Les Bêtises, Jacques Laurent.

Le Goncourt 1970 ne manque pas d’ambition, surtout  lorsque le narrateur confie : « le moment approche où si mon entreprise est réussie le lecteur me connaîtra mieux que moi ». Si Jacques Laurent tente de démêler les rapports complexes entre la vie et l’écriture, le résultat n’est pas tout à fait convaincant.

C’est un ami (avec préfaces, notes de bas de pages) qui compose le livre avec les parties que l’auteur lui a successivement laissées : « Dans un premier temps le héros se révèle par la fiction qu’il a produite grâce à laquelle on découvre ce qu’il aurait voulu être ; dans le deuxième, il peint sa vie avec un recul qui n’exclut ni l’oubli, ni le plaidoyer, ni la fabrication ; dans un troisième il se survole minute après minute et en rase-mottes ». Mais ce n’est pas fini, une quatrième partie va plus au fond du personnage à l’aide de 60 pages intitulées : « Fin fond ».

La vie du narrateur se déroule sur plusieurs décennies, depuis l’Occupation jusqu’en 1966. Certains faits sont rapportés de manière différente et le lecteur est amené à faire le choix entre ce qui relève de la fiction et ce qui relève de l’autobiographie, sachant qu’au bout du compte tout fait roman. La variété des sujets abordés est très grande, d’un accord de Pétain avec la Résistance à la question de la hiérarchie dans un poulailler en passant par des réflexions sur l’œuvre de Spinoza.

L’écriture est le thème principal du livre, souligné à plusieurs reprises : « Mes meilleures omelettes au lard je les ai mangées imprimées ». Les références à la littérature sont constantes, le narrateur est toujours en train de lire un ouvrage. Il reconnaît, dans l’examen des «  Bêtises de Cambrai » (titre de la première partie) : « Bref, je ne voulais plus penser à moi, mais je m’apercevais que sans moi je ne pouvais poursuivre les Bêtises de Cambrai, sauf si je me bornais à des enjolivements qui me glaçaient ».

Le tout souffre de bien des longueurs, Jacques Laurent n’arrive pas à soutenir l’attention sur toutes les 600 grosses pages du livre. Mais on retient certaines descriptions, par exemple l’épluchure de la banane : « J’en tirais, un à un, les pans qui retombaient, autour de mes doigts joints, comme des orchidées mourantes. Ce dépiautage, juste un peu irritant par le frisson des deux chairs qui se détachaient, l’une un peu cuir, l’autre un peu serviette-éponge mouillée, précédait le plus difficile qui était de mordre dans l’extrémité pointue et alourdie d’un grain de beauté de ce fruit, le plus stupide de la création ».

Andreossi

Les Bêtises, Jacques Laurent.

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El Greco au Grand-Palais

Quelle merveilleuse exposition à aller voir au Grand-Palais avant qu’elle ne ferme ses portes le 10 février ! Il s’agit de la première grande rétrospective consacrée au Greco (1541-1614) à Paris… Cela paraît incroyable, mais la patience de ses admirateurs est largement récompensée. Aussi simple qu’efficace, le parcours, monté sur de grands murs blancs, présente quelques soixante-dix peintures augmentées de dessins et tableaux d’élèves – ceux-ci anecdotiques. Organisés en un ordre globalement chronologique, qui préserve la réunion, logique, de « séries », les tableaux sélectionnés Guillaume Kientz et Charlotte Chastel-Rousseau sont tous de haut vol.

Et on s’envole vers des sommets de spiritualité. A l’exception des « Fables », et de quelques portraits, l’ensemble illustre le Nouveau Testament (Greco est contemporain du Concile de Trente et de ses suites) : des Vierge, des Marie-Madeleine, Saint-Pierre et Saint-Paul, l’Adoration des Mages, l’Adoration des Bergers, Jésus chassant les marchands du Temple, Saint-François recevant les stigmates (le saint le plus représenté par le Greco), Saint-Martin et bien sûr le Christ.

Cardinal Fernando Niño de Guevara, 1600-1601, Metropolitan museum of art, New York

Né en Crête, commençant sa carrière à Venise dans le sillage de Véronèse, Titien, Tintoret, Basano (difficile alors d’y faire sa place), il poursuit sa route par la Rome de Michel-Ange (compliqué aussi) pour finalement gagner Tolède, alors plus importante cité de Castille. Là, il reçoit des commandes, installe son atelier, peint notamment son fameux Enterrement pour le comte d’Orgaz pour la chapelle Santo Tomé et surtout, commande royale, Le songe de Philippe II.

