Félix Vallotton, Le feu sous la glace

Felix Vallotton, Le feu sous la glaceNé à Lausanne en 1865, Félix Edouard Vallotton s’installe à Paris en 1882, fait de la France son pays d’adoption et s’y éteint en 1925 à l’âge de 60 ans.

Peintre prolifique – il laisse à sa mort plus de 1 700 tableaux – c’est d’abord par la gravure qu’il devient célèbre et ce, dès les années 1890. C’est pendant cette période également qu’il se rapproche du groupe des Nabis et entame avec Vuillard une étroite relation d’amitié. Rapidement, il se consacre essentiellement à la peinture et, bien qu’exposé avec les Nabis chez Berheim-Jeune en 1901, il ne se revendique d’aucune école.
Il ne privilégie pas davantage tel ou tel genre, embrassant aussi bien le paysage, la nature morte, la scène de genre, le portrait que la peinture d’histoire.

De cette diversité et de cette liberté, la grande rétrospective organisée par le Grand-Palais témoigne avec panache, à travers 170 œuvres, dont 110 tableaux et 60 gravures couvrant toute la carrière de Félix Vallotton. Le parcours thématique se déroule dans une scénographie sobre marquée par un resserrement progressif. Sans doute est-ce le bon choix, car à quelques exceptions près – notamment la série de six planches sur la guerre en toute fin – plus on avance dans l’exposition plus l’on a de réserves sur l’intérêt des tableaux.

Les œuvres les plus passionnantes se trouvent dans la première partie du parcours, au premier niveau. Là sont exposés de magnifiques paysages empreints de mystère, qui nous placent entre deux lumières, à la fin du jour, ou dans une brume neigeuse, où les détails bien dessinés voisinent avec des zones floues, et dont les lignes de fuite bousculées et les couleurs réinterprétées en renforcent l’étrangeté. Il y a du symbolisme là-dedans, du japonisme aussi. L’ensemble demeure fort personnel, très beau et d’une émouvante poésie.

Valloton, Le feu sous la glace

Autre point fort de Félix Vallotton : la peinture de mœurs, dans des scènes d’intérieur qui sont pour lui l’occasion d’élaborer une peinture très critique de la comédie sociale bourgeoise. Ce sont tromperies et fâcheries chez des couples, légitimes ou non, dans des salons étouffants, des chambres dissimulées derrière une enfilade de portes, des salles de spectacle où l’on s’ennuie à périr.
Dans ces scènes, le décor, très présent, y compris en termes chromatiques, concourt efficacement à la puissance de la satire.
Mais c’est par son seul dessin que Vallotton se fait dénonciateur dans ses séries de gravures où, associé à de grands aplats noirs et blancs très découpés, son trait se fait scalpel. Malgré l’éloignement graphique, l’ironie mordante ne manque pas d’évoquer celle des Caprices de Goya, un rapprochement auquel incitera à nouveau, plus loin, ses gravures sur la Première Guerre Mondiale.

Entre ces séries de gravures, encore beaucoup de tableaux, mais dont certains laissent froid. Tel est le cas de la peinture mythologique de Vallotton, qui apparaît aussi simpliste qu’anachronique. Pire encore, les tableaux au vitriol contre les femmes présentées explicitement comme de violentes et sanguinaires prédatrices des hommes : l’outrance du propos le dénue de portée.

L’on découvre avec davantage d’intérêt ses nus féminins, fort nombreux. Beaucoup d’ambiguïté, voire d’érotisme dans des œuvres où le peintre semble vouloir chercher la caution de ses aînés, Ingres et Manet très visiblement. Mais on n’est pas Manet après Manet, et n’a pas la grâce de Dominique Ingres qui veut. Et surtout, où est la sensualité dans tout cela ? Seules ou à deux, souvent entourées d’animaux ou d’objets à la charge symbolique forte, les femmes que Vallotton a peintes apparaissent moins comme de belles séductrices que comme de dangereuses provocatrices que le peintre, tout en dévorant du regard leurs courbes attirantes, semble vouloir tenir à distance en ne montrant pas leur visage et en donnant à leur chair de tristes couleurs, allant parfois jusqu’au gris blafard. Décidément très étonnant notre Vaudois de Vallotton.

