Pinacothèque de Paris : la naissance des Musées

Vierge Esterhazy, Pinacotheque de ParisComment naît un musée ? Avec beaucoup de passion, d’audace et d’ingéniosité a-t-on envie de répondre en découvrant les nouveaux espaces de la Pinacothèque de Paris, et en écoutant son directeur, Marc Restellini, toujours enflammé, souvent emporté, et parfois l’air rêveur, comme déjà dans le "coup d’après".

L’après, ce sera une exposition de masques mayas en mosaïque en provenance de Mexico, qui viendront, à partir du mois de mars, prendre la place de la magnifique exposition L’or des Incas, dans le bâtiment "historique" (ouvert en 2007) de la Pinacothèque de Paris, désormais bien connu du grand public qui vient en nombre découvrir ses expositions phares place de la Madeleine.

Le présent, c’est l’inauguration toute récente de 3 000 m2 de nouveaux espaces, à quelques mètres du premier bâtiment, à l’angle de la rue de Sèze et de la rue Vignon. Là sont réunis trois événements autour de "La naissance d’un musée" : la présentation de la collection permanente de la Pinacothèque, entourée de deux expositions temporaires visibles jusqu’au 29 mai, l’une consacrée aux collections du Musée de l’Ermitage, l’autre à celles du Musée de Budapest.

La naissance de ces deux musées est liée aux passions de deux grandes dynasties : les Romanov, qui ont constitué à partir de la fin du XVII° siècle les abondantes collections impériales russes, pour aboutir à la création, au tout début du XIX° siècle, du célèbre musée de Saint-Pétersbourg.
Les Esterházy, grande famille nobiliaire austro-hongroise, ont commencé au XVII° une collection qui a atteint son apogée deux siècles plus tard avec Nicolas II, alors à la tête de plus de 1 100 tableaux. Elle forme depuis 1870 le cœur du musée des Beaux-Arts de Budapest.

David et J, Rembrandt Pinacotheque de ParisSi l’on n’a pas encore eu la chance de visiter ces deux institutions, dont les collections sont très occidentales, l’ensemble à voir à la Pinacothèque n’est que découverte. Car la collection permanente, constituée de dépôts de collectionneurs privés, est, elle, totalement inédite. Et le tout regorge de pépites.

Trois parcours, donc, et trois approches différentes. Si la centaine d’œuvres impériales russes est organisée selon l’ordre chronologique des règnes des tsars collectionneurs, l’accrochage des quelques cinquante tableaux venus de Budapest respecte la volonté de Nicolas II de présenter les oeuvres par écoles (italienne, française, espagnole, hollandaise…).

Enfin, pour la collection permanente de la Pinacothèque, Marc Restellini a cassé les codes, regroupant les œuvres – peinture essentiellement mais aussi sculpture – par thématiques (natures mortes, portraits, paysages…) et faisant ainsi dans chaque salle s’entrechoquer tous styles et époques. Le dispositif, profondément novateur pour un musée, ne manque pas de piquant, d’autant que la qualité des œuvres fait aller de surprise en surprise. Voici ainsi réunis dans cette originale galerie Magritte, Léger, Pollock, Utrillo, Modigliani, Ernst, Duchamp, Nicolas de Staël, Rothko, Barceló… mais aussi Ghirlandaio, Tintoret, Boucher, Rembrandt, Van Dyck… et même des statuettes primitives !

Le Lorrain, villa romaine, Pinacotheque de ParisLes collections de L’Ermitage et de Budapest, bien sûr antérieures à la peinture moderne, présentent elles aussi nombre de trésors.
Côté Saint-Pétersbourg, on démarre très fort avec un splendide David et Jonathan de Rembrandt, mais l’on croisera aussi Le portrait du comte-duc d’Olivares par Vélasquez, un autoportrait de Véronèse, Amours à la chasse de Poussin, La Malade et le Médecin de Metsu, Christ Salvador Mundi de Titien, Portrait de jeune homme au chapeau de Greuze, Nature morte aux attributs des arts de Chardin…

La partie consacrée aux Esterházy mérite des arrêts prolongés devant La Vierge et le Portrait d’un jeune homme de Raphaël, la Villa dans la campagne romaine de Claude le Lorrain et plus encore devant un petit tableau de Brueghel l’Ancien Paysage montagneux aux couleurs inoubliables, tout près d’un très beau Cranach Lamentation.

