L'Epilogue : La mort d'Avignon. Philippe Caubère

L'Epilogue à l'Homme qui danse, La mort d'AvignonLa voici la der des der, la fin de l’Epilogue, la révérence de l’Homme qui danse.

La première partie de l’Epilogue, La Ficelle était d’un dénuement tel qu’elle avait laissé le spectateur déçu, triste, presque en colère.

Dans La mort d’Avignon, le vrai final, Philippe-Ferdinand nous dit au revoir avec l’art et la manière qui sont siennes : avec panache et en beauté.

1978, la Cour d’honneur du Palais des Papes : Georges Wilson et Paul Puaux racontent au jeune Ferdinand l’Avignon d’autrefois et raniment avec autant d’humour que d’émotion le souvenir de Gérard Philipe et celui de Jean Vilar.
Puis c’est au tour de notre jeune comédien d’entrer sur scène pour une interprétation – ou plutôt un massacre – de Lorenzo dans Lorenzaccio.
Sur les gradins, ils sont tous là : de Gaulle, Sartre et Mauriac, Johnny Halliday, Claudine et sa gouvernante. Toutes deux ont vieilli ; elles sont venues en chemise de nuit, elles vont prendre froid… la faute au mistral, qui va finir par tous les emporter avec lui.

Les personnages, la cour du Palais, le mistral : Philippe Caubère seul en scène les fait tous exister. La magie opère encore et toujours, jusqu’aux derniers mots de l’artiste, très beaux. Dans la nuit qui est tombée tout à coup, la missive sonne juste, elle vient de loin, elle est bouleversante.

La mort d’Avignon écrit, mis en scène et joué par Philippe Caubère.
Les jours pairs La Ficelle, les jours impairs La Mort d’Avignon
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, Paris-8ème
M° Franklin-Roosevelt, Champs-Elysées-Clemenceau
Tél. : 01-44-95-98-21
Jusqu’au 2 novembre, du mardi au samedi à 20 heures
Durée : 2 h environ sans entracte
De 10 € à 33 €

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Jean Rochefort dans "Entre autres" au théâtre de la Madeleine

Entre autres, Jean Rochefort au théatre de la MadeleineIl faut voir Jean Rochefort dire le texte de Frambroise ! de Boby Lapointe, enjoué et coquin, juvénile avec sa mèche retombant sur son grand front de 77 ans.
Il faut le voir chanter Félicie aussi, les yeux plein de malice et le corps ondulant, entraînant sans forcer le public avec lui.
Il faut l’écouter lire Primo Levi, ému et recueilli, refusant tout enchaînement musical vers le texte suivant. L’écouter ressusciter la voix nasale de Michel Audiard, le temps d’un coup de fil professionnel plus que savoureux.
Se laisser gagner par son regard d’enfant quand il évoque une rencontre avec Jacques Prévert, l’admiration encore intacte un demi-siècle plus tard.

Certes, il concède, parce que cela l’amuse apparemment beaucoup, de mémorables imitations du caméléon, du singe ou du coït du lion. Il est tordant dès qu’il le veut ; il le sait, ce qui le dispense d’en rajouter.

Mais le spectacle de Jean Rochefort, ouaté par les quelques notes attentives de l’accordéon de Lionel Suarez est avant tout un hommage aux grandes plumes et aux artistes qu’il a aimés. De Philippe Noiret à Michel Serrault en passant par Fernand Raynaud, le comédien convoque une armée de talentueux disparus, en se gardant de manifester une quelconque nostalgie. Il fait d‘Entre autres une harmonie de teintes douces, assourdies par la tendresse des souvenirs, que sa visible sincérité et son élégance mettent merveilleusement en lumière.

Entre autres. Jean Rochefort
Lionel Suarez à l’accordéon
Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène, Paris 8ème
du mardi au samedi à 21h
matinée le dimanche à 15h
Places de 15 € à 50 €

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A l'abri de rien. Olivier Adam

A l'abri de rien, Olivier Adam, l'OlivierOlivier Adam a l’art de décrire les souffrances intimes, les moments de vide, la solitude, la détresse, l’errance, la perte de soi. Il le fait avec finesse, sobriété, de son écriture courte qui oscille entre délicatesse et coup de poing.
Dans son dernier roman, A l’abri de rien, il prend une nouvelle fois le chemin des écorchures et des drames mais surtout celui de l’ordinaire et des médiocrités de l’existence.
Dans un village du bord de la mer du Nord, malgré l’amour de son mari et de ses deux jeunes enfants, Marie est en train de perdre le goût à la vie. Elle contemple son pavillon acheté à crédit, les enseignes lumineuses des centres commerciaux, son couple dont la passion a disparu sous les problèmes du quotidien, ses congénères et leur sort ordinaire semblable au sien, sans plus trouver sa place dans ce qui est sa vie.
Un soir où elle est venue se garer tout près de la mer, au pied de l’immeuble de son enfance, et penser en fumant à ses bonheurs perdus, elle croise les silhouettes erratiques et abîmées de réfugiés clandestins. Elle va aussitôt s’engouffrer auprès d’eux, les aider en leur donnant tout ce qu’elle peut, et bien au-delà.