Félix Valloton
Le feu sous la glace
Grand Palais, entrée Clemenceau
Jusqu’au 20 janvier 2014

Crédits photos :
© Kunsthaus Zurich et © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

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Georges Braque au Grand Palais

Braque au Grand PalaisSuperbe. Tel est le mot qui vient aux lèvres en sortant, émerveillé et ravi, de la rétrospective à voir absolument au Grand Palais d’ici le 6 janvier prochain.

Première grande exposition depuis 40 ans de l’œuvre du peintre (mais aussi graveur et sculpteur) disparu il y a 50 ans, l’exposition, en près de 240 pièces, essentiellement des peintures, est une découverte pour une grande partie du public.
Non que la peinture moderne soit absente des grandes manifestations parisiennes – loin de là – mais ces dernières décennies ont bien davantage mis en valeur des artistes comme Picasso ou Matisse que Georges Braque, dont la production, déroulée sur plus de 50 ans, de 1907 à sa mort en 1963 a été extraordinairement riche.

Héritier d’abord des Fauves, puis surtout de Cézanne, Braque a été avec Picasso l’inventeur du Cubisme, le pionnier dans le collage sur toile, initié dès les années 1910, puis n’a cessé de poursuivre ses recherches formelles sans jamais se couper de la figuration.

Ce qu’il y a de passionnant dans son œuvre, c’est qu’elle échappe à toute simplification, au résumé. Elle reste ambiguë, mystérieuse, à explorer encore et encore.
Alors même qu’il est un chercheur habité de thématiques obsessionnelles, il n’y a rien de systématique, de prévisible dans l’œuvre de Braque.
Il semble rejeter la couleur au profit de la forme et du modelé ? Il laisse pourtant la place à de superbes camaïeux de bruns et de verts, avant de laisser revenir sur sa toile des contrastes de couleurs, non pas vives comme à ses débuts empreints de l’influence de Matisse, mais néanmoins très présentes, comme le jaune citron ou le rouge amarante.
Il bouscule la figuration pour rechercher à travers le Cubisme la représentation multi-dimensionnelle ? C’est pour mieux, quelques années plus tard, plaquer sur la toile des papiers peints puis des lettres, motifs à plat s’il en est.
Il semble, dès sorti de sa période fauve, abandonner définitivement le paysage ? Que nenni, il y reviendra – et avec quel talent, quelle épure – dans ses dernières années.
Il rejette le classicisme avec force ? C’est pour mieux rendre hommage, toile après toile, après Chardin puis Cézanne, à la nature morte, avec moult compotiers, pichets et autres poissons morts.
Quant à l’esthétisme de la peinture, que tout moderne qu’il est il jette aux orties, il le ménage malgré tout en plaçant parfois sur ses toiles de belles plages décoratives.
Et, à côté de cela, il a ses récurrences, comme l’omniprésence de la musique – guitares, mandolines et pianos à foison – mais aussi de la poésie ou encore de la peinture elle-même, avec palettes et tableaux, très présents dans sa série des Ateliers évidemment.
Quand il peint des personnages, ce sont soit des nus féminins (magnifiques, auxquels ont peut ajouter les étonnants Canéphores), soit des hommes mélancoliques (poignantes toiles peintes pendant l’Occupation), soit des héros grecs (quelle puissance !).

Son amitié avec Picasso, compagnon de route du Cubisme, avec Paulhan (qui l’a baptisé "le Patron") et avec Satie, Normand comme lui, sa collaboration, à travers des recueils illustrés, avec les poètes Pierre Reverdy et René Char sont rappelées. Son installation à Varengeville (où il est enterré, dans le cimetière marin) est également évoquée.
Le thème de l’oiseau (qu’il a introduit au Louvre en 1953) et son absolu lyrisme concluent joliment cette rétrospective en tous points réussie, au parcours chronologique et à la scénographie claire et sobre qui laissent toute leur place, sinon à la compréhension, du moins à l’admiration des œuvres de cet immense peintre.