Succès modeste de son vivant, oubli complet après sa mort. Il faudra attendre la fin du XIX° et les révolutions picturales d’alors pour le redécouvrir. Picasso, Bacon, les Expressionnistes allemands l’adorèrent. On comprend pourquoi. Ses couleurs, empreintes de l’école vénitienne, elles ont un acidulé d’une modernité saisissante. Si certaines de ses compositions sont fracassantes (la Sainte-Famille notamment), ce qui frappe le plus est l’expression de ses personnages. A-t-on vu Vierge plus consentante, emplie, que la Vierge de l’Annonciation peinte à ses débuts ? A-t-on vu des Christ plus poignants, sans cet excès de dolorisme parfois reproché aux Maniéristes ? Et que dire des saints, en particulier Saint-François qui ferait s’agenouiller un morceau de bois ?

Ces tableaux sont tous magnifiques, viennent le plus souvent des Etats-Unis, de Tolède ou d’ailleurs. Encore quelques jours pour en profiter à Paris tant qu’ils y sont réunis.

El Greco

Grand-Palais

Jusqu’au 10 février 2020

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Le rêveur de la forêt. Musée Zadkine

Dès l’entrée de ce musée intimiste, les œuvres de Zadkine, longs personnages de bois, sans tête, en forme de totems, rassemblés sur le même socle, évoquent la forêt. La thématique de l’exposition vient des mots mêmes de l’artiste (1888-1967), qui a sculpté le bois en laissant la matière exister après le passage du ciseau.

Parmi les quelques quarante artistes représentés ici, des plus anciens (Rodin, Gauguin…) aux plus jeunes (Hicham Berrada, Ariane Michel…), les rapports de l’humanité à la forêt se déclinent en plusieurs versions, suscitant la réflexion du visiteur d’aujourd’hui, qui a ainsi l’occasion de rêver à la place qu’il occupe dans une nature formatrice.

Pour Zadkine ou Giacometti le rapport est étroit entre les hommes et la forêt, par une représentation analogique : le second façonne des personnages-arbres, tandis que le premier fait surgir les corps des troncs. Avec le « Torse » Zadkine montre bien que c’est l’humanité qui reconnaît sa parenté avec les arbres. Laure Prouvost insiste en greffant des seins sur les branches.

Ce sont les productions de l’arbre qui intéressent d’autres plasticiens : une feuille d’aucuba est mise en valeur par Marc Couturier, tandis que Dubuffet signe un tableau d’écorces et de feuilles (« Chaussée boiseuse ») et Germaine Richier fait des ramures et du feuillage une chauve- souris. L’énergie dont fait preuve la croissance végétale est soulignée par les œuvres d’Arp, d’Hicham Berrada ou de Giuseppe Penone : celui-ci enserre l’arbre par une main de bronze et le laisse croître autour de la main.

Certains artistes éloignent la forêt de l’humanité : difficile de faire entrer les humains dans les forêts d’Hicham Berrada ou d’Eva Jospin, parce qu’elles semblent parfaitement se passer d’eux ou parce qu’elles apparaissent impénétrables. La « Dernière Forêt » de Max Ernst, envahie par les formes végétales n’a pour témoin que la lune.

Passé dans l’atelier de Zadkine en traversant le jardin, à côté d’autres œuvres, on retiendra l’installation d’Ariane Michel : une vidéo aux tons sombres montre un homme imitant les bruits de la forêt, la nuit, à l’aide de divers instruments. On retrouve ceux-ci déposés au pied de l’écran, la plupart objets d’un quotidien trivial qui contraste fortement avec l’image des mystères de la forêt, la nuit. Si la forêt est inimitable, c’est qu’elle est irremplaçable.

Andreossi

Le rêveur de la forêt

Musée Zadkine

100bis rue d’Assas Paris

Jusqu’au 23 février 2020

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Dieu est né en exil. Vintila Horia

Drôle d’aventure pour le Goncourt 1960 : attribué, il n’a pas été décerné. C’est qu’on a découvert que son auteur, Vintila Horia, après un passé de militant fasciste, avait été condamné dans son pays d’origine, la Roumanie. Réfugié après 1945 en France puis en Espagne il connaît bien la condition d’exilé qui est le thème de son roman écrit dans un impeccable français.