Au total, ce sont plus de deux-cent-cinquante tableaux de toutes écoles et époques qu’il faut aller découvrir à la Pinacothèque "II" : de quoi honorer comme il se doit la naissance de ces trois beaux musées.

L’Ermitage, la naissance du musée impérial. Les Romanov, tsars collectionneurs
Une exposition en association avec le Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg
La naissance du musée. Les Esterhàzy, princes collectionneurs
Une exposition en association avec le Musée des Beaux-Arts de Budapest
Jusqu’au 29 mai 2011
Pinacothèque de Paris
Entrée des expositions au 8, rue Vignon – Paris 8°
TLJ de 10 h 30 à 19 h 30 (fermeture des caisses à 18 h 45)
Le 1er mai ouverture de 14 h à 19 h 30
Nocturne tous les mercredis jusqu’à 21 h 30 (fermeture de la billetterie à 20 h 45)

Images : Raffaello Santi, dit Raphaël, La Vierge et l’Enfant avec le petit Saint Jean "La Madone Esterházy", Tempera en huile sur panneau de bois H: 28,5 L: 21,5 cm © Szépmuvészeti Múzeum, Budapest
David et Jonathan de Rembrandt (Harmensz Van Rij, dit) 1642. Huile sur panneau de bois (© Musée de l’Ermitage/Demidov)
Claude Gellée, dit Le Lorrain, Une villa dans la campagne romaine, Huile sur toile H: 68,8 L: 91 cm © Szépmuvészeti Múzeum, Budapest

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Romain Duris, Chéreau, Koltès

La nuit juste avant les forêts, Duris, Chéreau, Koltès

On connaissait l’excellent acteur de cinéma, on découvre un extraordinaire comédien de théâtre : Romain Duris fait sa première apparition sur les planches avec La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, mise en scène par Patrice Chéreau, montée au Louvre à l’automne et donnée jusqu’au 20 mars au théâtre de l’Atelier.

La pièce est un long monologue, entre récit, discours de révolte et litanie. Un texte qui respire peu, oppressant, difficile. Ce qu’en fait Romain Duris est proprement époustouflant : il devient cet homme dont on ignore l’âge mais que l’on sait usé, qui vit dans la rue, qui est "un peu" étranger, qui a travaillé mais ne travaille plus, refuse l’usine et la domination, qui a connu la guerre et les sombres forêts, subi le racisme et la violence, connu la douceur et la sait dangereuse, s’est blindé petit à petit, ou plutôt a essayé, entretient l’espoir d’un monde meilleur, d’une société plus solidaire.

De l’abattement sur son lit d’hôpital où il est allongé au début de la pièce, il se trouve progressivement, très progressivement, tiré par des moments d’espoir ou de colère. L’on suit cette évolution, happé par la voix, le regard, le corps de Romain Duris. L’incarnation est totale, le travail sur le corps – où l’on retrouve bien la signature de Patrice Chéreau – très convaincant. Vers la fin, il est débout, mais baisse lentement la tête ; en un instant, après l’animation qui l’a soulevé, l’on découvre toute la tristesse de cet homme : en quelques mots, en un geste, éclate sous nos yeux son désarroi profond, et qui soudain ne semble avoir d’autre nom qu’humiliation. Stupéfiant, et bouleversant.

La nuit juste avant les forêts
De Bernard-Marie Koltès
Avec Romain Duris, mise en scène de Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang
Jusqu’au 20 mars
Du mercredi au samedi à 19 heures
Durée 1 h 20
Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin – Paris 18°
Places de 15 € à 30 €

© Pascal Victor

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Harper Regan au Théâtre du Rond Point

Harper Regan, Simon Stephens, Théâtre du Rond-PointCe qui se passe au Théâtre du Rond-Point est à ne rien y comprendre. Après avoir vu, au cours de ces dernières saisons, la salle Renaud-Barrault pleine à craquer s’esclaffer à la moindre réplique à peine digne d’un comique troupier, après avoir été tirée d’un profond sommeil par les délirantes ovations mettant un terme à des représentations d’un incommensurable ennui, voici que, ce jeudi 27 janvier, face à un spectacle de très grande qualité, la salle n’était pleine qu’à moitié, arrivée visiblement froide et repartant tout juste tiédie. Insondable mystère !