Georges Braque
Galeries nationales du Grand Palais
Av. Winston-Churchill – Paris 8ème
Jusqu’au 6 janvier 2014

A lire aussi sur maglm :
La petite église de Varengeville-sur-Mer, où l’on retrouve Georges Braque aussi bien dedans que dehors
Lettera amorosa de René Char, illustré par Jean Arp et Georges Braque

Image : Grand Nu, hiver 1907- juin 1908. Huile sur toile ; 140 x 100 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, dation Alex Maguy-Glass, 2002. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.RmnGrand Palais / Philippe Migeat, © Adagp, Paris 2013

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Goya et la modernité à la Pinacothèque de Paris

Goya et la modernité à la Pinacothèque de ParisOn garde grand souvenir de l’exposition de gravures de Francisco de Goya (1746-1828) organisée en 2008 au Petit-Palais.

Cette saison, la Pinacothèque de Paris présente à son tour une belle sélection de gravures, auxquelles elle adjoint des peintures du célèbre peintre aragonais.

Le titre de l’exposition sied bien à Goya, qui fut un grand moderne, tant dans sa manière que dans son propos, avec un pinceau libre et sans apprêt, et des sujets sociaux traités sur le mode de la satire, fustigeant vigoureusement les archaïsmes de son temps. Hélas, le discours que Goya, artiste des Lumières, délivre sur les horreurs de la guerre, l’hypocrisie sociale et l’aveuglement de l’Homme demeure aussi frais en 2013 qu’il l’était au tournant du XIXème siècle.

En quelques 200 œuvres, essentiellement venues de collections privées, le parcours auquel nous invite la Pinacothèque de Paris permet d’explorer les grandes thématiques du peintre espagnol.

La première de ses séries Les Caprices passe au crible aussi bien sur la religion, le mariage (pour exemples : Elles prononcent le oui et accordent leur main au premier venu, Personne ne se connaît, ou encore Quel sacrifice !), l’éducation (Et si le disciple en savait plus ?), la prostitution, que des visions cauchemardesques (dont le fameux Le sommeil de la raison engendre des monstres). Plus terrible encore, sa deuxième série est consacrée aux Désastres de la guerre. En vis-à-vis, la toile Scène de genre de la guerre civile espagnole n’est pas sans rappeler son très fameux Tres de Mayo (au Prado à Madrid).
La troisième série est dédiée à la Tauromachie, quand la dernière Les Disparates ou Les Proverbes invite à pénétrer un monde mystérieux et imaginaire.

Pinacothèque de Paris, Goya et la modernitéCôté peintures, à côté de quelques tableaux religieux, on se régale de ravissantes scènes de la vie quotidienne, avant d’aborder les grands portraits de Goya. Peintre officiel de la Cour, Goya tirait de ce genre l’essentiel de ses revenus et peignait aussi bien Charles III en chasseur que des intimes. Parmi les caractéristiques les plus admirables de ces portraits, on retiendra sans doute la force d’expression, à l’image d’une Marquise de Villafranca en veuve aux yeux de jais d’une présence extraordinaire par son seul regard.

Goya et la modernité
Pinacothèque de Paris
Pinacothèque I – 28 place de la Madeleine, Paris 8ème
TLJ de 10h30 à 18h30
Les mercredis et vendredis jsq 21h
Pour les différentes formules de billetterie, consulter le site
Jusqu’au 16 mars 2014

Images :
Goya, Los Caprichos, planche 42, Toi que no puedes (Toi qui n’en peux mais)
Goya, Los Caprichos, planche 6, Personne ne se connaît (Nadie se conoce)

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Angkor : Naissance d'un mythe. Musée Guimet

Exposition Angkor au Musée GuimetAvec sa très belle exposition à voir jusqu’au 13 janvier prochain, le Musée Guimet rend hommage à Louis Delaporte (1842-1925) qui, à partir des années 1870 et jusqu’à la fin de sa vie dans les années 1920 n’eût de cesse de promouvoir les merveilles des temples d’Angkor en Europe.

Au fil d’un parcours réunissant 250 œuvres, du Musée Guimet, mais également d’autres institutions françaises (comme le Musée Rodin) et étrangères (le Musée national d’Angkor) ou encore issues de collections privées, on revit cette période où, des explorations lancées par Napoléon III à l’Exposition coloniale internationale de Paris de 1931, quelques passionnés s’employèrent à faire connaître et à valoriser un art inconnu, quelque peu méprisé car avant tout appréhendé comme un art « des colonies ».

