et crâne humain ; étoffe verte de la robe qui contribue à créer une ambiance fantastique.
Tout à côté et tout en contrastes, l‘Annuciazione : au ciel lourd et au monstre répondent les anges, à la frayeur du visage penché répond une onde de bonheur ; tout n’est ici que lumière, quiétude et légèreté.

De tableau en tableau, y compris avec la sélection de portraits, dont le célèbre et impressionnant Autoritratto du Prado, les thèmes et les inspirations dialoguent dans une diversité et une cohérence remarquables.

L’exposition se termine naturellement avec la Pieta (qui est à demeure à l’Académie de Venise), destinée, selon la volonté du peintre, à orner sa sépulture dans l’église Santa Maria Gloriosa dei Frari. Titien est mort avant de pouvoir l’achever, ce qui fut finalement fait par Palma le Jeune. Le tableau n’est peint que par touches, et même avec les doigts. Testament ô combien poignant que ce tableau aux formes sans contours, ni pratiquement de couleur, où le peintre juste avant sa mort s’est représenté en vieillard implorant agenouillé aux pieds de la Vierge qui soutient le corps exsangue de son fils.

Le Dernier Titien et la Sensualité de la peinture
Galeries de l’Académie de Venise
Exposition prolongée jusqu’au 4 mai 2008
Du mardi au dimanche de 8 h 15 à 19 h 15
Lundi de 8 h 15 à 14 h
Entrée : 10 € (TR : 7 €)
Gallerie dell’Accademia di Venezia
Campo della Carità – Dorsoduro 1050
30130 Venezia

Image : Danae, Vienna, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie

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Le Musée national du Message biblique Marc Chagall

Musée national du Message Biblique Marc Chagall"Depuis ma première jeunesse, j’ai été captivé par la Bible. Il m’a toujours semblé et il me semble encore que c’est la plus grande source de poésie de tous les temps. Depuis lors, j’ai cherché ce reflet dans la vie et dans les Arts (…) Au fur et à mesure de mes forces, au cours de ma vie, bien que parfois j’aie l’impression que le monde est pour moi un grand désert dans lequel mon âme rode comme un flambeau, j’ai fait ces tableaux à l’unisson de ce rêve lointain. J’ai voulu les laisser dans cette maison pour que les hommes essaient d’y trouver une certaine paix, une certaine religiosité, une spiritualité, un sens de la vie (…) Et tous, quelle que soit leur religion, pourront y venir et parler de ce rêve, loin des méchancetés et de l’excitation (…) ; dans l’Art comme dans la vie, tout est possible si, à la base, il y a l’Amour."

Inauguré en 1973, le Musée national du Message biblique à Nice a été conçu par l’architecte André Hermant, en étroite collaboration avec l’artiste, qui décida lui-même de la disposition des tableaux : dix-sept grandes toiles inspirées par la Genèse, l’Exode et le Cantique des Cantiques.
Marc Chagall les a peintes entre 1956 et 1966 et en a fait aussitôt donation à l’Etat. Il a également créé, pour le Musée, bâtiment sobre et moderne, une mosaïque surplombant une pièce d’eau et des vitraux pour l’auditorium.

Le tout est une splendeur absolue ; il ne séduira pas seulement les croyants, tant la beauté des toiles et la sérénité qui se dégage des lieux appellent au recueillement et à la contemplation.
Dans la première salle, l’accrochage des douze peintures illustrant les deux premiers livres de l’Ancien Testament obéit davantage aux rapports de couleurs des tableaux qu’à l’ordre du récit biblique. Les épisodes traités par l’artiste sont très axés sur l’humain et les motifs qui sont siens (personnages mi-hommes, mi-bêtes, oiseaux, poissons volants, hommes et femmes en lévitation, soleil et lune, couples et maternités…) semblent y trouvent leur place naturelle.
L’utilisation des couleurs dans leur complémentarité et leur succession relève de la virtuosité ; les compositions peuplées et vivantes mais jamais surchargées contribuent à conférer à l’ensemble un sentiment d’apesanteur.

