Cornouaille. Anne Le Ny

Cornouaille, Anne Le Ny

Jolie trentenaire, Odile vit à Paris où elle a réussi sa vie professionnelle en créant sa propre agence de voyages. Célibataire, elle passe ses "13 à 15" dans une chambre d’hôtel du 20ème arrondissement avec Fabrice, marié et père de famille, .
Gaie, vive et déterminée, c’est plutôt de bonnes grâces qu’elle se rend seule dans le Finistère, le temps d’expédier une affaire successorale : vider et vendre la maison de sa tante dont elle vient d’hériter.
Mais une fois sur place, les choses ne se déroulent pas aussi simplement que prévu : sitôt arrivée, Odile est saisie par le souvenir de son père mort dans cette maison alors qu’elle avait douze ans. Un ami d’enfance s’invite chez elle et l’amène à réfléchir sur elle-même.
Tout le passé qu’elle avait voulu effacer lui revient en mémoire et ses fantômes viennent la hanter. Mais n’est-ce pas là l’occasion de renouer avec son enfance pour mieux se trouver et choisir enfin la vie d’adulte qui lui correspond vraiment ?

Sur un scénario bien bâtit au départ mais que l’on sent au fur et à mesure du film de plus en plus hésitant, la réalisatrice a voulu développer de belles et fortes thématiques, celles de la mort, du poids des souvenirs, de la fidélité aux disparus mais aussi de la difficulté de s’en libérer pour enfin devenir soi.
Pour l’essentiel, elle y est parvenue mais parfois sur le fil du rasoir, entre scénario un peu bancal et mise en scène trop conventionnelle.
Pour autant, les paysages envoûtants de Cornouaille et le jeu très juste des acteurs, à commencer par Vanessa Paradis dans le rôle principal, mais également les hommes qui l’accompagnent, Samuel Le Bihan et Jonathan Zaccaï (et de brèves mais toujours délicieuses apparitions de Laurent Stocker en notaire complexé), parviennent à faire passer ces émotions qui, surgies des temps anciens, viennent tour à tour bouleverser, illuminer et apaiser nos vies présentes.

Cornouaille
Un film d’Anne Le Ny
Avec Vanessa Paradis, Samuel Le Bihan, Jonathan Zaccaï, Laurent Stocker
Durée 1 h 36
Sorti en salles le 15 août 2012

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Yutaka Takanashi à la Fondation HCB à Paris

Yutaka Takanashi, fondation HCBPlus que deux semaines pour découvrir l’exposition consacrée à Yutaka Takanashi, photographe né à Tokyo en 1935 et l’un des plus importants du XXème siècle japonais.
Pour cette première en France réunissant plus de quatre-vingt clichés, la Fondation Henri Cartier-Bresson présente des séries majeures de l’artiste.

Au premier étage, Toshi-e (Vers la ville) est composée de photos en noir et blanc de formats assez réduits, datées de 1965 au début des années 1970 : comme prises sur le vif (Takanashi en a pris beaucoup en roulant en voiture), elles se caractérisent par leur cadrage audacieux, leurs contrastes forts et parfois leur flouté. En cela, elles sont bien représentatives du mouvement de la photographie japonaise à cette époque, et dont Yutaka Takanashi fut l’un des précurseurs. Fondateur après les contestations de 1968 (contre la guerre du Viêt Nam notamment) de la revue Provoke, il fit évoluer avec quelques autres la photographie documentaire loin de ses canons classiques en lui imprimant une marque plus brute et plus spontanée. Si Provoke s’est dissoute dès 1970 après la publication de son 3° numéro, le travail de Takanashi sur la ville et ses environs fut rassemblé dans Toshi-e, un très beau livre publié en 1974 et qui fera date.
L’on y perçoit tout un environnement en mutation, ville et abords, engagé dans une modernisation qui parfois semble laisser l’homme livré à lui-même. D’autres fois, le photographe s’attarde sur des détails que l’on dirait insignifiants, pour en souligner la poésie.

Exposition Takanashi à ParisLes séries Machi (La ville) et Golden-gai Bars exposées au deuxième étage sont peut-être plus émouvantes encore, bien qu’elles ne montrent que des lieux. Mais c’est peut-être aussi le contraste entre les deux parties de l’exposition qui contribue à cette émotion. Il s’agit ici de photos en couleurs de plus grands formats, prises au milieu des années 1970 et au début des années 1980 dans des quartiers populaires et traditionnels de Tokyo : boutiques, bars, échoppes d’artisans.
La définition des images est d’une netteté somptueuse (elles sont prises à la chambre et non plus au Leica) et leur teinte ambrée participe de cette beauté. Nous sommes cette fois face à ce qui est resté, dans une certaine fixité du temps qui colore ce travail d’une dimension nostalgique. L’on pense soudain à la manière dont Raymond Depardon a photographié la France il y a quelques années, montrant parfois des lieux qui paraissaient inchangés depuis les années 1950, alors que la série Toshie-e faisait elle plutôt penser aux Américains de Robert Frank.