Tout commence en 1866 : Delaporte, jeune marin, est embarqué sur la Mission d’exploration du Mékong en tant que dessinateur. Lors de cette mission, qui a pour but de vérifier la navigabilité du fleuve, Delaporte re-découvre le site Khmère d’Angkor. S’il n’est pas le premier, il est en revanche celui qui, tombé sous le choc et le charme de ces immenses temples aux étranges sculptures, en voie de disparition sous la végétation, va dès lors s’employer sans relâche à en recueillir les témoignages.
Même lorsque son état de santé l’empêchera de se rendre au Cambodge pour continuer ses relevés, il poursuivra ses travaux à Paris dans le but d’établir une approche et une restitution les plus fidèles possibles des temples Khmers.

L’exposition du Musée Guimet témoigne de cette quête : dessins aquarellés, plans, photographies, mais aussi sculptures originales (dont la magnifique Tête de Jayavarman VII du Musée) et de nombreux moulages de bas-reliefs monumentaux exposés pour la première fois depuis 1925, et parfois en meilleur état que les originaux, qui se sont dégradés depuis la fin du XIXème siècle. A l’époque, ceux-ci étaient exposés au musée Indochinois du Trocadéro, dont Louis Delaporte fut le fondateur et le conservateur bénévole de 1878 à 1925.
A ces œuvres s’ajoute l’évocation des Expositions Universelles, et notamment, sans doute la pièce la plus impressionnante du parcours, la restitution d’une fameuse tour à visages du temple du Bayon.

Si la beauté des œuvres ne fait pas de doute – dont les superbes dessins aquarellés de Delaporte, empreints de poésie -, si l’histoire de ce « découvreur » oublié est éminemment attachante, on finit le parcours avec un petit regret toutefois : ne pas en avoir appris davantage sur l’art khmer en lui-même. Mais ceci est encore une autre histoire… Et une bonne raison de revenir au Musée Guimet.

Angkor : Naissance d’un mythe – Louis Delaporte et le Cambodge
Musée Guimet
6 Place d’Iéna 75116 Paris
Tel : 01 56 52 53 00
Tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h
Entrée 9,5 euros (TR 7 euros)
Du 16 octobre 2013 au 13 janvier 2014

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Voyage chez les Étrusques au musée Maillol

Etrusques au musée Maillol

Nul besoin d’aller bien loin pour cette expédition en Étrurie : une balade au musée Maillol, rive gauche à Paris, et nous voilà embarqués près de trente siècles en arrière sur la péninsule italique où, entre les IXème et IIème siècles avant J.-C. s’épanouit la civilisation étrusque.

Les Étrusques entretinrent avec les autres grandes civilisations du bassin méditerranéen, Grecs et Phéniciens, mais aussi avec la Gaulle, des échanges économiques et culturels importants, de même qu’avec Rome qui, par conquêtes successives des cités étrusques, finit par les anéantir.

Bien nommée Un hymne à la vie, l’exposition qui regroupe quelques 250 objets venus de grands musées italiens essentiellement, permet d’approcher les différents aspects de cette riche civilisation par son quotidien.

Le rez-de-chaussée donne une idée de l’architecture et de la culture étrusques. L’on y admire par exemple des plaques d’argile finement sculptées en bas-relief qui ornaient les bâtiments, de fabuleux vases anthropomorphes ou encore la reconstitution de la grande Tombe du Navire (-470 ans) à Tarquinia avec ses grandes peintures colorées.

A l’étage, objets et œuvres d’art rivalisent de beauté pour évoquer notamment les rites funéraires, l’écriture, les banquets, le sport, la religion (avec les fameux haruspices). Les principales cités-Etats sont présentées dans leurs spécificités : l’Étrurie était en effet une dodécapole, à savoir une confédération constituée de douze grandes cités.