Musée national du Message Biblique Marc Chagall, Cantique des CantiquesDans la deuxième salle, beaucoup plus intime, cinq tableaux à dominante rouge sont consacrés au Cantique des Cantiques, autre livre de l’Ancien Testament. Si le caractère sacré est bien présent, notamment avec la représentation de Jérusalem et de David, ces peintures sont avant tout une exaltation de l’amour de l’homme et de la femme, où couples enlacés, colombes, arbres multicolores, ânes paisibles n’évoquent que douceur, sensualité et poésie.

Musée national du Message biblique Marc Chagall
Avenue Docteur Ménard – Nice (bus n° 22)
De mai à octobre de 10 h à18 h
De novembre à avril de 10 h à 17 h
TLJ sauf le mardi
Entrée : 6,50 € (TR 4,50 €)
Gratuit jusqu’à 18 ans et le premier dimanche du mois.

Images : La Création de l’homme’ et Le Cantique des Cantiques II », © ADAGP, Paris, 2002

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Bernard Piffaretti en V.O. au Musée Matisse Le Cateau-Cambrésis

Bernard Piffaretti, version originaleL’oeuvre de Bernard Piffaretti s’inscrit à bien des égards dans un jeu de mémoire.
Son processus de création picturale est depuis plus de vingt ans fondé sur la duplication : après avoir divisé la toile en deux et peint d’un côté ou l’autre du large trait vertical, il duplique le motif sur l’autre pan, non pas en le copiant, mais en essayant de retrouver les gestes successifs qui ont guidé le premier acte créatif.
Le résultat n’est donc jamais identique de part et d’autre du trait ; l’impression de double est fausse ; le spectateur se trouve toujours face à un seul tableau. Ou comment "1 + 1 n’égale pas 2, mais 1 + 1 égale 1", comme l’artiste se plaît à le souligner.

Puis, tous les 6, 8 ou 12 mois, il interrompt sa peinture et se met à dessiner ses tableaux peints. Ce travail de duplication n’a rien à voir avec celui qui caractérise l’élaboration des tableaux, et, intervenant a posteriori n’a aucune valeur de genèse. Bernard Piffaretti explique qu’au fil des ans, la reproduction des tableaux en dessins lui est devenue nécessaire, comme d’un temps de "désœuvrement" pour régénérer sa création.
En écho aux oeuvres peintes, de grandes dimensions, ces petits dessins au crayon de couleurs ne manquent pas d’évoquer un album photos, le recueil d’images que l’on constitue à un point d’étape pour tenter de rassembler les enregistrements des épisodes précédents.
A cette remarque l’artiste sourit et approuve, mais rappelle que, comme entre les deux parties du tableau "ici aussi, il y a un écart, le dessin ne peut être la photographie du tableau".
Peut-être une autre façon de dire que rien ne peut être refait à l’identique, mais tout au plus, "fait une nouvelle fois".

Enfin, à travers cette magnifique exposition, Bernard Piffaretti rend hommage à la mémoire d’Henri Matisse, figure fondatrice du Musée.
C’est davantage aux mots de Matisse qu’à sa peinture que l’artiste fait référence, en associant à vingt de ses tableaux déjà peints une phrase extraite des Ecrits et propos sur l’art d’Henri Matisse.
L’idée ? Pas de juxtaposition de phrases aux accrochages, mais un film (présenté en début d’exposition et inséré dans le catalogue) offrant des vues sur les tableaux de Piffaretti et sur lesquelles les phrases de Matisse apparaissent en sous-titrage (d’où le titre de l’expo).
Le résultat est très réussi, d’autant que la résonance de l’influence de Matisse dans les toiles de Piffaretti est tout à fait visible, notamment dans la combinaison des aplats de couleurs vives et du trait noir, dans les motifs de grilles, points et arabesques. Une jolie et originale marque de l’héritage décidément très large laissé par l’enfant du pays.