Comme les précédents romans d’Olivier Adam, A l’abri de rien est un livre poignant. Mais cette fois certains passages sont moins convaincants, notamment lorsque Marie se trouve près des malheureux "kosovars". L’auteur mêle à la description de ses gestes de plus en plus fous les réflexions qu’il lui prête et qui sont elles très censées. Le lecteur a du mal à y croire car l’état psychologique de son personnage semble incompatible avec de telles analyses.
La lecture terminée, l’on a l’impression que l’histoire de l’aide aux réfugiés était un prétexte. Un prétexte pour réussir à décrire, ici encore, à travers cette femme, mère et épouse qui perd pied, une sorte de perdition de l’âme et du corps, une violence contre soi et l’impossibilité de communiquer avec l’autre.

A l’abri de rien. Olivier Adam
Editions de l’Olivier
228 p., 18 €

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Chaïm Soutine à la Pinacothèque de Paris

Chaim Soutine, vue de Cagnes, Pinacothèque de ParisNé à la fin du XIXème siècle en Biélorussie, Chaïm Soutine émigre à Paris en 1913.

A la Ruche, atelier de Montparnasse, ses contemporains sont Chagall, Kikoïne, Lipchitz – le groupe appelé Ecole de Paris.

Il noue avec Modigliani une amitié qui durera jusqu’à la mort du peintre italien en 1920.
Le même Modigliani le présente au marchand d’art Léopold Zborowski : grâce à lui, tiré de la misère la plus noire, Soutine pourra vivre confortablement de son art durant le reste de sa vie, jusqu’à ce que son estomac malade ait raison de lui en 1943.

Ce parcours n’explique pas la tourmente qui caractérise la peinture de Soutine, qualifiée souvent d’expressionniste. Enfance très pauvre dans une famille juive orthodoxe, souffrances passées, repli sur soi, solitude et dépression : beaucoup de choses ont été écrites, parfois tout et son contraire, sur un artiste qui n’a laissé aucun écrit pour confirmer ou infirmer les hypothèses, lever ce voile de mystère qui couvre en grande partie sa vie intime.

Restent ses tableaux. Il en a peint et détruit beaucoup.
De l’exposition visible à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 27 janvier prochain, les plus fascinants sont les paysages peints à Cagnes et à Céret. Au départ, des coups de brosse aux aplats larges et rapides, un sens de la composition très séduisant, des couleurs éclatantes et des contrastes très maîtrisés : point de tourmente encore, mais des paysages singuliers, un peu bousculés, où l’élément central, route montante ou escalier monumental, fait déjà tanguer les constructions.

Puis, à partir des années 1920, les couleurs et la matière se densifient, s’entremêlent ; les coups de pinceau sont de plus en plus mouvants. Sous les rafales du mistral, les arbres se tordent et poussent les maisons vers l’extérieur du cadre, carrément menacées d’effondrement.
Il frise alors parfois l’abstraction, mais au bénéfice d’une formidable puissance. Et l’énergie dévastatrice est bien souvent contrariée par des couleurs chaudes ici ou là qui viennent évoquer un élan vital qui refuse de céder.

Si le thème de la violence, ou du moins de la menace, est constant dans une grande partie de l’oeuvre de Soutine – comme en témoignent ses personnages osseux à l’oeil noir et aux longs doigts noueux, ses animaux morts et parfois même écorchés –, dans les années 1930 puis 1940, le peintre semble avoir trouvé la voie de l’apaisement. Âne, porc, taureau sont désormais montrés vivants et tranquilles dans leur milieu naturel.

Surtout, le très beau Paysage de Champigny (1942-1943) vient contredire tout ce que Soutine a exprimé des années auparavant : sur la crête d’une montagne, un enfant assis dans un cadre idyllique aux splendides couleurs froides regarde une blanche chèvre paître paisiblement.
Comme ici la tourmente semble loin…

Chaïm Soutine
Pinacothèque de Paris
28, place de la Madeleine – Paris 8ème
L’exposition est prolongée jusqu’au 2 mars 2008
Tlj de 10 h 30 à 18 h
Entrée 9 € (TR 7 €)

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L'Epilogue à l'Homme qui danse : La Ficelle. Philippe Caubère

L'Epilogue à l'Homme qui danse : La Ficelle, Philippe Caubère« Ce spectacle est un gruyère dont les trous sont à combler par l’imagination du spectateur », énonce Philippe Caubère dans La Ficelle, premier volet de L’Epilogue, le dernier tour de piste de L’Homme qui danse.