Yutaka Tkanashi
Fondation Henri Cartier-Bresson
2, impasse Lebouis, Paris 14e (M° Gaîté)
Du mar. au dim. de 13 h à 18 h 30, le sam. de 11 h à 18 h 45, nocturne le mer.
Entrée de 6 € et 4 €
Jusqu’au 29 juillet

Catalogue, 92 pages, Editions Toluca, 38 €.

Images : Gare de Tokyo, quartier de Chiyoda, 1965, crédits YUTAKA TAKANASHI/Galerie Priska Pasquer, Cologne
Et Yutaka Takanashi / Courtesy Alexis Fabry (Toluca Editions), Paris

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Hippolyte et Aricie. Opéra Garnier

Hippolyte et Aricie, Diane et l'Amour

A-t-on jamais vu spectacle lyrique aussi ravissant ? Décors, lumières, costumes, danses, tout concourt à nous plonger dans le merveilleux baroque XVIIIème dont cet Hippolyte et Aricie, premier opéra de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) est issu.
Le compositeur l’a créé en 1733 ; il avait déjà 50 ans. Ce coup d’essai précéda bien d’autres œuvres du genre, parmi lesquelles les fameux Platée, Les Indes galantes, Castor et Pollux, Dardanus ou encore Zoroastre.

La production présentée pour la première fois cette saison à Paris a été créée au théâtre du Capitole de Toulouse en 2009, alors que Nicolas Joël – aujourd’hui à la tête de l’Opéra national de Paris – en était le directeur. Trois ans après, les ors du palais Garnier accueillent ce très beau spectacle, mis en scène par Ivan Alexandre et dirigé par Emmanuelle Haïm venue avec sa formation Le concert d’Astrée.

Le livret puise à la source de la tragédie racinienne, avec la passion de Phèdre pour son beau-fils menaçant les amours d’Hippolyte et d’Aricie, tandis que dieux et déesses négocient et arbitrent, ici Diane contrainte de faire la place à l’Amour, là Pluton condamnant aux enfers, plus loin Neptune imposant sa loi par les flots.
Dans ce monde implacable où les divinités président aux destinées humaines, l’intervention de divertissements dansés au coeur de chacun des cinq actes vient insuffler une légèreté qui fait de la pièce une merveille d’équilibre entre tension et détente.

Le phrasé précis, le timbre cristallin et nuancé de la soprano belge Anne-Catherine Gillet nous fait ressentir toute la tendresse d’Aricie. Jaël Azzaretti interprétant l’Amour nous emporte au sommet de la joie amoureuse, tandis que la mezzo-soprano Sarah Connolly en Phèdre et le baryton Stéphane Degout en Thésée imposent de leur haute maîtrise vocale l’autorité puis la faiblesse de leurs personnages. Seul Hippolyte déçoit, les mots en français semblant sortir comme étouffés de la bouche du finlandais Topi Lehtipuu.

Les chorégraphies de Nathalie van Parys recréent la légèreté des ballets de cour, quand la musique tout en finesse de Rameau dirigée avec énergie et tranquillité par Emmanuelle HaÏm porte le tout avec délices.
Les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz sont fastueux. Vert amande, rose chair, vieil or, les couleurs sont poudrées, comme délicatement fanées au soleil, les jupes sont à paniers et les bustes hautement corsetés, quand franges, galons et broderies animent taffetas et brocards de soie.

Dessinés par Antoine Fontaine, éclairés d’une lumière couleur de miel évoquant tour à tour la douceur d’une fin d’après d’après-midi d’été et la chaleur de la chandelle, les décors participent de la mise en scène absolument baroque qui joue sur une double magie : celle de recréer un opéra comme à la Cour de Versailles et celle de mettre en scène la tragédie elle-même. Ainsi il en descend des cintres (non seulement des décors, mais aussi des dieux et des déesses), il en monte de dessous la scène, il en pousse des deux côtés… Tout en trompe-l’oeil et grandioses, comme pour prévenir tout risque de préciosité par ailleurs : un savant équilibre en somme, pour un régal de la vue comme de l’ouïe pendant près de trois heures.

Hippolyte et Aricie
Tragédie lyrique en cinq actes et un prologue
Musique de Jean-Philippe Rameau
Livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin
Opéra national de Paris – Palais Garnier

Dernière représentation lundi 9 juillet 2012 à 19 h 30

Emmanuelle Haïm Direction musicale
Ivan Alexandre Mise en scène
Antoine Fontaine Décors
Jean-Daniel Vuillermoz Costumes
Hervé Gary Lumières
Natalie Van Parys Chorégraphie

Sarah Connolly Phèdre
Anne-Catherine Gillet Aricie
Andrea Hill Diane
Jaël Azzaretti L’Amour / Une Prêtresse / Une Matelote
Salomé Haller Oenone
Marc Mauillon Tisiphone
Aurélia Legay La Grande Prêtresse de Diane / Une Chasseresse / Une Prêtresse
Topi Lehtipuu Hippolyte
Stéphane Degout Thésée
François Lis Pluton / Jupiter
Aimery Lefèvre Arcas / Deuxième Parque
Manuel Nuñez Camelino Un Suivant / Mercure
Jérôme Varnier Neptune / Troisième Parque

Orchestre et choeur du Concert d’Astrée

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Arabella. Richard Strauss

Arabella, Renée Fleming

Vienne, 1860. Arabella est une belle jeune fille d’une noblesse en déconfiture.
Le comte Waldner a perdu sa fortune au jeu, la comtesse Adélaïde se fait prédire l’avenir dans les cartes, et tous deux espèrent un riche mariage pour leur fille aînée Arabella, tandis qu’ils font passer la cadette Zdenka pour un garçon, deux filles à élever dans le monde étant au dessus de leurs moyens.

