Bonjour New York. Françoise Sagan

Bonjour New York, Françoise Sagan, l'HerneNew York, Capri, Naples, Venise… elle y est allée, elle a vu, ressenti.
Elle a vécu quelques jours, quelques semaines dans ces villes mythiques, le temps parfois d’y prendre ses habitudes. Elle ne prétend pas connaître. Elle n’en fait pas un roman. Elle nous offre simplement son regard.

Quand Françoise Sagan s’est fait ainsi "reporter" pour le magazine Elle dans les années 1950, cela donnait :

Car New York est aussi une grande école. C’est à New York que débarquent d’Europe les étrangers. Vingt races différentes qu’il va falloir transformer en Américains. (…) Tous ont adopté ces interpellations à la fois courtoises et barbares, ces sourires vides, cette vraie cordialité, si généreuse, cette assurance de faire partie d’un tout, ce souci de l’uniformité.
Un peu plus loin :
A quel coin de rue commence l’Amérique, qui n’y renonce jamais ? On n’efface pas si facilement de la mémoire les souvenirs de la douce et vieille Europe, de l’amère et vieille Asie. Sur les trottoirs de New York, le regard ricoche comme des cailloux sur une eau grise, allant d’une rive du monde à l’autre. (…)
Sans doute parlera-t-on des défilés de fierté nationale, et du sentiment triomphant, parfois pénible d’être américain. Mais en fait ce porte-à-porte, ce frontière-à-frontière n’est qu’une traversée de nostalgies en nostalgies.

Le recueil ne compte qu’une cinquantaine de pages, petites et imprimées en gros caractères. Autant dire que le commencer est déjà le finir. Mais deux jours après on a envie de le relire. Car Françoise Sagan n’écrivait comme personne. Elle avait le brio involontaire et l’élégance évidente. Elle conciliait l’acuité du regard à une légèreté profonde. Sa singularité, sa plume précise et son souffle efficace séduisent encore et toujours. La retrouver avec ces petits carnets de voyage est un pur bonheur.

Bonjour New York. Françoise Sagan
L’Herne (2007)
54 p., 9,50 €

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In memoriam. Linda Lê

Linda Lê, In memoriam, Christian BourgoisAu bord de l’abîme et dans le refus du deuil, le narrateur raconte son amour perdu : l’histoire encore brûlante et tragique de Sola, romancière de l’extrême qui finit par se suicider.
Lui-même écrivain, il tombe amoureux des livres de Sola avant de tomber amoureux fou de la femme, y voyant son double féminin et trouvant dans ses mots ceux qu’il ne peut écrire lui-même.
Dans le désarroi de cette disparition qui l’a laissé sans réponse, il refait le chemin, celui de la mystérieuse Sola, avec le peu d’éléments qu’il tient d’elle, mais aussi ce que fut sa propre vie jusqu’à ce qu’il rencontre celle qui l’a révélé à lui-même. Une enfance placée sous le signe de la douleur, dans l’ombre du frère aîné Thomas, le plus beau, le plus doué, le plus actif, le plus aimé. Thomas devenu brillant avocat, richement marié, à qui le narrateur présente un jour Sola. Coup de foudre immédiat, il devra désormais partager son amour avec ce frère exécré… jusqu’à ce que la belle les laisse chacun face à eux-mêmes, avec leurs questions, leur souffrance, leur culpabilité, à jamais transformés par cet être exceptionnel.

Tombeau encore ouvert, recueil de regrets et d’échecs, In memoriam est le livre de toutes les douleurs, à commencer par la perte et l’abandon, mais aussi la souffrance de vies impuissantes, comme celles du narrateur et du père de Sola, mais encore les blessures de l’enfance qui ne guérissent pas et semblent interdire à jamais la joie.
Il faudrait être de pierre pour rester insensible à tant de noirceur. Mais cette monochromie pose sa limite à la portée du roman, car à trop vouloir démontrer et souligner, Linda Lê prend le risque de dérober au lecteur sa propre émotion.

In memoriam. Linda Lê
Christian Bourgois (2007)
190 p., 17 €

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Ni d'Eve ni d'Adam. Amélie Nothomb

Amélie Nothomb, Ni d'Eve ni d'AdamLire toute la production d’Amélie Nothomb exposerait à deux risques, celui de la lassitude et, pire, celui de tomber de temps en temps sur de piètres écrits.
Mieux vaut donc choisir ; et savourer le bon grain.
Le dernier est de ceux-là.
Peut-être Amélie Nothomb n’est-elle d’ailleurs jamais aussi convaincante que lorsqu’elle embarque son lecteur au Japon. L’on pense à Stupeurs et tremblements et à Métaphysique des tubes mais avec un petit quelque chose en mieux.
Donc notre Amélie, à 21 ans, retourne seule au Japon après de longues années de manque. Bien décidée à devenir une vraie Japonaise, elle se dit que pour apprendre la langue, le plus efficace est certainement de donner des cours de français à un Japonais. Aussitôt dit, aussitôt fait.
L’éducation de son élève est exemplaire, sa famille riche, son profil parfaitement dessiné. Et voici qu’il tombe amoureux de son jeune professeur. Et elle ? Elle, elle se contente de le trouver à son goût. Ce qui, pour Amélie, est déjà beaucoup, car, dit-elle "Si j’avais déjà flambé à maintes reprises, jamais encore je n’avais eu de goût pour quiconque".
Donc Ni d’Eve ni d’Adam, c’est Amélie et son fiancé certes, mais Amélie au Japon avant tout. Folle de joie seule dans la montagne enneigée, elle entre en transe devant le Mont Fuji qu’elle appelle son ami. Elle loue la beauté des arbres et cite Brassens à l’occasion, tout en passant de l’exaltation la plus délirante à l’angoisse la plus irrationnelle, de la surexcitation physique et mentale à l’évanouissement. Et si elle adore les bains bouillants et la neige glacée, elle aime davantage encore les deux à la fois. Terrible et délicieuse Amélie, toujours en mouvement, toujours si vivante. Elle ne s’oublie jamais Amélie ; ce n’est pas un fiancé, fût-il tokyoïte, qui la détournerait d’elle-même.
Elle donne en tout cas l’heureuse impression de sincérité, d’une "personnalité" qui se raconte. On s’attache, on rit, on rit d’elle (et de nous parfois au passage) ; on aime.