« L’imagination du spectateur » : Dieu sait si elle peut être bonne fille, l’imagination du spectateur.
Mais encore faut-il lui proposer un personnage, une situation, n’importe quoi qui suggère une histoire.
Hélas ! Philippe Caubère n’a cette fois-ci qu’une ficelle à nous tendre.
Le spectateur peut essayer de la saisir, il ne trouvera rien au bout.
Et c’est triste car il est un des artistes qui nous ont fait le plus rire ces dernières années lorsqu’il nous racontait l’histoire de Philippe-Ferdinand, entouré d’une armée de personnages qu’il parvenait à incarner d’un geste, d’une mimique, d’une voix avec un talent comique exceptionnel.
Alors, de quelle folie l’ami Caubère a-t-il été pris ?
« Ce spectacle est très différent des autres épisodes. Il est beaucoup moins consensuel » avait-il prévenu avant la saison.
Finalement, il a carrément éliminé tous ses personnages. Plus de Claudine, plus d’Ariane Mnouchkine, plus de tonton Charles ni de Johnny.
Sur scène, il ne joue plus qu’un Philippe-Ferdinand au chômage, qui tente de s’inventer un scénario à partir d’un bout de ficelle.
Et le constat est cruel : c’est comme s’il n’y avait rien ni personne.

Philippe Caubère semble avoir perdu son rythme trépidant, son énergie hors du commun. Certains soirs, il "savonne" sans cesse. Mais la limite n’est certainement pas physique. Caubère n’a plus de souffle parce qu’il n’a pas de personnage à porter, parce qu’il n’a rien à dire. C’est un problème évident d’écriture.
Et que faire, sans texte, à part s’agiter en vain et bavarder sans fin : endormir le spectateur, dont l’imagination ne tarde pas à s’échapper dans un autre monde. Bonne fille, mais pas folle.

L’Epilogue de et avec Philippe Caubère.
Les jours pairs La Ficelle, les jours impairs La Mort d’Avignon
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, Paris-8ème
M° Franklin-Roosevelt, Champs-Elysées-Clemenceau
Tél. : 01-44-95-98-21
Jusqu’au 2 novembre, du mardi au samedi à 20 heures
Durée : 2 h environ sans entracte
De 10 € à 33 €

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Chacun sa croix ! à la Comédie Bastille

Chacun sa croix à la Comédie BastilleSur le plateau du Jura, enneigé et isolé, un petit village ne compte plus que sur l’épicerie, l’église et la mairie pour survivre.
Le curé et le maire : les voici réunis autour de la table pour résoudre une cruciale question : trouver quelqu’un pour reprendre l’épicerie.
C’est ce moment que Rosa, jeune fille fraîchement sortie de prison, choisit pour demander de l’aide et du travail à son visiteur de prison, qui n’est autre que Jean-François, notre curé de campagne… La nouvelle épicière semble toute trouvée.
Il faut ajouter que Rosa en pince un peu pour Jean-François, qu’elle prenait pour une homme tout à fait « civil », que le petit sacristain, de son côté, en pince pour Rosa et que la bonne du curé, Jeanine, n’est pas indifférente au plumage et au ramage du maire-instituteur qui, évidemment, le lui rend plutôt bien.

Pièce bien écrite et mise en scène avec ressort, Chacun sa croix a tous les atouts pour divertir et amuser efficacement le spectateur.
Côté distribution, rien à redire si ce n’est une mention spéciale à Carole Massana (Jeanine), comédienne singulière et passionnante, dotée d’un physique, d’une force et d’un talent comique exceptionnels, et à Julien Cafaro, qui fait des merveilles dans le rôle du maire-instituteur mou et indécis, malmené par un curé, lui, tout à fait énergique.
Mais la fin de la pièce verra la situation basculer en quelque sorte, quand le maire-instituteur nouvellement fiancé à Jeanine va se trouver tout ragaillardi alors que le prêtre, troublé, résiste aux charmes de l’ex-taularde avec un peu moins de détermination…

Chacun sa croix !
Comédie Bastille
Une pièce de Jean-Christophe Barc
Mise en scène : Thierry Lavat
Avec : Julien Cafaro, Didier Constant, Manon Rony, Carole Massana, Erwan Creignou
Du mardi au samedi à 21h30, matinées samedi et dimanche à 17h
Prix des places : 26 euros

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"Réquisitoire", Le plancher de Jean. Martin d'Orgeval à la MEP

Martin d'Orgeval, le plancher de JeanSi l’histoire est désormais connue, elle mérite d’être racontée une nouvelle fois et surtout montrée.
Il s’agit d’une histoire réelle de souffrance et de folie dont le travail du photographe Martin d’Orgeval est un précieux document.