Arabella ne manque certes pas de prétendants : pas moins de trois comtes et un officier se pressent à sa robe, en particulier en ce soir de Mardi Gras où Arabella sera la reine du bal.
Oui mais voilà, autant la belle aime s’amuser et faire la coquette, autant elle ne voit en aucun de ses courtisans le grand amour qu’elle attend. Fille responsable, elle sait pourtant que c’est ce soir, dernier jour de Carnaval, qu’elle devra arrêter son choix. Justement le jour où elle croise le regard d’un bel inconnu qui lui fait grand effet…

L’intrigue d‘Arabella, créé à Dresde le 1er juillet 1933 et dernière collaboration de Richard Strauss et de son librettiste Hugo von Hofmannsthal est, on le voit, proche du vaudeville, avec moult rebondissements, dans un Empire Autrichien en proie aux difficultés économiques et politiques que la bonne société feint d’ignorer.

Marco Arturo Marelli a choisi une mise en scène fort simple, misant sur le dépouillement du décor – de hauts et somptueux murs blancs moulurés évoquant la splendeur désormais démunie du comte et de la comtesse -, sur de larges et très réussis effets de lumière et sur le mouvement des "comédiens", aidés en cela par le plateau tournant. Les teintes froides, bleutées et vieil argent, sont très élégantes sans glacer jamais, tant le feu de la passion brûle sur scène et dans la fosse. Il faut dire que l’orchestre comme les chanteurs menés par Philippe Jordan nous font passer des emberlificotements de la narration aux moments de pur lyrisme avec une fluidité extraordinaire, enveloppant le public de la force des sentiments avec une onctuosité toute viennoise.

La soprano américaine Renée Fleming, à 53 ans passés, est une extraordinaire Arabella. Son jeu de scène, sa blondeur magnifiée par le bleu brillant de sa robe, et surtout bien sûr sa voix dont la puissance est mâtinée de tant de douceur font de son personnage une jeune fille ardente et sûre d’elle qui donne, avec Mandryka, toute la consistance à la pièce. Lui est interprété par le baryton Michael Volle : puissant, aussi expressif scéniquement que Renée Fleming, tantôt dur et rugueux comme il sied à son personnage de noble "paysan" débarqué à la ville, tantôt déchiré d’amour et déchirant, il est un Mandryka des plus enthousiasmants, quand Kurt Rydl, Doris Soffel et Genia Kühmeier, respectivement père, mère et petite sœur d’Arabella forment une famille tout à fait à la hauteur de son heureuse héroïne.

Arabella
Comédie lyrique en trois actes
de Richard Strauss (1864-1949) et Hugo von Hofmannsthal
Opéra National de Paris
Opéra-Bastille, Paris 12ème
A 19 h 30, fin de la représentation 22 h 30 (une heure, entracte de 30 mn, puis une heure trente)
Encore trois représentations à venir : les 4, 7 et 10 juillet 2012

Avec :
Philippe Jordan à la direction musicale
Marco Arturo Marelli à la mise en scène
Dagmar Niefind aux costumes
Friedrich Eggert aux lumières
Chef du Choeur : Patrick Marie Aubert

Kurt Rydl : Graf Waldner
Doris Soffel : Adelaide
Renée Fleming : Arabella
Genia Kühmeier : Zdenka
Michael Volle : Mandryka
Joseph Kaiser : Matteo
Eric Huchet : Graf Elemer
Edwin Crossley Mercer : Graf Dominik
Thomas Dear : Graf Lamoral
Iride Martinez : Die Fiakermilli
Irène Friedli : Eine Kartenaufschlägerin
Istvan Szecsi : Welko
Bernard Bouillon : Djura
Gérard Grobman : Jankel
Ralf Rachbauer : Ein Zimmerkellner
Slawomir Szychowiak, Daejin Bang, Shin Jae Kim : Drei Spieler

Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris

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Journal de France. Claudine Nougaret et Raymond Depardon

Journal de France, Raymond Depardon, Claudine Nougaret

Claudine Nougaret présente Journal de France comme une fiction : "On a reconstitué le voyage de Raymond lorsqu’il est parti photographier la France et on raconte en parallèle une histoire avec des bouts inédits de ses films, qui étaient stockés dans une cave. Pour nous, le documentaire est une rencontre en son direct avec des gens et ce n’est pas le cas ici. On s’est servi de notre matériel, de notre vie pour raconter une histoire". (1)
Pour le spectateur, cette histoire-là a bien un parfum de vérité, celle de cet extraordinaire photo-journaliste qui depuis des décennies va chercher des images, photos ou films, partout dans le monde y compris en France, pour toujours nous montrer un état du monde : les pays en guerre, les exclus, les minorités, les citoyens face aux institutions, les hommes politiques, les paysans… jusqu’à La France, tout simplement. Dans ce dernier travail (2010), Raymond Depardon n’a pas montré des gens, mais des lieux : la France d’aujourd’hui, en ce qu’elle est encore la subsistance de celle d’hier, celle des années 1950 de sa jeunesse, mais pas seulement, car la France d’aujourd’hui est aussi celle des ronds-points et des petites zones commerciales. C’est "la France des sous-préfectures" comme aime à la qualifier le photographe (lire le billet sur la France de Raymond Depardon).