Si l’influence grecque est parfois très nette, celle des Égyptiens palpable également, ce qui plaît dans le style Étrusque est avant tout son caractère extrêmement vivant et raffiné. L’iconographie est très narrative, les formes originales, les motifs sculptés expressifs et souples, les détails d’une finesse extrême.
Le travail d’un fermoir de vêtement en or décoré de minuscules figures d’animaux (680-650 av. J.-C.) est époustouflant. La tête votive de jeune homme dite Malavolta en terre cuite (430-410 av. J.-C.) dégage par ses traits une énergie incroyable. Le ciste représentant le Jugement de Pâris (milieu du IVème siècle av. J.-C.), en bronze à décor incisé et orné d’éléments sculptés étonne jusque dans ses détails.

La scénographie est simple, les explications pédagogiques – la carte très claire aurait mérité d’être placée en ouverture du parcours – sans assommer le visiteur. On ne peut que conseiller cette exposition à la fois belle, instructive et divertissante, en particulier à tous ceux que les interminables alignements de vitrines des musées archéologiques laissent sur le flanc : de l’excursion au musée Maillol, ils reviendront l’œil vif et l’esprit frais.

Les Étrusques Un hymne à la vie
Musée Maillol – Fondation Dina Vierny
61, rue de Grenelle 75007 Paris
Tel : +33 (0)1 42 22 59 58
Métro Rue du Bac
Tous les jours de 10h30 à 19h, y compris les jours fériés
Nocturnes le lundi et le vendredi jusqu’à 21h30
Entrée 11 euros, réduit 9 euros, gratuit pour les moins de 11 ans
Jusqu’au au 9 février 2014

Faim de culture ?

Image : urne dite du Bottarone, dévut du IVème siècle avant JC, albâtre peint,H. 88; base 123 x 38 cm Florence, Museo Archeologico © Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana / Antonio Quattrone

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Blue Jasmine. Woody Allen

Blue Jasmine, Cate Blanchett

C’est le portrait d’une femme à la dérive, incarnée par Cate Blanchett, que Woody Alllen dessine cette fois. Avant de s’appeler Jasmine, elle fut une petite Jeannette qui n’a pas grandi dans le luxe, tout comme sa sœur Ginger, elle aussi enfant adoptée.
Mais, grandie belle et avisée, elle a fait un beau mariage, s’est rebaptisée Jasmine au passage, et son époux, riche au-delà de toute idée, lui a fait une vie en or massif. Jusqu’à ce que, à force de tromperies, à son égard comme au reste du monde, il finisse par se faire piéger. Prison et suicide s’ensuivent rapidement.
La quarantaine arrivée, voici Jasmine veuve, couverte d’opprobre et ruinée. En pleine dépression, elle quitte les quartiers chics de New-York pour se réfugier à San Francisco chez sa petite sœur. Ginger est caissière, a deux fils trop gros, une petit appartement, un ex-mari qui vivote et un nouvel amoureux dans le genre pas fin. Malgré tout ce qui sépare les deux sœurs, elle accueille Jasmine avec toujours autant d’admiration et une sincère affection.

Ces deux portraits de femmes sont merveilleusement brossés et interprétés. Malgré son inévitable bavardise, Woody Allen concentre sur elles toute la tension dramatique du film, sans fard ni anecdote inutile.
Les deux femmes, arrivées vers le milieu de leur vie, continuent à poursuivre le bonheur, l’une avec l’assurance de celle à qui la vie a souri, l’autre en se laissant porter par les rencontres et les événements. Mais c’est la première qui se trompe en ne recherchant que la fortune quand l’autre recherche la sincérité des sentiments. Un film moral en quelque sorte, dont les hommes, une fois de plus chez le réalisateur new-yorkais, ne sortent pas grandis.

Blue Jasmine
Un film de Woody Allen
Avec Baldwin, Cate Blanchett, Sally Hawkins
Durée 1 h 38
Date de sortie en salles : 25 septembre 2013

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Azzedine Alaïa au Palais Galliera

Azzedine Alaia, exposition au Palais Galliera

Le Palais Galliera a enfin rouvert ses portes après quatre ans de travaux. Pour son inauguration, c’est le couturier Azzedine Alaïa qui ouvre le bal, avec une sélection de 70 de ses créations.
Curieux et connaisseurs étaient venus en nombre dès l’ouverture ce samedi à 10 h ; ils n’ont pas été déçus.