En 1959, Jean, fils de paysan béarnais, revient de la guerre d’Algérie pour prendre le rôle de chef de famille auprès de sa mère et de sa soeur Paule.
Son père s’est pendu.
Jean est âgé de 20 ans.

Il néglige la prospère ferme, qui périclite ; il se livre en revanche à des rondes de garde assidues, monté sur son tracteur et armé d’un fusil.
Jean, Paul et leur mère ne voient plus personne et se nourrissent de cueillette.

En 1971, la mère meurt. Jean et Paule demandent et obtiennent l’autorisation de l’inhumer sous l’escalier de la maison.
C’est alors que Jean finit de sombrer dans la folie.
Pendant des mois, cessant de se nourrir, il passe ses journées enfermé dans sa chambre, dont il grave entièrement les 16 m2 de plancher autour du lit.
Il mourra d’inanition quelques mois plus tard, à l’âge de 33 ans.
Paule finira sa vie absolument recluse et c’est à sa mort, en 1993, que le "plancher de Jean" est découvert.

Les mots que l’on y lit révèlent une violence intérieure tendue, des sentiments de persécution, en particulier vis-à-vis de l’Eglise [LA RELIGION A INVENTE DES MACHINES A COMMANDER LE CERVEAU DES GENS ET BETES ET AVEC UNE INVENTION A VOIR NOTRE VUE A PARTIR DE RETINE DE L’IMAGE DE L’OEIL ABUSE], de menace, de haine, et d’innocence [NOUS JEAN PAULE SOMMES INNOCENTS NOUS N’AVONS NI TUE NI DETRUIT NI PORTE DU TORT A AUTUI C’EST LA RELIGION QUI A INVENTE UN PROCES AVEC DES MACHINES ELECTRONIQUES A COMMANDER LE CERVEAU]. Il évoque aussi le meurtre, Hitler, la guerre.

Témoignage poignant de la folie d’un homme, ces planches couvertes de mots gravés, assénés, frappés, obsédants, apparaissent comme le cercueil jeune et inéluctable de sa maladie et de ses souffrances non soignées. L’aspect christique de son oeuvre qui a la religion pour première cible est évidemment bouleversant.

Jean souffrait visiblement de schizophrénie. Le professeur Jean-Pierre Olier, chef du service hospitalo-universitaire Saint-Anne à Paris, a voulu que le plancher de Jean soit exposé en permanence à l’hôpital Saint-Anne (1), pour combattre la honte et les préjugés que suscitent encore les maladies mentales.

"Réquisitoire", Le plancher de Jean. Martin d’Orgeval
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 6 janvier 2008
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h 45
Entrée 6 € (TR 3 €)

(1) En attendant d’être dans le bâtiment lui-même (vers 2010 probablement), le plancher de Jean est exposé, depuis juillet 2007, juste en face, sur le trottoir de la rue Cabannis.

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Tulsa. Larry Clark à la Maison européenne de la photographie

Exposition Larry Clark à la MEP, TulsaIls sont des adolescents et de jeunes adultes aux cheveux mi-longs ; parfois souriants, beaux souvent.

Les photos sont prises sur le vif mais les scènes annoncent la mort.
Point de mouvement si ce n’est l’aiguille qui s’enfonce lentement dans le bras ou le mollet pour délivrer la dose libératrice au corps déjà condamné.

Sur ces vies de désœuvrement et d’ennui, où même l’attente est refusée, coule une goutte de sang, marqueur de la putréfaction prochaine de ces blanches chairs déjà flasques.
C’est une jeunesse qui abdique, un amant qui injecte la mort à sa partenaire, une femme enceinte qui se pique, un nouveau-né dans un petit cercueil blanc.

A côté, les clichés montrant des adolescents jouant avec des armes à feu résonnent comme des métaphores.

Photos frontales, provocantes, choquantes et surtout, révoltantes.

Tulsa. Larry Clark
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 6 janvier 2008
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h 45
Entrée 6 € (TR 3 €)

Né à Oklahoma en 1943, Larry Clark a photographié dans les années 1960 la jeunesse en prise à la violence et la drogue. Le recueil issu de ce travail Tulsa a été édité pour la première fois en 1971, réédité en 1983 puis en 2000 (anglais, éditions Grove Press Books).