Journal de France est d’abord la chronique de ce travail-là, reconstitué par Depardon soi-même et celle qui est à la fois sa compagne de vie et de travail documentaire (au son) depuis 25 ans : Claudine Nougaret.
L’on y voit le photographe à l’œuvre et c’est passionnant. A première vue, c’est bien peu de choses, pourtant, un homme qui conduit un fourgon sur les routes départementales de la Nièvre ou de l’Hérault pour s’arrêter, quand l’humeur le lui commande, photographier une boucherie ou un tabac-presse les plus ordinaires possibles. Mais c’est que si l’on connaît la qualité de son travail, il est formidable de découvrir le chemin qui l’y conduit car ce chemin-là est tout en cohérence avec le résultat : solitude, curiosité, patience, observation, sensibilité. Ce que montre merveilleusement Claudine Nougaret à travers cette chronique est la multitude de désirs qui sont à la source de cette entreprise : désir de connaître ("Je m’aperçois que je connais mieux le Tchad que la Meuse"), désir de rencontres (voir les merveilleuses scènes où il fait parler un coiffeur, ou des octogénaires qu’il retrouve exactement au même endroit 10 ou 20 ans après les avoir photographiés), désir de rendre hommage (en utilisant la technique à la chambre pour obtenir une image de très belle définition), désir de prendre le temps enfin – la France par ses petites routes, c’est long… de même que le procédé à la chambre pour prendre une photo, c’est de l’artisanat.

La chronique de ce reportage est entrecoupée de séquences de beaucoup de films de Raymond Depardon (pas tous toutefois) : on mesure alors si besoin est l’ampleur de l’œuvre du photographe-documentariste. L’on découvre certains documentaires, en retrouve d’autres, mais toujours à travers des passages inédits car il ne s’agit que de chutes de ses films qui dormaient dans sa cave.
On admire, on sourit, on s’émeut au fil de ses séquences, avec à l’arrivée une seule envie : celle de voir ou de revoir tous ses films documentaires, tant le travail de Raymond Depardon est celui d’un homme qui a su, en suscitant la confiance et/ou la confidence tout en se faisant oublier, tirer le meilleur de ses sujets pour laisser leur vérité éclater. Et Dieu sait si cela peut être instructif et, bien souvent, poignant.

Journal de France, Depardon, Nougaret

Journal de France
Un film de Claudine Nougaret et Raymond Depardon
Durée 1 h 40
Sorti en salles le 13 juin 2012

(1) Trois Couleurs, juin 2012

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Anri Sala au Centre Pompidou

Anri Sala, Centre PompidouL’installation d’Anri Sala, l’artiste qui représentera la France à la prochaine Biennale de Venise en 2013, nous invite à une expérience originale. Conçue spécialement pour le Centre Pompidou, dépourvue de titre, elle est faite de très peu d’objets, de cinq grands écrans sur lesquels sont projetés quatre films, et de beaucoup de sons. C’est une œuvre qui se vit davantage qu’elle ne se visite.

Le vaste espace d’exposition de la Galerie Sud est en grande partie plongé dans la pénombre. Title Suspended, une sculpture de l’artiste de 2008 appartenant au Centre, présentée sur un mur immaculé accueille le visiteur. Il s’agit d’une paire de gants de latex violet figurant des mains articulées en face à face, qui tournent lentement, tantôt "habitées", tantôt laissant choir un doigt comme abandonné, et que l’on resterait longtemps à décrypter si le son ne nous attirait pas irrésistiblement vers la suite de l’installation.

Anri Sala, batterieC’est que la musique est l’une des composantes essentielle de l’œuvre : elle enveloppe le visiteur en permanence et rythme ses déplacements dans l’exposition. Trois musiques fort différentes mais qui s’imbriquent parfaitement sont réunies : une symphonie de Tchaïkovski, une nouvelle version de Should I Stay or Should I Go des Clash et le rythme de dix batteries (Doldrums, 2008).
Ces musiques viennent aussi bien des films eux-mêmes (qui montrent à certains moments des personnages en train de jouer), que des dix-septs hauts-parleurs disséminés dans l’espace d’exposition, en encore des batteries installées ici et là et qui se mettent à jouer en automate par intermittence.

Les films sont découpés en douze séquences, issues d’un montage spécifique pour l’installation de quatre films réalisés par Anri Sala entre 2008 et 2011. Ces séquences s’enchaînent d’un écran à un autre dans le sens des aiguilles d’une montre, et c’est le déclenchement de la musique qui indique où le film reprend, invitant le visiteur à se déplacer.
Le tout dure une heure ; chaque étape laisse le temps de s’installer, sur un cube où le plus souvent à même le sol noir conçu pour amortir tout bruit de pas.