Simon Stephens, dramaturge britannique de 40 ans, est l’auteur d’une quinzaine de pièces. Depuis la première en 1998, Bluebird, un grand nombre d’entre elles ont été récompensées en Grande-Bretagne. Celle-ci, créée en Londres en 2008, puis en Israël et aux Etats-Unis, avant d’être produite en France, donne envie de suivre le nom de Simon Stephens.

L’histoire ? En scène d’ouverture, une femme d’une petite quarantaine d’années, assise en train de fumer, demande à un grand monsieur bedonnant à chemise rayée l’autorisation de s’absenter quelques jours pour aller voir son père plongé dans le coma. Le patron refuse, semble vouloir éviter de creuser le sujet, digresse longuement. Elle, malgré une certaine réserve, répond avec naturel. Elle est Harper Regan, interprétée par Marina Foïs, à qui son père a donné son prénom en hommage à Harper Lee, l’auteur de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur.

Dès les premières secondes, la présence de Marina Foïs laisse coi. Corps, regard, voix : tout y est ; elle incarne Harper avec une présence incroyable et la fascination va durer tout au long des 2 h 10 que dure la pièce.
Fin de la première scène, noir, le plateau tourne, et on retrouve Harper qui aborde un adolescent au bord du canal, parle de sa vie, de sa fille, de son mari, de son père.
Un peu plus tard, on découvre le mari (Louis Do de Lencquesaing) faisant réciter son cours de géologie à sa fille Sarah – Alice de Lencquesaing, jouée par la propre fille de Louis-Do (1). Harper rentre, conversation à trois. Comme au bureau, on sent Harper à la fois très à sa place, et en même temps coincée par son entourage, peut-être pas si bien en place que cela. Comme s’il y avait un trop-plein, ou peut-être quelque chose d’avalé de travers. Malgré le sourire d’Harper, la légèreté de ton, on sent une inquiétude profonde.

On suit Harper au fil de ses rencontres, un inconnu dans une chambre d’hôtel, les retrouvailles avec sa mère. Petit à petit son histoire se dessine, s’éclaire, au fil de dialogues simples et bien ficelés.
Le dispositif scénique, un plateau tournant, s’appuie sur des décors de verre et des meubles sobres, un éclairage choisi et efficace. Tout est fluide, évident. La distribution est très homogène, impeccablement dirigée. Quatre, dont le grand Gérard Desarthe, jouent plusieurs personnages avec un talent égal.

Que demander de plus ?
Un public plus fourni pour accueillir comme elle le mérite cette pièce contemporaine très juste, mise en valeur sans tapage par la vision claire de Lukas Hemleb et ses merveilleux comédiens.

Harper Regan
de de Simon Stephens
Mise en scène Lukas Hemleb
Avec Caroline Chaniolleau, Gérard Desarthe, Marina Foïs, Alice de Lencquesaing, Louis Do de Lencquesaing, Pierre Moure
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
Salle Renaud-Barrault
A 21 h, le dimanche à 15 h
Jusqu’au 19 février 2011

(1) Mia Hansen-Love avait déjà réuni père et fille au cinéma en 2009 dans Le père de mes enfants

Photo © Giovanni Cittadini Cesi

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L'Antiquité rêvée au Louvre

Fragonard, Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé

C’est un XVIII° siècle tout en contrastes que l’on parcourt au fil de la riche exposition présentée au Louvre jusqu’au 14 février prochain. Sculptures, peintures, gravures et même mobilier s’y côtoient pour montrer les différents aspects de cet engouement pour l’Antique que l’on a trop souvent, à tort, réduit au "Néo-classicisme".

Longtemps associé aux fouilles de Pompéi et d’Herculanum à partir de 1738, le retour au style de l’art Antique leur est en réalité antérieur, né de la volonté, au début du XVIII° de repousser le style Rocaille, jugé peu sérieux : après ses errements fantaisistes, il est temps de retrouver les canons esthétiques et les lignes architecturales de l’art gréco-romain, ce qui est l’occasion de revenir aussi à son inépuisable source de sujets mythologiques.

Des sculpteurs comme Edmé Bouchardon, Augustin Pajou, Johan Tobias Sergel réinterprètent ainsi les grandes figures du panthéon classique.
L’Amour taillant son arc dans la massue d’Hercule de Bouchardon s’impose par la douceur de son expression, ses textures soignées (le rendu des plumes des ailes donne envie de les toucher), sa pose délicate, l’harmonie de l’ensemble.