Image : Tulsa, 1963-1971

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Harlem in My Heart. Martine Barrat à la MEP

Martine Barrat, Harlem in My HeartMartine Barrat a quitté Paris pour New-York en 1968. Ce sont les quartiers pauvres de Harlem et de South Bronx, où elle s’est investie pendant des années, qu’elle a choisi de photographier.
Ses clichés n’ont pourtant rien de misérabiliste, ni de compassionnel. Il s’en dégage au contraire une grande dignité, parfois même une franche gaieté.

Tirages somptueux en noir et blanc montrant la communauté noire dans la rue, dans les églises, dans les ‘’dancings’’ : enfants qui jouent et dansent dehors ; couple d’âge mûr enlacé ; ‘’diva’’ toute plissée prête pour une dernière soirée… le spectacle ne semble pouvoir s’arrêter.
Dans la rue, les vieillards de Martine Barrat ne cèdent pas davantage au laisser-aller ; malgré l’âge et la solitude, l’élégance est toujours là, comme si c’était la dernière chose à perdre. Et ce môme qui pose, bras nus sous son gilet noir, drapé d’une écharpe blanche : quelle classe !

Au fil des photos, la sensualité des étoffes et des peaux satinés affleure ; l’émotion aussi, par exemple devant ces enfants assis dehors sur un grand escalier délabré, discutant au dessus de leurs cahiers, le reste des livres calés sur les marches par de gros cailloux ; ou encore devant cette jeune femme qui fume en rêvant dans sa robe de soirée…
On pourrait continuer longtemps tant ces photos touchent et parlent.

Lorsqu’elle photographie le monde de la boxe, Martine Barrat nous offre le même regard précis et attachant : avant le combat, les masses de muscle pur s’immobilisent dans une concentration extrême, soulignée par une position, un regard ; le « physique » prend tout à coup une expression cérébrale, voire mystique dans ce moment de solitude qui en précède un autre, celui du match, qu’on ne fait ici qu’imaginer.

Harlem in My Heart. Martine Barrat
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 6 janvier 2008
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h 45
Entrée 6 € (TR 3 €)

Image : Sunday Morning, Harlem, New York, 1984

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La physique des catastrophes. Marisha Pessl

Marisha Pessl, La physique des catastrophesBleue van Meer a seize ans. Sa mère, qui ne parvenait à attraper que les papillons les plus rares, est morte dans un accident alors que Bleue était toute petite.
Depuis, elle traverse les Etats-Unis aux côtés de son père, lisant, révisant, récitant avec lui les ouvrages les plus savants. Enseignant d’université itinérant, spécialiste de la résolution des conflits dans le tiers-monde, il est non seulement très beau, mais aussi le plus cultivé, le plus raisonnable et le plus intelligent des hommes.
Bleue le vénère, ce qui, entre entre autres traits, dont celui d’être un enfant prodige, a le don d’irriter au plus au point les plus branchés de ses congénères.
Ce n’est donc que grâce à Hannah Schneider, professeur de cinéma où Bleue fait sa terminale, jeune femme atypique qui fascine les élèves, que notre héroïne-narratrice va se voir intégrée dans un groupe de jeunes élus qui chaque dimanche se retrouvent dans l’ambiance raffinée de la maison d’Hannah.
Jusqu’au jour où celle-ci est retrouvée pendue à un arbre.
Bleue entreprend alors de démêler l’écheveau d’énigmes qui ont conduit à cette fin tragique.
Ce qu’elle trouve va bouleverser sa vie.

La physique des catastrophes est une sorte de roman initiatique : comment la petite Bleue va voir s’effondrer une partie de ce qui a cimenté son enfance ; comment "l’exceptionnel" dans lequel elle a été élevée va se dépouiller de ses oripeaux anciens, pour la laisser s’emparer de sa propre vie.
Pour son premier roman, cette Américaine d’à peine trente ans se révèle plus que brillante : son écriture jaillissante bluffe dès le début. Elle restitue avec un charme irrésistible la vigueur et les excès de l’adolescence. Marisha Pessl bourre chaque ligne de métaphores et de références – y compris les plus farfelues, donc follement amusantes –, pour mieux se moquer des têtes trop pleines, débordantes de connaissances, de théories et de pensées savamment ordonnées.
L’épilogue dévoilé dans les toutes dernières de ces six cents pages apparaît comme le couronnement de la délicieuse ironie qui court tout au long de ce très bon roman.

La pysique des catastrophes. Marisha Pessl
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux
Gallimard
610 p., 24,50 euros

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