Les films montrent Sarajevo pendant le siège de 1992 à 1995 (1395 Days without Red), un dôme géodésique à Berlin (Answer Me), une salle des fêtes désertée à Bordeaux (Le Clash) et le site aztèque de Tlatelolco à Mexico (Tlatelolco Clash). Les personnages ne parlent presque pas, mais les images, d’un puissant effet hypnotique et associées à la musique sont très évocatrices.

Anri Sala 1395 days without redEn particulier, la peur, la claustration, le désir – toujours contrarié – de s’échapper sont fortement à l’œuvre dans 1395 Days without Red, qui renvoie aux 1395 jours où les habitant de Sarajevo n’ont pas porté de rouge pour ne pas être pris pour cible par les snipers : une jeune femme marche dans les rues désertes, comme hantée à la fois par le présent et le souvenir ; elle semble chercher son courage et son chemin au rythme de la symphonie de Tchaïkovski qu’elle chantonne ; aux carrefours, elle se met à courir, puis perd son souffle, s’arrête, recommence à marcher.
A Berlin, le bruit de la batterie dont l’homme joue couvre la dispute qui l’oppose à une femme ; on/il entend à peine ce qu’elle a à dire, si ce n’est Answer me.
La narration, aussi ténue soit-elle, résulte donc autant de la musique que des images.

Europe libre, Europe en guerre passée ou contemporaine, Amérique Latine violente hier et aujourd’hui : les lieux ne sont évidemment pas neutres. Ici comme ailleurs, il est question de séparation, de perte, de solitude.
En contre-point, la musique symphonique de Tchaïkovski évoque un collectif et une harmonie dont le contraste est d’autant plus poignant que lorsqu’il fait jouer Should I Stay or Should I Go au Mexique, ce n’est pas un groupe qui opère, mais une vieille femme qui passe des cartes dans une orgue de Barbarie…

Mais un autre contre-point attend le visiteur qui s’éloigne des écrans pour se diriger vers la baie vitrée qui donne sur l’extérieur, avec la fontaine Stravinski et les terrasses, où il découvre un monde grouillant, coloré, vivant. Cette vision de la réalité fait-elle partie d’un autre film ? Des passants curieux se tournent pour voir ce qu’il se passe à l’intérieur : nous voici nous-même acteur du grand film symphonique qu’est la déconcertante et passionnante installation de ce talentueux artiste Franco-Albanais de 38 ans.

Anri Sala
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou – Paris 4ème
De 11 h à 21 h, nocturnes tous les jeudis jusqu’à 23 h
Fermé le mardi
Entrée de 11 à 13 euros
Jusqu’au 6 août 2012

Images :
Title Suspended, 2008 © Anri Sala
Doldrums, 2008 Courtesy : Marian Goodman Gallery, New York – Vue de l’installation à la Serpentine Gallery, Londres © photo : Sylvain Deleu
1395 Days without red, Anri Sala, en collaboration avec Liria Begeja © Milomir Kova

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Gerhard Richter. Panorama

Exposition Panorama, Gerhard Richter à PompidouEn 50 ans de création, Gerhard Richter, l’un des peintres contemporains allemands les plus connus, dont le Centre Pompidou célèbre les 80 ans cette année en organisant cette première grande rétrospective, semble avoir "tout" peint.

Le titre de l’exposition itinérante, Panorama, qui est déjà passée par Berlin et Londres, reflète bien l’un des axes fondamentaux de l’œuvre de Richter : le travail d’inventaire.
Son œuvre peint, embrassé avec intelligence comme il l’est ici, apparaît en effet plus que jamais comme un "répertoire" de la peinture, dont l’entreprise semble naturellement tournée vers l’éternelle question "Qu’est-ce que la peinture ?".
Gerhard Richter y répond par une autre question : "Que peut la peinture ?", renvoyant sans fin le spectateur à lui-même et à ses propres questions par rapport au tableau : "Qu’est-ce que je vois quand je vois la peinture ?".

Autant dire que le visiteur de Panorama est de bout en bout en éveil, tout à tour ébloui, étonné, éclairé, questionné, renvoyé à de multiples références. C’est que Richter évoque tantôt à l’Histoire – il est un très grand peintre de l’Histoire contemporaine, Allemande bien sûr, mais pas seulement, comme en témoignent ses tableaux sur le 11 septembre 2001 par exemple -, tantôt l’histoire de la peinture, avec des citations de Marcel Duchamp (Rouleau de papier toilette, 1965), du Pop art (Séchoir pliant, 1962), mais aussi du pleinariste (Forêt, 1990), du romantisme (Chinon, 1987), ou encore de Chardin (Lys) et de Vermeer (Lectrice)…, le tout avec les questions de la représentation, du pouvoir de l’image et de ses illusions qui reviennent en fond comme un leitmotiv.