Les artistes de l’époque ont presque tous fait leur Grand Tour en Italie, certains s’y sont même installés de nombreuses années, et cela se voit.
Du coup, leurs œuvres, loin d’être toutes néo-classiques, sont pour certaines aussi bien marquées par le baroque. On pense beaucoup au Bernin, face au Neptune de Pajou ou à la Venus marine du britannique John Deare…

Hormis les motifs mythologiques, les peintres se plaisent à figurer les chefs d’œuvre emblématiques de la Rome antique : Hubert Robert a peint le Panthéon, montrant d’ailleurs un intérieur assez curieux, plus ovale que rond, et très éclairé… Il a aussi mis en scène la découverte du Laocoon, en plaçant le célèbre groupe dans une belle et immense galerie sans rapport avec le site sur lequel il a été découvert. Le titre de l’exposition, L’Antiquité rêvée prend tout son sens.

Mais en peinture également, la multiplicité des styles reste le plus frappant : ici chez Greuze pointe l’influence de Poussin (dont est exposé Le Testament d’Eudamides venu de Copenhague), là avec David éclate l’exaltation des vertus classiques (Le serment des Horaces), alors que Füssli et son célèbre Cauchemar annoncent avec quelques autres la tentation du sublime et du fantastique du XIX°.

Où classer dans tout cela le grandiose tableau de Fragonard Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé ? A sa propre et magnifique place où, sur un autel délimité par de larges colonnes antiques, Fragonard raconte la légende de Corésus, grand prêtre du temple de Dionysos qui préfère se donner la mort plutôt que de sacrifier la jeune fille qu’il aime. Lors de sa recension du Salon de 1765, Diderot a longuement évoqué cette œuvre, dans des termes tout à fait oniriques.
Il est vrai qu’avec sa composition époustouflante, sa théâtralité, son étonnante lumière, la délicatesse de ses teintes, la variété et la force de ses expressions, deux siècles et demi après, le tableau ne finit pas de fasciner, tant il est dense de littérature, et d’une richesse picturale inouïe.

L’Antiquité rêvée. Innovations et résistances au XVIIIe siècle
Musée du Louvre
Hall Napoléon
TLJ sf mardi, de 9 h à 18 h, les mercredi et vendredi de 9 h à 22 h
Jusqu’au 14 février 2011
Catalogue, Gallimard/Musée du Louvre, 504 p., 45 €

Jean-Honoré Fragonard (Grasse, 1732 – Paris, 1806), Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé, Salon de 1765 © Musée du Louvre/A. Dequier – M. Bard

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Somewhere. Sofia Coppola

Somewhere de Sofia Coppola

Si Somewhere n’a pas la singularité de Virgin Suicides, le souffle envoûtant de Lost in translation, ni le charme endiablé de Marie-Antoinette, il confirme une fois de plus l’immense talent de cinéaste de Sofia Coppola.

L’histoire est ténue : Johnny Marco, un acteur hollywoodien en pleine gloire, proche de la quarantaine, vit entre deux tournages à l’hôtel Château Marmont de Los Angeles, où il est assisté dans ses moindres désirs : fêtes, massages, piscine, poules, rien ne manque. Il n’a même pas besoin de regarder les filles pour les ramasser, mais en a-t-il seulement envie désormais, la question se pose. Car justement, le désir semble s’être envolé chez cet homme qui s’ennuie à périr : le succès, les admirateurs et les flashes ne font plus une vie.
Débarque Cleo, sa fille de onze ans qu’il ne connaît presque pas, pour s’en être trop peu occupé jusque-là. Il va devoir la trimballer partout avec lui, passer du temps avec elle et même, un jour, la voir pleurer.

Sofia Coppola est championne pour filmer l’ennui, elle avait raflé cette statue-là depuis Lost in translation, en montrant Scarlett Johansson désœuvrée dans une chambre d’hôtel de Tokyo. A nouveau, mais avec un homme cette fois, incarné par Stephen Dorff, elle montre le désarroi face au vide de l’existence. Devant la caméra en plan fixe, c’est d’abord une Ferrari qui tourne sur un circuit, sortant puis revenant dans le champ, et rien d’autre : dès la scène inaugurale, tout est dit. Puis ce sont de longs plans séquences où Johnny Marco est dans son canapé, dans un face-à-face cruel avec une bière, un cendrier et une pauvre coupe de fruits digne des natures mortes les plus flinguantes. On ne saurait mieux signifier la vanité de l’existence.