Dans le magnifique palais de Renaissance italienne construit à la fin du XIXème siècle, sous de vertigineuses hauteurs, les plafonds décorés s’aperçoivent à peine. L’ambiance sombre ne laisse en pleine lumière que les vedettes de l’événement : les robes de l’extraordinaire couturier d’origine tunisienne dont la célébrité a été faite par ses clientes, femmes d’exception et de goût, dont les plus grandes légendes du XXème siècle, comme Louise de Vilmorin, Arletty ou Greta Garbo, mais aussi les mannequins qu’il a révélés comme Naomi Campbell ou Linda Evangelista, ou encore les stars qu’il a habillées comme Grace Jones ou Tina Turner.
Car le couturier, installé à Paris dans le Marais, ne s’est appuyé sur aucune publicité, aucun produit dérivé, aucune vitrine sur rue pour asseoir sa renommée : ses fourreaux et ses tailleurs, portés par les plus belles, ont suffi à sa consécration.

L’exposition du Musée Galliera en fait la parfaite démonstration : à travers une sélection de ses création depuis plus de trente ans, on découvre un travail qui relève de la perfection. Ses vêtements parlent à toutes les femmes – il n’y qu’à observer les chuchotements, puis le silence recueilli dans lequel tombent toutes les visiteuses de 17 à 87 ans pour en être convaincu – car ce que l’on admire ce ne sont pas des étoffes, ce sont des écrins conçus pour le corps des femmes.
Azzedine Alaïa travaille sur les épaules, la taille, la cambrure des reins. C’est architecturé à merveille, mais jamais figé. "On ne porte pas un dessin" affirme-t-il. De fait, si ses modèles sont toujours très structurés, épousent le corps comme une seconde peau, le couturier ménage aussi toujours la liberté de mouvement, ici avec un drapé, là avec une ampleur, dont on devine toute la souplesse qu’ils autorisent. C’est grâce à ce travail à partir du corps que chaque pièce, si elle surprend, semble en même temps relever d’une sorte d’évidence.

Cuir moulant, plissé, perforé, perles utilisées comme une matière, raphia, cordes, coquillages ne relèvent jamais de l’anecdote mais du recours à toutes les matières comme si elles étaient du tissu. Des soies les plus précieuses au lainage bouilli le plus simple en passant par les jerseys et l’organza, Alaïa s’empare de tout, ne compte jamais sur l’accessoire ou le bijou, ni sur le choc des couleurs – ici tout est noir, ivoire, ou de teintes sourdes. Il ne compte que sur la ligne et la couture – et les siennes sont si savantes – pour rendre un hommage au corps féminin affranchi, et c’est le comble, de toutes les modes.

Azzedine Alaïa
Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris
10 avenue Pierre Ier de Serbie Paris 16ème
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, sauf les jours fériés
Nocturnes le jeudi jusqu’à 21h
Plein tarif : 8 €, tarifs réduits 6 € et 4 €
Gratuit les 28 et 29 septembre 2013
Du 28 septembre 2013 au 26 janvier 2014

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Masculin/Masculin au Musée d'Orsay

Masculin Masculin au Musée d'Orsay

Pour sa grande exposition de rentrée, le Musée d’Orsay a réuni pas moins de 200 peintures, dessins, sculptures et photographies ayant pour sujet le nu masculin. Si les œuvres présentées les plus anciennes remontent au XVIIème siècle, avec Pierre Mignard et Georges de La Tour, la majorité d’entre elles couvre une période allant du XIXème à nos jours.

Le thème est inédit en France et, en commençant la visite, on a tendance à se dire – trop vite – que l’on comprend pourquoi : comme cela semble ennuyeux !
En fait, plus on progresse dans l’exposition, plus elle s’avère au contraire intéressante. Il faut dire que le parcours – thématique, qui se plaît à mélanger au maximum les époques et les genres dans une même salle – débute avec le nu académique, que l’on faisait apprendre à tout artiste élève aux Beaux-Arts. Or, rien ne ressemble davantage à un nu canonique qu’un autre nu canonique, quels que soient les prétextes (parfois les plus artificiels) dont ils sont entourés. Y compris ceux de Pierre et Gilles, avec leurs gadgets et leur esthétique publicitaire contemporaine. Point commun de tout ce fatras : zéro expression, zéro émotion, zéro intérêt.