L’auteur, à partir des écrits du poète Ovide, imagine la tenue d’un journal de ce Romain banni par l’empereur Auguste en l’an 9. Exilé à Tomes, dans l’actuelle Roumanie, Ovide commence à ne penser qu’au retour à Rome. Mais au bout des huit ans de relégation, son état d’esprit a beaucoup évolué, car il a appris à connaître les « barbares » du lieu, les Gètes, et est prêt à abandonner le polythéisme romain pour la nouvelle religion émergente, le christianisme.

Nous suivons année après année cette évolution, qui passe par l’abandon de la vie urbaine qu’il a connue et l’évocation de sa jeunesse, dans une atmosphère de douce mélancolie : « Le soir était calme, il faisait encore chaud, les feuilles des oliviers se renversaient doucement dans la brise en faisant voir leur ventre argenté, comme de petits poissons dans une eau limpide ».

Ovide devient de plus en plus critique vis-à-vis de l’impérialisme romain : « Les Romains faisaient avancer partout les limites de l’empire, à force de couper des têtes et d’implanter des lois, sans se douter que la terre n’avait pas de fin et que leur entreprise demandait autant d’hommes que tous les autres hommes de l’espace à conquérir ». Il observe comment certains peuples gardent une bonne part de leur culture : « Notre civilisation a sans doute ses avantages et les Gètes savent en profiter. Ils tolèrent la présence des Grecs qui ont su les apprivoiser, en faisant de leurs villes des centres commerciaux florissants où les Gètes viennent changer leurs produits ».

C’est par rapport à la religion que le changement dans les valeurs d’Ovide est le plus manifeste. Grâce à des rencontres qui l’ont marqué, comme avec sa servante Dokia, ou avec le médecin Grec Théodore, il est séduit par le monothéisme. Théodore raconte : « Comment pouvais-je croire encore à Zeus, l’adultère, le criminel, le jouisseur, l’inverti, quand, devant mes yeux, à Alexandrie, j’apprenais que Dieu était un seul, quoique sa substance était triple ? Connaissez-vous cette doctrine ? Elle est d’une grande beauté ».

Peut-être Vintila Horia a-t-il pris des libertés avec l’Histoire, mais son roman n’en reste pas moins très agréable à lire.

Andreossi

Dieu est né en exil. Vintila Horia

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Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse

Paul Signac (1863-1935), Opus 217. Sur l’émail d’un fond rythmique des mesures et d’angles, de tons et des teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890. Huile sur toile, 73,5 x 92,5 cm. The Museum of Modern Art, New York. Gift of Mr. and Mrs. David Rockefeller. © Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence

Après avoir fait l’objet d’une première exposition, consacrée à sa collection d’arts lointains (Musée du Quai Branly, été 2019), Félix Fénéon occupe à nouveau l’actualité avec la présentation, au Musée de l’Orangerie, de sa collection d’œuvres néo-impressionnistes et de masques africains. Au-delà de cet affichage, l’exposition nous invite à découvrir la personnalité singulière de celui qui fut critique d’art (« le seul en cent ans » selon Jean Paulhan), journaliste, directeur artistique de galerie et collectionneur, fonctionnaire et anarchiste.

Dès 1883 (il a 22 ans), Félix Fénéon rédige des articles, surtout des critiques d’art, pour de nombreuses petites revues littéraires et artistiques. Il s’intéresse aux courants modernes et soutient les néo-impressionnistes (c’est lui qui crée le néologisme) avec lesquels il entretient des liens étroits, faits d’admiration profonde et de d’amitié sincère.

Le critique a été ainsi particulièrement impressionné par le tableau de Georges Seurat, Un dimanche à la Grande Jatte, dévoilé en 1886. Cette œuvre, qui appartient aujourd’hui à l’Art Institute de Chicago, n’a pas été prêtée, mais l’exposition en présente une étude, venue du MOMA. Elle affiche aussi, au début du parcours, trois admirables petites Poseuses que Fénéon considérait comme les toiles les plus précieuses de sa collection. Principal collectionneur de Seurat, Fénéon apparaît donc tout naturellement comme le grand spécialiste de l’artiste, dont il établira le premier catalogue raisonné de l’œuvre.

Il est aussi l’ami intime de Paul Signac. Le critique défend régulièrement la production de l’artiste, et celui-ci peindra un Portrait de Felix Fénéon 1890 qui deviendra un emblème du néo-impressionnisme. Fénéon conservera ce tableau dans sa collection toute sa vie.