A l’efficacité de sa caméra minimaliste, Sofia Coppola ajoute celle d’une bande-son frappante de sobriété et d’à-propos : éclats pénibles lors de la fête dans la suite de Johnny Marco, musique débile lors des shows des streap-tiseuses, bruits assourdissants du moteur de la Ferrari ou des pales d’hélicoptère, sans compter les sons des jeux vidéos et le flot de creuses palabres italiennes à Milan, autant de décibels qui viennent masquer le silence du désert intérieur que traverse Johnny Marco.

Mais Somewhere est autant le tracé d’une drôle d’enfance, à travers la petite Cleo (extrêmement bien interprétée par Elle Fanning), que le portrait d’un homme en crise. Entourée d’adultes et solitaire, en demande mais silencieuse, gâtée mais inquiète, c’est son personnage et sa relation avec son père qui touchent et attachent, comme une confidence murmurée par fille Coppola, avec la classe infinie qui est sa gracieuse patte.

Somewhere
Un film de Sofia Coppola
Avec Stephen Dorff, Elle Fanning, Chris Pontius
Durée 1 h 38
Sortie cinéma : 5 janvier 2011
Lion d’Or à Venise 2010

Photo © Pathé Distribution

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Les Emotifs anonymes. Jean-Pierre Améris

Les emotifs anonymes

Les Emotifs anonymes est le nom de l’association, fondée selon le même principe que les Alcooliques anonymes, où se retrouvent pour parler ceux dont l’émotivité est telle qu’elle les empêche de vivre normalement.
Angélique, pimpante et jolie jeune femme fréquente ce groupe de parole et déploie d’immenses efforts pour dépasser sa timidité, comme se chanter des chansons dans la rue pour s’encourager, ou répéter ce qu’elle va devoir dire, seule dans le reflet de la vitre.
Jean-René souffre du même syndrome et tient lui aussi à s’en sortir, en consultant un psy et en essayant de mettre en pratique les petits exercices qu’il lui prescrit. Exemple : toucher quelqu’un physiquement.

Comme Angélique, chocolatière virtuose – que la peur de la lumière a jusqu’alors poussée à exercer son talent dans l’ombre – se trouve du jour au lendemain sans travail, et que d’un autre côté Jean-René est le patron d’une chocolaterie en mal d’inspiration et de clients, nos deux grands émotifs vont finir par se rencontrer.
Pire, ils vont même se plaire.
Mais comment deux êtres pareils peuvent-ils jouer les jeux de l’amour, lui transpirant à grande eau et s’éclipsant toutes les cinq minutes pour changer de chemise, elle obligée de préparer des sujets de conversation par crainte de voir le silence écraser la soirée ?
Et quand on a reconnu en l’autre son semblable, comment oser former couple à ses côtés, avec la peur d’additionner et de cumuler cette sensibilité handicapante ?

Les Emotifs anonymes est une comédie légère et romantique, très agréable, amusante, touchante. Les deux comédiens y ont leur large part dans sa réussite ; Isabelle Carré déborde de charme et de grâce dans le rôle de celle qui n’a pas confiance en elle mais très volontaire pour y aller malgré tout. Benoît Poelvoorde porte la timidité, ses blocages et les déblocages brusques qui les suivent avec beaucoup de classe.
Les décors et les costumes vieillots donnent à l’histoire un aspect intemporel aussi délicieux que les douceurs au chocolat créées par Angélique. Car il y a beaucoup de sensualité dans ce film, avec ces désirs trop longtemps canalisés ou freinés qui enfin s’expriment et se réalisent. Il y a aussi beaucoup d’humanité : le regard sur la différence est magnifique, respectueux. Cela paraît peu de choses, mais c’est bien loin d’être rien.