L’accès à l’objet ou au sujet par l’image est et restera une illusion. Richter le souligne de mille façons merveilleuses, qui tournent essentiellement autour de l’idée du verre, plus ou moins transparent, plus ou moins brillant, plus ou moins grossissant.
Il racle la peinture sur le support (de la toile, parfois de l’alu) comme s’il s’agissait d’une vitre. Il étale de la peinture d’émail sous verre, formant des marbrures et des veinures de couleurs brillantes et sublimes, évoquant la fluidité et l’impermanence du sable ou de l’eau (série Aladin de 2010). Il reproduit l’infiniment petit en très très gros (Silicate, 2003, mais surtout sa toile de 20 mètres de long reproduisant à échelle XXL un simple coup de pinceau). Il peint des photographies (il reproduit sur toile à la peinture à l’huile des photographies en les agrandissant au carreau et à l’épiscope), en les floutant plus ou moins, comme si l’objet était placé derrière une vitre légèrement opalescente. Il joue sur la lumière comme l’ont fait tous les peintres depuis la Renaissance, éclairant ici une nuque, là un paysage. Il joue enfin sur l’éloignement optique (de près ou de loin, un même tableau offre une vision fort différente, comme si on l’observait à travers une lentille plus ou moins grossissante). Ses sculptures en verre présentées au fil de l’exposition apparaissent comme le point de sublimation de ces interrogations-là.

Mais cet historien de la peinture regarde aussi du côté du pouvoir narratif de l’image : montrer le mouvement (Tigre, 1965 ; Nu à l’escalier, 1966 ; mais aussi ses tableaux dits abstraits, comme Juin, 1983, d’une énergie vitale incroyable) ; montrer le moment décisif (en 1988, Betty, sa fille, juste avant qu’elle ne tourne la tête ; en 1994, Lectrice, montrant encore sa fille, au moment où elle découvre le contenu d’une lettre) ; montrer que l’image elle-même disparaît (Nu à l’escalier mais aussi la série sur la Bande à Bader ou encore l‘Auto-portrait, qui fait songer aux peintures de Giacometti où le sujet semble s’évanouir dans le cadre), comme tout est voué à la disparition (chères natures mortes et vanités, comme sa célèbre Bougie et son Crâne, 1983 ou ses Lys, 2000), comme tout est voué à la transformation.

Cet insaisissable-là, Gerhard Richter s’obstine à le représenter. Il était l’un des seuls, dans les années 1960 et 1970, à croire encore à la peinture, et à le clamer. Ses œuvres en témoignent. Il est le seul à représenter les montagnes comme non pas un paysage mais comme la sensation d’absorption qu’elles lui inspirent (Alpes II, 1968), les nuages, avec un époustouflant tryptique, à hauteur non pas d’homme (par en dessous) mais d’anges (comme si l’on était dans les nues), la mer avec une telle somptuosité (Marine, 1969).

Tout est en apparence aérien, malgré la gravité de certains sujets. Tout , réellement ou symboliquement, semble lové dans une sorte de sfumato cher à Léonard. Comme si cet immense artiste, avec chaque œuvre, embarquait le spectateur sur le chemin si ambigu de la peinture, à travers une lecture profondément onirique de ses tableaux.

Gerhard Richter. Panorama
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou – Paris 4ème
De 11 h à 21 h, nocturnes tous les jeudis jusqu’à 23 h
Fermé le mardi
Jusqu’au 24 septembre 2012

A lire également sur malgm au sujet de Gerhard Richter : Les photographies peintes ; Les mystères du rectangles de Siri Hustvedt ; Les artistes allemands contemporains à Dunkerque.

Image : Gerhard Richter, "Betty", 1988, huile sur toile, 102x72cm, Saint-Louis Art Museum Gerhard Richter 2012 © Gerhard Richter 2012

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Poussin et Moïse, Histoires tissées

Histoires tissées, galerie nationale des Gobelins

Voici la splendeur du Grand Siècle étalée sur les vastes murs de la Galerie des Gobelins avec l’ensemble exceptionnel de huit tapisseries formant la tenture de Moïse élaborée d’après Poussin.

C’est quelques décennies après la mort de Poussin, qui n’avait peint que des tableaux de chevalet, que la décision fut prise de faire réaliser pour le Roi le cycle sur l’histoire de Moïse.
Il s’agissait d’affirmer l’existence d’une « école française » de peinture, capable de rivaliser avec l’école italienne. Pour réaliser cette ambition, outre, entre autres, la création de l’Académie de France à Rome en 1665, la Cour à Versailles voulait mettre en lumière le talent de celui qu’elle considérait comme l’égal de Raphaël : Nicolas Poussin. Celui-ci n’avait pas peint de fresques ni de grands formats comme Raphaël, Michel-Ange ou Rubens ? Qu’à cela ne tienne, de ses tableaux réalisés sur la vie de Moïse l’on ferait une œuvre monumentale, royale s’il en est : une tenture.

C’était aussi l’occasion pour les lissiers de la Manufacture royale de valoriser encore davantage leur savoir-faire. L’entreprise demanda un véritable travail de transposition, car le changement d’échelle était considérable. Si Poussin était doté d’un sens de la composition et d’un talent narratif qui permettaient la reprise des tableaux en un cycle, la tâche n’allait toutefois pas de soi car ces tableaux avaient été peints à différentes époques, sans que l’artiste les envisage comme un ensemble.
En outre, la reprise en très grands formats et en œuvre tissée nécessitait d’éclaircir les couleurs exagérément sombres des peintures de Poussin (pour preuve, l’on en voit ici dans l’exposition), mais aussi d’opérer quelques aménagements, comme par exemple enlever des masses rocheuses sombres ici ou des nuages noirs là.