Le critique fut aussi l’un des premiers à s’intéresser à la peinture d’Henri-Edmond Cross. Il présentera, avec un grand succès, l’œuvre de ce dernier lors d’une exposition personnelle à la galerie Bernheim-Jeune en 1907 et deviendra l’exécuteur testamentaire du peintre après sa mort. L’exposition met en valeur le très beau tableau de Cross : Les îles d’Or.

Seurat Georges (1859-1891). Etats-Unis, New-York (NY), The Metropolitan Museum of Art

Outre les œuvres de ces trois artistes, la collection personnelle de Fénéon, une des plus belles de l’époque, comportera des tableaux de Vuillard, Bonnard, Toulouse-Lautrec, Luce, Matisse, Modigliani… Ces artistes sont représentés dans l’exposition de l’Orangerie, même si les tableaux accrochés n’ont pas tous appartenu au collectionneur. Cette collection sera dispersée par les ventes de 1941 et 1947.

La même clairvoyance permet à Fénéon de défendre les poètes qu’il admire : Rimbaud (soutenu très tôt), Mallarmé, Jules Laforgue, Charles Cros, Apollinaire, Verlaine, Jarry… Par discrétion, Fénéon publie peu sous son nom : aucun poème, aucun roman… mais il rédige beaucoup d’articles, souvent anonymes, dont les savoureuses Nouvelles en trois lignes, exemplaires d’humour et de concision.

Sa plume est mise aussi au service de ses convictions anarchistes, qui le rapprochent de Signac et Cross dont il partage les idéaux. L’exposition présente une réplique du tableau de Signac Au temps d’harmonie, qui s’appelait à l’origine Au temps d’anarchie, et qui peut être interprétée comme une vision pacifiée de l’anarchie. L’engagement politique de Félix Fénéon fut réel et l’amena à être inquiété (et brièvement inculpé) lors du procès des Trente en 1894. Cet épisode mit naturellement fin à l’emploi de fonctionnaire qu’il occupait, avec un grand sérieux, au Ministère de la guerre depuis 1881.

L’exposition de l’Orangerie, courte mais dense, permet donc de voir des tableaux qui figurent, pour certains d’entre eux, parmi les plus importants du néo-impressionnisme (il ne faut pas manquer les Seurat prêtés par des musées américains). Elle affiche également des représentants du futurisme italien, défendu lui aussi par Fénéon, et des masques africains ayant appartenu à sa collection.

Surtout, elle permet de (re)découvrir les multiples talents de cet esthète, peu enclin pourtant à se mettre en valeur. Distant, discret (« celui qui silence » selon Alfred Jarry), Félix Fénéon poussait l’élégance jusqu’à s’effacer derrière les artistes et les écrivains qu’il soutenait, se contentant d’être un passeur et laissant une œuvre personnelle réduite à son essai sur le néo-impressionnisme et à ses « Nouvelles en trois lignes ».

Jean-Yves

Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse

Musée de l’Orangerie

Jardin des Tuileries – Place de la Concorde – 75001 PARIS

Jusqu’au 27 janvier 2020

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Saint Germain ou la négociation, Francis Walder

Roman original que ce Goncourt 1958 : l’auteur imagine les dessous des tractations qui ont abouti à la paix de Saint Germain en Laye en 1570, mettant provisoirement fin à la guerre entre royauté et huguenots. Les péripéties de la négociation sont décrites avec beaucoup de finesse, offrant au lecteur quelques recettes de diplomatie réussie.

Le narrateur est monsieur de Malassise (personnage effectivement historique) chargé par le roi Charles IX de traiter avec le parti huguenot. Il est accompagné d’un militaire, le baron de Biron et ont tous deux comme interlocuteurs deux représentants de l’amiral de Coligny. Un personnage féminin, jeune cousine de de Malassise, passée du côté protestant, intervient dans l’affaire, pour pimenter quelque peu le roman sans l’envahir toutefois.

L’essentiel réside dans les commentaires du négociateur qui nous rend compte de quelques règles utiles en matière de diplomatie. Par exemple ne pas se laisser surprendre par l’imprévu : « J’ai toujours observé qu’en négociation l’élément imprévu est de précieux rapport pour qui sait s’en servir. Chaque délégation vient avec un programme d’idées et d’arguments faits d’avance (…) Dès lors, toute nouveauté, même favorable, sème le trouble dans cet ordre préconçu et produit un moment d’incertitude, dont l’esprit le plus vif tire parti avant les autres ».