Les Emotifs anonymes
Une comédie de Jean-Pierre Améris
Avec Isabelle Carré, Benoît Poelvoorde
Durée : 1 h 20
Sortie en salle : 22 décembre 2010

Photo © StudioCanal

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Rêve d'automne. Jon Fosse

Rêve d'automne de Jon Fosse, par Patriche Chéreau

Drôle de pièce que ce Rêve d’automne du Norvégien Jon Fosse, mise en scène par Patrice Chéreau, d’abord donnée en novembre au Musée du Louvre, puis actuellement au Théâtre de la Ville.
Le dispositif scénique y reprend le décor du Louvre : grandes et hautes salles aux murs rouges hantées de sombres tableaux.
L’unité de lieu de la pièce est un cimetière ; sa transposition dans le vieux musée, propice à la déambulation, aux voyages dans le passé et à la célébration des morts que sont les peintres est plutôt une bonne idée, respectueuse du propos du texte.

Malgré tout, le spectacle laisse une impression mitigée ; un balancement que le temps laisse finalement en suspens. Ce rêve fascine et ennuie à la fois. Le texte est peut-être ainsi, répétitif au point de lasser, alors qu’il exprime en même temps des sentiments très forts. Une sorte de petite musique lancinante, qui vient battre la mesure ancienne, inlassable, de la mort qui rôde, des disparus menacés d’oubli, des désirs inassouvis, inavoués, indicibles, des relations familiales entêtantes, de la fausse liberté et, surplombant le tout, de la culpabilité.

Pour servir ce texte, Chéreau a choisi Pascal Greggory et Valeria Bruni-Tedeschi dans les rôles centraux de l’Homme et de la Femme, Bernard Verley et Bulle Ogier dans celui des parents, l’émouvante Marie Bunel jouant le rôle secondaire de la première épouse. Peut-être ces choix n’étaient-ils pas tous les meilleurs. Valeria Bruni-Tedeschi est parfaite (une fois définitivement acceptée sa voix de crécelle) et Bulle Ogier va très bien, avec tout l’allant qu’on lui connaît. En revanche, Pascal Greggory n’enchante guère et semble manquer de fraîcheur pour jouer ce rôle d’un homme de quarante ans.

Si l’ensemble reste du bel ouvrage, précis et bien huilé, Patrice Chéreau aurait peut-être dû préférer, à la direction d’acteurs tout en mouvements et en cris, un rythme plus posé et des voix plus profondes.
Peut-être aurait-on aimé retrouver l’intimité éprouvée à la lecture de la pièce, en particulier dans les scènes ou l’Homme et la Femme se retrouvent sur ce banc à la nuit tombée. Peut-être regrette-t-on, dans le fond, de n’avoir pu vibrer davantage.

Rêve d’automne
De Jon Fosse, mise en scène de Patrice Chéreau
Traduit du norvégien par Terje Sinding (pièce publiée chez L’Arche Éditeur)
Avec Valeria Bruni-Tedeschi, Pascal Greggory, Bulle Ogier, Bernard Verley, Marie Bunel, Michelle Marquais, Alexandre Styker
Décor : Richard Peduzzi, costumes : Caroline de Vivaise
Lumière : Dominique Bruguière, conception sonore : Éric Neveux
Théâtre de la Ville 2, place du Châtelet – Paris 4°
Jusqu’au 25 janvier 2010, puis en tournée
Du mardi au vendredi à 20 h 30, le dimanche à 15 h
Places de 24 € à 33 €

Création Théâtre de la Ville, avec le Festival d’Automne à Paris

Photo © Pascal Victor/Artcomart

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La France de Raymond Depardon. BNF

La France de Raymond Depardon, BNF

Qui d’autre que Raymond Depardon aurait pu photographier ce qui n’est jamais montré dans les expositions ni les livres, le "silencieux", l’ordinaire, que l’on voit mais ne regarde pas ?

Pendant des décennies, Raymond Depardon a donné la parole à ceux que l’on n’entend pas, dans des films irremplaçables, sur l’institution psychiatrique, le milieu judiciaire, les peuples menacés d’extinction, les paysans (lire le billet sur La vie moderne).

Cette fois, il a laissé son micro pour réaliser, durant cinq ans, un travail auquel il pensait et tenait depuis longtemps : photographier la France. Ni celle du monde rural qu’il connaît bien, ni celle des grandes villes qu’il a aussi déjà montrées (sur ce sujet, et celui des peuplades minoritaires, voir le billet du 15 janvier 2009). Mais la France des villes moyennes et des villages, dont les "paysages" sont les premiers qu’il a découverts lorsque, dans sa jeunesse, il s’éloignait de sa ferme familiale du Garet dans le Rhône. Les photographier maintenant, avant de les oublier.