Bernard Piffaretti V.O. (version originale sous-titrée)
Jusqu’au 15 juin 2008
Musée Matisse Le Catau-Cambrésis
Palais Fénelon – 59360 Le Cateau-Cambresis
tél. : 00 33 (0)3 27 84 64 64
Tlj sauf le mardi, de 10 h à 18 h
Entrée 4,50 € (TR 3 €), gratuit les 1ers dimanches du mois
Visites guidées sans réservation le samedi à 15 h et le dimanche à 10 h 30
Accès : à 90 km de Lille et 170 de Paris ; les week-ends et jours fériés un train Corail Intercités fait la liaison Paris/Le Cateau-Cambresis
Catalogue : Emilie Ovaere, Bernard Marcadé, Michel Giroud, 120 p. avec le DVD du film, 25 €

Image : Bernard Piffaretti Sans titre, 1993 Acrylique sur toile, 181 x 222 cm Atelier de l’artiste, Paris © ADAGP, Paris 2008 Photo Bertrand Huet/Tutti
Henri Matisse « Les moyens les plus simples sont ceux qui permettent le mieux au peintre de s’exprimer. S’il a peur de la banalité, il ne l’évitera pas en se représentant par un extérieur étrange, en donnant dans des bizarreries du dessin ou les excentricités de la couleur. »

Toutes les citations d’Henri Matisse sont extraites de Ecrits et propos sur l’art, Editions Hermann, Paris 1972

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La Fondation Marguerite et Aimé Maeght à Saint-Paul

Fondation Maeght, Saint-PaulInaugurée le 28 juillet 1964, la Fondation Maeght à Saint-Paul (Alpes-Maritimes) a été pensée comme un ensemble architectural parfaitement intégré au milieu naturel.
Très marqués années 1960, les lieux ont plutôt bien vieillis. Utilisant la pierre récupérée dans les collines, le béton brut et les briques roses modelées à la main et cuites au feu de bois selon la tradition locale, la construction imaginée par Josep Lluis (1) était particulièrement ingénieuse.

Pour profiter du cadre exceptionnel et en particulier de la lumière, les demi-voûtes en verre diffusent un éclairage naturel dans les salles, tandis que les nombreuses ouvertures permettent de garder en permanence un oeil sur l’extérieur et les sculptures qui y sont installées.

Car l’espace muséal de la Fondation Maeght se situe autant à l’intérieur (aux très agréables variations de niveaux) que dans les jardins, architecturés en différents lieux d’exposition, conférant à l’ensemble une sensation de déambulation et de détours qui soutient l’attention tout en faisant de la visite une belle ballade.

L’on admire ainsi notamment : des statues de Giacometti, des sculptures, des peintures, des lithographies et même une tapisserie de Joan Miró, un bassin dont la mosaïque a été dessinée par Georges Braque, à l’origine également du vitrail tout mauve de la petite chapelle Saint-Bernard (édifiée à l’emplacement d’un ancien sanctuaire), des oeuvres de Calder, van Velde, Ubac, Jan Voss…

Sans oublier une superbe salle carrée où quatre immenses toiles se répondent comme pour mieux évoquer le bonheur de la vie méditerranéenne : La vie de Marc Chagall, si joyeux et coloré, Le partage des eaux de Pierre Alechinsky, archipel vu du ciel aux dominantes de bleus et de vert turquoise, L’été de Pierre Bonnard, vision paradisiaque de femmes et d’enfants dans un océan de végétation, et La partie de campagne de Fernand Léger, ode franc aux loisirs et au grand air.
Donc à voir évidemment ; mais ne pas trop attendre pour y aller car l’on a nul besoin de la foule estivale pour admirer ces "choses"-là…

Fondation Marguerite et Aimé Maeght
06570 Saint-Paul
TJL, du 1er oct. au 30 juin de 10 h à 18 h
et du 1er juil. au 30 sept. de 10 h à 19 h
Entrée 11 € (TR 9 €)

(1) Architecte d’origine catalane comme son ami Joan Miró, Josep Lluis travailla à Paris avec Le Corbusier. En 1958, il fut nommé à la tête de la faculté d’architecture à Harvard. Il édifia notamment le pavillon de l’Espagne républicaine où Picasso exposa Guernica à l’Exposition Universelle de Paris en 1937 et la Fondation Miró à Barcelone.

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