Exposé à l’étage de la Galerie, l’ensemble des huit tapisseries, exécutées vers 1683, est remarquable. La somptuosité des couleurs de « Moïse foulant la couronne » (à dominante rouge), ou de « Moïse exposé sur les eaux » (à dominante bleue) est inouïe au regard de l’âge des œuvres.
Cette tenture est précédée, au rez-de-chaussée, de quatre tapisseries d’après Raphaël et de deux d’après Charles Le Brun, le tout sur le thème de Moïse également.
Le parcours n’est évidemment pas fortuit : Poussin s’était inspiré des œuvres de Raphaël pour ses propres peintures sur l’histoire de Moïse. Quant à Le Brun, il voulait rivaliser avec l’un comme avec l’autre. Le Buisson ardent et Le Serpent d’Airain de celui-ci, très « dramatiques » sont eux aussi, il est vrai, très impressionnants. Ils devaient l’être plus encore au Grand Siècle : l’éclairage rasant permet de voir par endroits les fils d’argent dont le Buisson était tissé, resplendissant de mille feux.

L’exposition est à ne pas manquer : après avoir été présentée à la Villa Médicis à Rome puis au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, c’est à Paris qu’elle marque sa toute dernière étape.

Poussin et Moïse, Histoires tissées
Galerie des Gobelins
42, avenue des Gobelins 75013 Paris
TLJ sauf le lundi de 11 h à 18 h
Entrée 6 € (TR 4 €), libre pour les moins de 18 ans et le dernier dimanche du mois
Visites conférences (1h) les mer. et dim. à 15 h 30
Jusqu’au 16 décembre 2012

Image : Moïse exposé sur les eaux, d’après Nicolas Poussin, Paris, Mobilier national, Manufacture des Gobelins, atelier de Jean Jans fils, Tapisserie de haute lisse de laine et soie rehaussée d’or. Vers 1683 © Isabelle Bideau

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Louis Vuitton / Marc Jacobs

Louis Vuitton Marc Jacobs Arts decoratifs

Pour qui aime le beau bagage, le bel objet, la belle ouvrage, la première partie de l’exposition, au 1er étage, est un ravissement.

« Pour qu’un malle soit réellement utile, il faut qu’elle soit légère et cependant résistante, il faut aussi que le contenu que l’on y enferme soit à l’abri des chocs et surtout à l’abri de l’eau (…). J’ai combiné la fabrication d’une malle qui est complètement exempte de ces grands inconvénients. »
Telle est la proclamation faite par Louis Vuitton, layetier-coffretier-emballeur à Paris, le 14 janvier 1867. Cette année-là, il remporte la médaille de bronze à l’Exposition Universelle de Paris. En 1889, ce sera la médaille d’or. L’année suivante, il dépose le célèbre motif « Damier » portant l’inscription « L Vuitton marque de fabrique déposée ».

Ce que ce Jurassien d’origine modeste a très vite compris à Paris, c’est que la réussite passe par trois choses essentielles : la visibilité (les expositions, l’adresse), l’identification soigneusement protégée (un motif, une marque), et surtout… l’air du temps.
Et en ce second XIX° siècle, l’air du temps parisien, c’est à la fois un quartier (Opéra / Place Vendôme reliés par la rue de la Paix), l’émergence de la Haute-Couture (Charles-Frédérick Worth, Paquin, Doucet) et le goût de la bourgeoisie florissante pour la mode et les voyages. Doté d’un solide sens commercial, Louis Vuitton fait apposer sur son entête « Spécialité pour que l’emballage des modes », s’installe près des couturiers, ne montre dans les Expositions Universelles que des articles « prêts à être achetés à Paris » et dépose systématiquement des brevets pour ses créations.

Le succès est au rendez-vous, les belles trouvent malles à leur goût pour emporter les innombrables « tailleurs du matin », « robes de jour » et « robes habillées » composant leur garde-robe. Sarah Bernhardt soi-même, pour sa tournée au Brésil commanda quelques deux cents malles pour abriter ses costumes…
Tout cela est ici merveilleusement raconté et montré : malles ingénieuses et somptueuses, échantillons de toiles, le tout mis intelligemment en vis-à-vis avec des robes (issues des collections du musée des Arts Décoratifs), belles, mais encore encombrantes de l’époque.

La poursuite de la visite, à l’étage supérieur, a quelque chose de vertigineux : nous voici soudain propulsé à la toute fin du XX° siècle et au début des années 2000, avec quelques unes des créations de la maison Louis Vuitton sous l’égide de son directeur artistique Marc Jacobs, désormais en place depuis 15 ans.
Que sont les créations du grand malletier devenues, un siècle plus tard ? Réponse sous les yeux du visiteur : autre chose.
On ne parle plus des mêmes produits, on ne parle plus de bagages innovants techniquement, pratiques et solides. On ne parle plus que d’une chose : de mode, avec des robes, des sacs, à mains, des accessoires en tous genres.