Un des points majeurs des pourparlers est celui de la liberté de culte qui sera octroyée à quelques villes. Les deux partis tombent immédiatement d’accord sur Montauban et La Rochelle. Reste à s’entendre sur deux autres villes. De longs marchandages concernent Sancerre et Angoulême, mais finalement sont choisies Cognac et La Charité sur Loire. Entre temps il a fallu déployer beaucoup d’habileté et passer par le cabinet de la reine mère Catherine de Médicis.

Parmi les règles énoncées par de Malassise on retiendra le souci d’aller chercher le contact humain jusque chez l’adversaire : « Malgré tout ce sont des hommes, des hommes, sensibles par conséquent à ce qui est humain, et le sort des négociations huguenotes dépend de leurs sensibilités, comme dépend de la mienne celui des négociations royales. Les connaître, les faire parler d’eux, les amener à s’ouvrir ».

Et puis c’est le militaire de Biron qui rappelle la raison fondamentale de ces rencontres : « La guerre, dit-il, couvre des choses affreuses, vous le savez, mais qui sont vraies, et cela ne se sait pas suffisamment. On ne peut pas les traiter comme des idées. Les cadavres dans les champs, cela existe réellement, et cela ne ressemble à rien de ce que vous connaissez ».

Deux ans après cet accord de paix, c’est le massacre de la Saint Barthélémy.

Andreossi

Saint Germain ou la négociation, Francis Walder

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Palézieux (1919-2012). Œuvres sur papier

Gérard de Palézieux, Deux figues, Aquarelle sur papier vergé beige. – 105 × 156 mm, Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex, Vevey

Cent ans après la naissance de l’artiste suisse Gérard de Palézieux (1919-2012), la Fondation Custodia lui rend un très bel hommage avec un accrochage centré sur son œuvre graphique. L’exposition déploie plus d’une centaine d’œuvres sur papier dans les techniques privilégiées par Palézieux : l’estampe, le dessin, le lavis et l’aquarelle.

Né à Vevey (Suisse), Palézieux commença des études classiques qu’il interrompit à seize ans pour s’inscrire à l’Ecole des Beaux-Arts de Lausanne. En 1939, il étudia à l’Académie de Florence, où il s’initia à l’art de la Renaissance et découvrit le paysage toscan. C’est à ce moment qu’il fit la découverte de la peinture de Giorgio Morandi, à qui il rendit visite plus tard, et qui eut une importance décisive sur sa propre production.

De retour en Suisse en 1943, Palézieux s’établit à Veyras, près de Sierre, dans le Valais, dans une petite maison vigneronne qu’il habitera jusqu’à sa mort. Exception faite de ses excursions régulières en Provence et en Italie, il ne quittera pratiquement plus le Valais. Ses lavis, dessins et eaux-fortes représentent collines et forêts, bâtiments et corps de ferme, calmes et solides, baignés dans une lumière frémissante, paysages de neige… Autre thème privilégié de son art, les natures mortes avec leurs compositions sobres, presque minimalistes.

Gérard de Palézieux, Riva degli Schiavoni, pour Carnet de Venise, 1975, Aquarelle sur papier vélin. – 136 × 181 mm, Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex, Vevey

A partir de 1975, l’artiste s’exerça assidûment à l’aquarelle, technique coïncidant avec la découverte de Venise où Palézieux se rendit désormais régulièrement.

L’exposition fournit un bel aperçu de ce trajet. On constatera les progrès accomplis par le graveur depuis ses premières eaux-fortes encore tributaires de l’exemple admiré de Morandi, jusqu’aux ultimes essais à l’aquatinte. On admirera les variations du crayon qui vont d’une approche scrupuleuse à la pointe jusqu’aux grandes craies lithographiques. Enfin, sommet de l’œuvre sur papier, les aquarelles dans lesquelles Palézieux exprime la saisie de l’instant : paysages et villages du Valais enfouis dans la neige, dont l’artiste pressent qu’ils sont voués à une dégradation inéluctable, Venise dans la brume bleue de la lagune…

Les poètes dont il était l’ami, et avec lesquels il a beaucoup dialogué dans de superbes livres d’artiste (Philippe Jaccottet bien sûr, Yves Bonnefoy, Gustave Roud), ont été les premiers à aimer l’œuvre de Palézieux, la commentant volontiers, dans l’indifférence presque générale des historiens de l’art.