Si cet idéal classique a effectivement perduré jusqu’à nos jours, d’autres artistes ont heureusement, aux XIXème et au XXème siècles cherché d’autres approches, notamment réalistes comme par exemple Rodin (voir son Balzac), ou sur une période plus récente le peintre Lucian Freud. Voir aussi certaines représentations des corps morts, au-delà des représentations christiques : à côté de l‘Egalité devant la mort de Bouguereau (1848), voici l’hyper-réaliste et terrifiant Père mort de Ron Mueck (1996-97).

Tableaux et mise en espace s’éclaircissent considérablement dès la salle suivante, avec le thème de l’homme nu dans la nature, développé autour de celui des baigneurs, par exemple chez Cézanne, Munch, Hodler ou encore Bazille.

Si l’exposition se conclut sur l’érotisation du corps masculin – du moins de façon plus explicite cette fois – la partie la plus passionnante du parcours est sans nul doute celle consacrée au corps souffrant, avec notamment des peintures de Francis Bacon et d’Egon Schiele et la magnifique sculpture de Louise Bourgeois Arch of Hysteria (1993) venue de New-York. Un ensemble d’œuvres poignantes qui montre que le corps peut parfois être aussi expressif et bouleversant qu’un visage.

Masculin/Masculin
L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion-d’Honneur, Paris 7e
Du mar. au dim. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Entrée 12 euros (TR 9,50 euros)
Jusqu’au 2 janvier 2014

L’exposition est organisée par le musée d’Orsay en collaboration avec le Leopold Museum de Vienne

Image : Gustave Moreau (1826-1898), Jason, 1865, Huile sur toile, 204 x 115,5 cm, Paris, musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

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Elle s'en va. Emmanuelle Bercot

Elle s'en va, Emmanuelle Bercot, avec Catherine DeneuveC’est un road-movie un peu particulier qui démarre sur une peine de cœur et finit sur un coup de foudre.
Son point de départ est une sympathique auberge de Bretagne, sont point d’arrivée un village de pierres du sud de la France.
Entre les deux, des boîtes de nuit de province, des stations-services et des hôtels sans étoile, des champs de maïs et des zones pavillonnaires.
Un peu la France de Depardon, un peu le pays de Mammouth, mémorable road-movie à moto dont Gérard Depardieu tenait magnifiquement le guidon.

Clin d’œil de l’histoire du cinéma, cette fois c’est Catherine Deneuve, sur qui les ans aussi sont bien passés, qui tient le volant, interprétant une Bettie au cœur chaviré.
Une sorte de fugue, signe des restes d’une jeunesse pas tout à fait consommée. Des regrets, des rêves brisés, des responsabilités mal assumées, des deuils non faits. Et voilà les retours en arrière qui l’attrapent au coin des larmes, comme cette envie de fumer, prétexte pour (re)prendre sa route quelque part où elle s’était arrêtée.
Étoiles de jeunes jeune fille, passions brisées, fille oubliée, petit-fils inconnu… tout est là, au bord de la route. Elle s’y arrête, rencontre des gens, bouts de vie ou destins entiers. Ce sont eux qui vont la faire avancer.
Qui d’autre que Catherine Deneuve aurait pu incarner Bettie, sa perte, sa dérive, son acceptation enfin ? On a du mal à l’imaginer, tant son naturel et sa liberté font merveille, et trouvent toute leur grâce au milieu de "non acteurs", le petit Nemo Schiffman, le propre fils de la réalisatrice, le peintre Gérard Garouste et la chanteuse Camille, qui font tous trois une entrée sur grands écrans plus que convaincante.

Elle s’en va
Un film d’Emmanuelle Bercot
Avec Catherine Deneuve, Nemo Schiffman, Gérard Garouste, Camille, Claude Gensac, Paul Hamy, Mylène Demongeot, Hafsia Herzi
Durée 1 h 53
Sorti en salles le 18 septembre 2013

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Photoquai 2013, n'attendez pas !