De la leçon du fondateur, Marc Jacobs a pourtant retenu l’essentiel, du Jurassien l’Américain perpétue l’héritage : visibilité, identification, air du temps. Simplement, pour se hisser et surtout rester sur la voie royale du succès dans la jungle mondiale de la mode, il faut aujourd’hui penser bien différemment qu’à la fin du XIX° siècle : il faut s’assurer une communication pénétrante, en s’acoquinant avec les dieux de la publicité, les déesses de la presse de mode et les artistes en vogue, il faut choquer le monde avec des créations qui seront qualifiées d’osées, tout en respectant le socle des codes « maison », il faut enfin maintenir le positionnement luxe en veillant à l’indécence des prix tout autant qu’au marketing qui permet de les justifier.

C’est un peu ce qu’on se dit en parcourant ces créations, à défaut de toujours les admirer. Les malles nous parlaient de sur-mesure, de chic, de voyage, en nous faisant rêver. Les sacs à mains en toile plastifiée plus ou moins bariolée et les robes « d’infirmière » portées par des mannequins squelettiques nous plongent dans la perplexité. Et pourtant, pour beaucoup, ces choses-là sont au contraire hautement désirables.

Louis Vuitton / Marc Jacobs
Musée des Arts décoratifs
107 rue de Rivoli – 75001 Paris
M° Palais-Royal, Pyramides ou Tuileries
Bus 21, 27, 39, 48, 68, 69, 72, 81, 95
TLJ sauf le lun., de 11 h à 18 h, nocturne le jeudi jsq 21 h
Entrée 9,50 € (TR 8 €)
Jusqu’au 16 septembre 2012

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Monumenta 2012 – Daniel Buren

Excentrique(s), travail in situ

Monumenta 5ème, c’est parti !
Après Anselm Kiefer en 2007, Richard Serra en 2008, Christian Boltanski en 2010 et Anish Kapoor en 2011, c’est au tour de Daniel Buren d’investir la nef du Grand Palais jusqu’au 21 juin 2012.
Il faut profiter de l’une de ces belles journées que nous avons enfin en ce moment à Paris pour aller découvrir Excentrique(s), tant la lumière et la couleur du ciel y jouent un rôle important.

Peu étonnant finalement de la part d’un artiste qui a fait du "travail in situ" sa spécialité, produisant essentiellement des installations éphémères absolument conçues pour un lieu précis, Daniel Buren semble, avec le recul, être celui qui jusqu’à présent s’est le mieux approprié le volume du Grand Palais.
Plus étonnant en revanche : il n’a pas joué sur la monumentalité de l’espace. Pas uniquement en tout cas. Cela ne veut pas dire que Excentrique(s) est plus ou moins séduisante que les installations de ses prédécesseurs, c’est plutôt qu’elle nous fait percevoir la nef sous un jour nouveau.

Point d’importance, il est le premier à avoir fait déplacer l’entrée. Au lieu d’accéder directement sous la grande coupole comme nous y invite l’entrée principale côté rue, Daniel Buren nous fait entrer par une petite porte placée en bout de bâtiment, côté nord : il y a une approche, une progression ; l’invite à la découverte et à la balade est manifeste.

Autre surprise, que renforce ce premier point : l’installation surbaisse extraordinairement le plafond ! Ce sont quelques 350 cercles de plastique coloré, bleu, jaune, orange, vert, reliés les uns aux autres, qui, placés à quelques mètres à peine du sol couvrent la totalité de l’espace excepté celui de la coupole centrale. Ces ronds de cinq diamètres différents sont simplement soutenus par des piliers légers blancs et noirs, formant une sorte de forêt de parasols qui laisseraient passer la lumière…
Lorsque l’on gagne le centre, le "ciel" se dégage entièrement (Daniel Buren évoque une "clairière") et l’on profite pleinement de la hauteur de la nef, dont la verrière, à cet endroit, se trouve partiellement colorée de bleu, en une sorte de damier.
Rendant l’aspiration vers le haut plus saisissante encore, (ici l’artiste parle de "montgolfière"), de grands miroirs ronds disposés sur le sol, sur lesquels l’on peut marcher librement, permettent aussi de percevoir cette fameuse hauteur de 45 mètres… sous ses pieds ! Vertige garanti.

Éminemment ludique, paradis des grands et des petits enfants, l’installation livre de merveilleux jeux de couleurs dès que le soleil déborde des nuages : les ronds projetent leurs teintes "pop" sur le sol de béton, sur les piliers noirs et blancs qui du coup se nuancent délicatement, et sur les visiteurs bien sûr…
L’ambiance est chaleureuse et ensoleillée sous le jaune et le orange, aquatique sous le bleu, un peu étrange sous le vert. Le tout alterne joyeusement ; la nef du Grand Palais a perdu son caractère monumental un peu intimidant, pour devenir un lieu où l’on se sent protégé, mais sans rien perdre de sa liberté, sans rien perdre non plus de l’immense volume d’air sous la voûte centrale ni de la fantastique ouverture céleste de la verrière. Un sacré challenge, et une grande réussite !

Excentrique(s), travail in situ
Daniel Buren
Monumenta 2012
Nef du Grand Palais, porte nord – Paris 8ème
TLJ sf le mar., de 10 h à 19 h le lun. et le mer. et jsq minuit du jeu. au dim.
Entrée 5 €
Jusqu’au 21 juin 2012

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