Si on accepte de se laisser saisir par cette œuvre « aussi évidemment attachée aux perceptions silencieuses, aux sentiments et aux expériences qui répugnent à se dire » (Yves Bonnefoy), on ne pourra qu’apprécier l’exposition de ce travail discret qui, dans le calme et le recueillement, loin des bouleversements et des modes, vise à préserver une harmonie qui peu à peu nous échappe.

Jean-Yves

Fondation Custodia 121, rue de Lille, Paris 7ème

Jusqu’au 15 décembre 2019 – heures d’ouverture : tous les jours sauf le lundi, de 12h à 18h

L’exposition Palézieux (1919-2012). Œuvres sur papier est organisée en partenariat avec le Musée Jenisch Vevey (Suisse), où elle sera montrée du 7 février au 10 mai 2020.

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Vent de Mars, Henri Pourrat

Les premières phrases du prix Goncourt 1941 sont prometteuses : « Les sapins, serrés en bleuissante laine de solitude et d’ennui, dorment sur le songe qui les a arrêtés là, dans cette faille, au bout du monde ». Mais au fur et à mesure de la lecture, le leitmotiv du livre, répété sous toutes les formes, devient lassant, et on se dit que rarement le jury du Goncourt a été aussi opportuniste dans son choix.

L’œuvre se présente comme un journal tenu par un observateur à une période difficile de l’histoire de la France, entre juin 1938 et le 1er novembre 1940. Autrement dit lorsque la « drôle de guerre » s’étire jusqu’à la défaite et où débute l’Etat Français du Maréchal Pétain. L’écrivain réside en Auvergne près d’Ambert, et c’est de ce point de vue qu’il chronique ses observations et réflexions. Si les péripéties historiques sont absentes (mis à part la mobilisation) la solution aux difficultés du pays se résume pour lui simplement : il n’y a que le paysan qui peut sauver le France.

Pourtant l’auteur est davantage convaincant lorsqu’il décrit la société paysanne, déjà à l’époque largement vaincue par l’exode et la pauvreté, que dans l’espoir qu’il met à un ressourcement national grâce aux campagnes : « Un être de grand tempérament sentira toujours que la vie à la ville ne peut pas être la vie : d’autre part comment ne pas voir que le retour à la terre, comme on dit, est un luxe, une très mauvaise affaire ? ».

Cette chronique n’évoque que très allusivement la défaite, et l’on trouve à la date de fin juin 1940 : « Dans son combat contre le moteur, le géant a ployé le genou. Qu’il s’appuie de sa main contre le sol : il n’ira pas au sol : il touchera terre, seulement. Et de la patiente et sombre mère, alors, il sentira la vie remonter à ce cœur, comme un lait vivifiant, comme une force ».

Une des phrases du livre permet de comprendre l’espoir que l’écrivain a mis dans la politique du Maréchal : « Comment ne pas désirer repartir des réalités naturelles, le pays, le métier, la famille ? ».

Un peu plus tard Pourrat abandonne cette attente, et aide Juifs et Résistance. Ce Goncourt représente un dernier hommage à une société paysanne à qui l’Occupation a laissé un sursis, mais dont la fin est très proche.

Andreossi

Vent de Mars, Henri Pourrat

 

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Capitaine Conan. Roger Vercel

Quels hommes sont fabriqués par les guerres ? C’est le thème fort du roman de Roger Vercel primé par le jury Goncourt en 1934. Une fois de plus, c’est la guerre de 14-18 qui est le théâtre de l’action, mais les protagonistes sont déplacés cette fois-ci dans les Balkans, juste après l’armistice de novembre 1918.

Le narrateur est un officier, plus ou moins ami du Capitaine Conan. Celui-ci est à la tête d’un « groupe franc », auteur de multiples actes de bravoure au combat, spécialiste de coups d’audace. Cette cinquantaine d’hommes a appris à tuer de la manière la plus efficace : « des soldats d’élite, des audacieux, entraînés, pendant des années, aux exploits violents et que l’armistice avaient déconcertés. Ils avaient pris l’habitude de se battre, ça leur manquait ».