Volontairement, il s’est peu intéressé aux gens. Il avait besoin de silence, de solitude, de temps. Grâce aux soutiens des mécène et des collectivités territoriales, il a pu travailler dans ces conditions-là, dans la liberté absolue à laquelle il aspirait. Des années donc, de 2004 à 2010, dans un fourgon aménagé, à faire le tour de 21 régions, à différentes saisons, faisant des repérages avec un Polaroïd, annotant dans des cahiers, avant d’imprimer, enfin, son regard.
Le procédé photographique lui-même est dans la veine des conditions de son périple : simplicité et isolement, puisqu’il a choisi la technique ancienne de la chambre photographique, que l’on croyait, à tort, désormais inusitée.

Les photographies, dont 36 en très grands formats sont exposées à la BNF jusqu’au 9 janvier prochain, dans un accrochage paysager des plus réussis (et plus de 300 réunies dans un beau livre) sont étonnantes.
La netteté de l’image, le traitement égalitaire des gros plans et des détails, la douceur de la lumière, l’éclat des couleurs surprennent au premier chef.
Mais surtout, on admire ce qu’il nous soumet : on est séduit par ce que on voit et cette séduction-là, on a bien du mal à se l’expliquer. Ici une boucherie-charcuterie à Albi, là un monteur de pneus dans le Jura, plus loin une boutique de souvenirs dans les Alpes ou encore un angle de rue avec son tabac-presse dans l’Hérault. Il y a aussi des plages désertes hors-saison, un pavillon et ses géraniums au bord d’une route…
Volontairement non légendées, ces photos pourraient montrer, indifféremment, telle ou telle région. Quelle différence entre une petite zone commerciale aux abords d’un bourg et une autre ? Quelle différence entre telle et telle plage une fois désertée de ses estivants ?
Ce nivellement fait partie du propos de Raymon Depardon : montrer que le paysage français a une unité, constitutive de son identité. Et ce qui saute aux yeux, c’est que cette carte identitaire est faite tout à la fois de moderne, de vieux et de très ancien.
Cela n’empêche pas le spectateur de s’amuser à deviner les départements, en déchiffrant les affichettes sur les vitrines des commerçants, annonçant un loto ou un artiste en pente douce dans tel patelin, en observant les n° des plaques d’immatriculation, délivrant alors encore un indice local. On reconnaît aussi parfois des lieux, comme la petite église de Varengeville-sur-mer.

La seconde partie de l’exposition est riche de clés : outre la reprise des images cette fois légendées, elle montre les influences de Raymond Depardon, avec des photos de Walker Evans et de Paul Strand, les premières photographies de Depardon prises à la ferme du Garet lorsqu’il avait 12 ans (où l’on voit que le sens du cadrage et de la composition était déjà là), mais aussi les travaux préparatoires à ce projet, ses cahiers, son matériel… : tout y est absolument passionnant.

La France de Raymond Depardon
Bibliothèque Nationale de France
Site François-Mitterrand / Grande Galerie
Jusqu’au 9 janvier 2011
Mardi – samedi de 10 h à 1 9h
Dimanche de 13 h à 19 h
Fermé lundi et jours fériés
Entrée 7 € (TR 5 €)

Livre La France de Raymond Depardon, 30 x 27 cm, relié sous coffret, 336 pages, 315 illustrations, Coédition Bibliothèque nationale de France / Seuil (59 €)

Image : « La France de Raymond Depardon » © Raymond Depardon / Magnum photos / CNAP

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Potiche. François Ozon

François Ozon, Potiche, Deneuve et Godrèche

Il faut voir Mme Suzanne Pujol – Catherine Deneuve – en survêtement rouge courant à foulées sages dans le parc, avant de rentrer non moins sagement servir le petit-déjeuner à son macho de mari, et encore en se faisant enguirlander pour avoir donné sa semaine à la femme de cuisine : voici une potiche de belle qualité, jolie, bien mise, souriante, dévouée, soumise sans état d’âme.