Photoquai 2013, PérouVoici ouverte la 4ème édition de la passionnante biennale consacrée à la photographie extra-occidentale par le Musée du Quai Branly.

Dans le jardin du Musée et sur le quai du même nom, ce ne sont pas moins de quarante photographes d’Océanie, d’Asie, de Russie, d’Afrique et d’Amérique Latine qui sont sélectionnés.

En tout, 400 photos, pour la plupart en très grand format sont exposées en plein air et en accès libre jusqu’au 17 novembre prochain.

Dans la douceur du soleil automnal, bercée par les reflets de la Seine, c’est une balade qu’il ne faut pas trop différer car elle est vraiment délicieuse en cette arrière-saison.
D’autant que le résultat est vraiment à la hauteur : plus on avance, plus la curiosité s’éveille et plus on est captivé par tant de découvertes.

Le fil conducteur de l’édition 2013, « Regarde-moi » tend à mettre l’accent sur l’humain. Pour autant, les lieux ne se réduisent pas à de simples décors. Bien au contraire, les personnages font unité avec leur cadre de vie. Et si quelques productions sont un peu plus convenues que les autres, l’immense majorité des œuvres présentées sont de très haute tenue et parfois extrêmement personnelles.

Tel est le cas des photographes russes Evgenia Arbugaeva, dont l’attachante série « Tiksi » suit les traces de ses souvenirs d’enfance dans le nord de la Sibérie et Daria Tuminas, qui avec « Ivan and the Moon » montre la vie intrigante de deux adolescents dans un village isolé du nord de la Russie à 990 kilomètres de Moscou en osmose totale avec la nature, ou, dans un registre très différent de « Quest for Self » série onirique et très léchée de Mohammad Anisul Hoque (Bangladesh).

En fait, on voudrait les citer presque tous… On s’en tiendra à deux noms encore, d’Amérique Latine cette fois : pour leur genre totalement pictural, les photos de famille de la Colombienne Adriana Duque, Sagrada Familia, de cuento en cuento directement inspirées de la peinture hollandaise du XVIIème et, tant pour son propos que pour la beauté de ses œuvres, Musuk Nolte qui s’intéresse plus particulièrement aux minorités ethniques.
En 2011, ce jeune Péruvien est allé à la rencontre des Shawi, au nord du Pérou : « C’est un mystère de la nature, explique-t-il. Ils vivent au fin fond de la jungle, à deux jours de navigation de la ville la plus proche. Eloignés de tout, ils disposent cependant de ressources naturelles qui, au fil des siècles, ont excité la convoitise de l’Etat : le caoutchouc au XIXe, le bois au XXe, le pétrole – dont leur sous-sol regorge – aujourd’hui. Parce qu’ils n’ont cessé de lutter pour leur survie, les Shawi ont, plus que d’autres ethnies, réussi à préserver leur territoire. Ils sont au nombre de 13 000, mais comptent parmi les tribus les moins étudiées de la forêt amazonienne. Tout ce que l’on sait d’eux, c’est qu’ils pratiquent le chamanisme. Restés à l’écart de la civilisation, ils sont, avec le temps, devenus un symbole de résistance ». Prises dans un noir et blanc entre chien et loup, ces photos sont aussi belles que mystérieuses.

Minorités menacées sur fond d’uniformisation croissante, dégâts de la pollution comme prix à payer de ce que l’on appelle le développement, pays en guerre, la réalité du monde contemporain est montrée sans angélisme à travers cette ambitieuse exposition. Mais l’on est loin, en même temps, d’une vision misérabiliste. Partout, c’est davantage la diversité des modes de vie et des chemins, dans toute leur dignité, qui sont valorisées, dans des démarches documentaires dont l’approche esthétique demeure toujours séduisante.

Photoquai 2013, Hoque, Bangladesh

Photoquai 2013
Sur le quai Branly, l’exposition est accessible gratuitement, 24h/24, tous les jours
Le jardin du musée du quai Branly est ouvert à partir de 9 h 15, l’entrée est libre
Comment y aller
Jusqu’au 17 novembre 2013

Images :
Musuk Nolte © musée du quai Branly, Photoquai 2013
et Mohammad Anisul Hoque © musée du quai Branly, Photoquai 2013

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