Lâchés dans la ville, ces militaires oublient les règles les plus élémentaires de la vie en société. Certains réalisent un casse dans un grand magasin de Bucarest, provoquant des blessures mortelles à deux employées. Conan lui-même est accusé de meurtre. Il défend ses hommes, condamnés à un peu de prison : « La v’là leur paix ! C’est quand les lopettes et les mufles ont le droit de piétiner de vrais hommes pour se venger dessus de leurs quatre ans de coliques. Une belle déguelasserie ! ».

Le roman prend un tournant plus intéressant avec le jugement d’un jeune soldat pour désertion et trahison. Le narrateur est entré au Conseil de Guerre comme Commissaire-Rapporteur (sorte d’avocat général) et doit traiter le cas de ce jeune Erlane réputé peureux et soupçonné d’avoir donné des renseignements aux Bulgares. Contre toute attente Conan soutient qu’Erlane n’a pu trahir, justement par peur.

Le jeune soldat est condamné à mort et rejoint Conan et certains de ses hommes en prison. A l’occasion d’un coup de mains des « Rouges », Conan et sa bande sauvent la mise de l’armée française au cours d’une bataille sauvage où lui et ses hommes ont l’opportunité de redevenir les guerriers qu’ils ont appris à être. A la suite, tous sont graciés et même décorés, et le jeune Erlane, en perdant la vie, s’est racheté.

L’auteur de ce roman d’action prenant est sévère : pour gagner des guerres, il faut de très bons tueurs, éventuellement qualifiés de héros. Mais quels hommes ces guerriers sont-ils devenus ? « Je me rappelai qu’ils ne tuaient si bien que parce qu’ils avaient le goût de tuer. Ils me firent horreur dans le même instant où je songeais qu’ils m’avaient sauvé la vie ».

Andreossi

Capitaine Conan. Roger Vercel

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Ernest Pignon-Ernest, Ecce homo au Palais des Papes

Pour cet artiste dont les galeries sont les murs des villes il peut paraître paradoxal d’être exposé à l’intérieur de la Grande Chapelle du Palais des Papes en Avignon. Pourtant il fallait bien présenter un jour ce parcours artistique de 60ans pour mesurer l’importance d’une œuvre par définition dispersée, mais présentant une très grande cohérence.

Ernest Pignon-Ernest explique sa découverte d’une photo d’Hiroshima « où l’on voit que l’éclair atomique a brûlé le mur, décomposant un passant dont il ne reste que l’ombre portée, littéralement photogravée, pyrogravée sur la paroi ». C’était en 1966 et depuis il n’a cessé d’utiliser les murs pour y apposer des dessins de corps en lien avec une préoccupation politique et sociale. Et toujours les lieux où il colle ses sérigraphies sont soigneusement choisis en fonction du sens qu’il donne à son propos.

Pour cet art éphémère (car l’affiche sur les murs se dégrade vite) la photographie est nécessaire pour rendre compte du travail réalisé. Du coup on comprend que l’œuvre est l’ensemble de ce que l’artiste propose : dessin, mur, ville, photo sont inséparables. La force qui se dégage des dessins tient, on le voit bien dans cette exposition, à l’alliance entre lieu et images des corps.

Ainsi la souffrance représentée des femmes avortées dans la clandestinité renvoie à la loi répressive par le biais de la mention « Défense d’afficher » à côté du dessin. La dénonciation des accidents du travail, aussi dans les années 70, par le portrait d’un homme touché à la tête, est d’autant plus marquante que le mur support est crevassé. Il aurait fallu piétiner les corps des fusillés de la Commune pour monter les marches du Sacré Cœur à Paris.

Les interventions d’Ernest Pignon-Ernest réveillent les consciences aussi bien à Alger avec le portrait de Maurice Audin, « disparu » à 25 ans sous les coups des militaires français, en Afrique du Sud avec cette émouvante femme portant un homme dans ses bras, par les images de celles et ceux qui sont passés par la prison Saint Paul de Lyon durant l’Occupation, ou bien encore en affichant la solitude contemporaine dans les cabines téléphoniques.

Le classicisme de son trait entretient le lien avec la peinture des musées, et c’est à Naples qu’il a évoqué le plus explicitement cette reconnaissance par la reprise en particulier d’œuvres du Caravage. C’est l’occasion pour cette exposition de présenter aussi les travaux préparatoires de l’artiste, qui montrent la précision de sa recherche afin d’obtenir le résultat le plus saisissant.

Andreossi

Ernest Pignon-Ernest, Ecce homo,

Avignon, Palais des Papes jusqu’au 29 février 2020

 

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