Et il faut voir la même, près de deux heures après, dans la scène finale du film : cheveux défaits, tailleur blanc et micro en main entonnant C’est beau la vie de Jean Ferrat (toute ressemblance avec une personnalité politique en vue ne pourrait être fortuite) : Suzanne vient d’être élue député et son sourire n’a plus rien de niais ; il est celui d’une femme épanouie, enfin rendue à elle-même.

Que de chemin parcouru ! Et avec quelle joie pour le spectateur !!
François Ozon a adapté la pièce écrite par Barillet et Grédy pour Jacqueline Maillan qui raconte comment, à la fin des années 1970, l’épouse d’un industriel, dont la vie se résume au foyer, aux enfants et à quelques pauvres poèmes, va se trouver, à l’occasion d’un conflit social, contrainte de prendre la tête de l’usine de parapluie de son époux. Et trouver là le commencement de sa réalisation et de son bonheur.

Le réalisateur de Huit femmes met les femmes une nouvelle fois à l’honneur, dirigeant ses comédiennes avec autant de soin qu’il les coiffe, les maquille et les habille. Catherine Deneuve est impressionnante : si son talent comique, ou pour jouer les maîtresses-femmes est plus qu’établi, la façon dont elle interprète la nigaude du début laisse admiratif. Il n’est pas donné à la première fine venue de composer, sans excès ni caricature, une potiche si juste.
Au plaisir du casting s’ajoute celui des répliques efficaces du boulevard dont certaines font mouche, sans compter celui de la reconstitution historique de ces années-là : costumes et décors, tout y est jusqu’aux chansons et à la R16 !
Il y a aussi l’émotion de retrouver le couple Depardieu-Deneuve ; et encore celle d’une certaine forme d’hommage au cinéma de Jacques Demy, avec l’explosion des couleurs et le ballet des parapluies, ou cette scène où Mme Pujol conseille sa fille, comme Madame Emery jouée par Anne Vernon, il y a quelques 45 ans, conseillait sa fille Geneviève, alors jouée par… Catherine Deneuve.

Potiche
Une comédie de François Ozon
Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Karin Viard, Jérémie Renier, Judith Godrèche
Durée 1 h 43
Sorti en salles le 10 novembre 2010

Photo © Mars Distribution

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Michel Orion. Ferré, Baudelaire et moi

Michel Orion, théâtre l'Ile saint Louis Tant que les poètes sont là… novembre ne nous aura pas, ni décembre, ni aucune autre nuit, si ce n’est la nuit étoilée qu’évoque Michel Orion lorsque, sur le col de Vence où il a passé son adolescence, il a écouté Léo Ferré et s’en est trouvé marqué à jamais.

Ce souffle poétique, celui-là même dont le grand Léo parlait peu de temps avant sa mort pour désigner ce qui resterait alors de lui, "comme un vent…", Michel Orion le ravive, le soir venu, dans l’adorable théâtre de l’ïle Saint-Louis, sur le quai d’Anjou, une salle "très baudelairienne" pour reprendre ses mots.
Une quarantaine de places, un accueil discret et charmant, puis c’est piano-voix, chanson et poésie, et cela pourrait durer toute la nuit.

Michel Orion chante Ferré, Baudelaire, mais aussi des textes et des notes de sa plume. Il a aimé Erik Satie, Boris Vian et cela se sent. De Satie, il raconte qu’à la fin de sa vie, retiré à Arcueil, il n’ouvrait plus les lettres qu’il recevait, mais qu’en revanche il y répondait toujours : "Anar, mais poli" remarque-t-il pour conclure.
Avec lui, l’on se sent si proche de ces artistes, si familier de la poésie, que l’on se dit que Baudelaire, Ferré et les autres sont hors le temps. Ils résonnent aujourd’hui comme ils résonnaient hier. Et ils vivront encore longtemps, à cette seule condition, que l’on sait infiniment gré à Michel Orion de faire respecter : qu’on dise la poésie, la chante, l’écoute. Encore et toujours, comme une grâce que l’on veut bien s’accorder à soi.

Michel Orion
Ferré, Baudelaire et moi
Théâtre de l’île Saint-Louis Paul Rey
39, quai d’Anjou – 75004 PARIS
M° Pont Marie ou Saint-Paul
Du mardi au samedi à 21 h, le dimanche à 17 h
Jusqu’au dimanche 28 novembre 2010
Places 15 € (étudiants de moins de 25 ans : 10 €)
Réservations au 01 46 33 48 65

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