Ni d’Eve ni d’Adam. Amélie Nothomb
Albin Michel (2007), 252 pages, 17,90 €
Prix de Flore 2007

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Dans le café de la jeunesse perdue. Patrick Modiano

Dans le café de la jeunesse perdue, Patrick ModianoVoici le monde délicat des âmes errantes, des habitants de la ville qui ne s’ancrent véritablement que dans les rues et les cafés, dans ces lieux de passage qui, chez Modiano, deviennent des lieux à part entière, et même au-delà, des lieux de mémoire.
Car il n’est pas uniquement question de noms de rues, de stations de métro et de bars, mais aussi de cheminement dans le temps : dans le café de la jeunesse perdue, la topographie se fait évocatrice de souvenirs, la géographie se fait histoire.
Le moment "historique" – mêlant faits et personnages réels à la fiction – que le roman retrace est celui de la jeunesse de Louki, morte défenestrée à 22 ans, suicide qui n’a en rien dévoilé le mystère qui l’entourait.
Alors, tour à tour, plusieurs personnages parlent de la belle Louki. Au milieu, elle aussi se raconte.
Et c’est avec une parfaite maîtrise de l’art de l’esquisse que Modiano, empruntant plusieurs voix, mais toutes bien siennes, tente de dire qui était Louki.
Cette approche détournée de la jeune femme, avec toute l’ombre qu’elle réserve, est particulièrement convaincante en ceci qu’elle renvoie aux questions Que connaît-on d’une personne au fond ? Qui est-elle véritablement ? Elle-même sait-elle pourquoi elle a agi de la sorte ?. Pourquoi Louki s’est-elle mise à fuguer un soir ? Pourquoi a-t-elle recommencé le lendemain ? Et pourquoi s’est-elle enfuie après son confortable mariage à Neuilly ? Pourquoi s’est-elle mariée d’ailleurs ?
Avec beaucoup de subtilité, Modiano soulève plus d’interrogations qu’il ne donne de réponses, traçant autour de son personnage de simples pointillés, auxquels chacun de ses narrateurs ajoute quelques touches.
Une chose est sûre : le point de départ. L’enfance a légué à Louki la solitude pour principe et les liens avec les autres pour exception. Et le vagabondage dans la ville pour quotidien, la ville devenue point fixe, devenue pays avec ses frontières et ses barrières douanières. En lisant ce roman, l’on ne peut s’empêcher d’entendre résonner l’écho de l’autobiographique et très beau Pedigree, le précédent livre de Patrick Modiano.
Et l’on ne peut s’empêcher de citer ce passage sur "les liens" :

Sans doute la phrase qu’il avait prononcée tout à l’heure m’avait donné cette idée : "On essaie de créer des liens…" Rencontres dans une rue, dans une station de métro à l’heure de pointe. On devrait s’attacher l’un à l’autre par des menottes à ce moment-là. Quel lien résisterait à ce flot qui vous emporte et vous fait dériver ? Un bureau anonyme où l’on dicte une lettre à une dactylo intérimaire, un rez-de-chaussée de Neuilly dont les murs blancs et vides évoquent ce qu’on appelle "un appartement témoin" et où l’on ne laissera aucune trace de son passage… Deux photomatons, l’un de face, l’autre de profil… Et c’est avec ça qu’il faudrait créer des liens ?

Dans le café de la jeunesse perdue. Patrick Modiano
Gallimard, 2007, 148 p.

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Neige. Orhan Pamuk

Neige, Orhan PamukNeige, publié en 2005 a connu un grand succès critique et public. Parmi ses précédents romans, Le livre noir et Mon nom est rouge ont valu à l’écrivain turc Orhan Pamuk une grande renommée et de nombreuses distinctions. Son dernier roman, Istanbul, Souvenirs d’une ville a été publié en 2007.
Le magnifique Neige est réédité en poche cette année.

Ka, poète turc réfugié politique en Allemagne depuis 15 ans revient dans la ville de Kars pour y réaliser un reportage sur le phénomène du suicide des filles voilées, mais aussi dans le secret espoir d’y retrouver et conquérir Ipek, ancienne et belle camarade d’université.
Une neige épaisse et continue tombe sur Kars. Dans cette ville pauvre et reculée d’Anatolie qui, à la veille des élections municipales va se retrouvée coupée du monde par la neige, vont se dérouler d’étranges journées au cours desquelles Ka sera sans cesse pris à parti.

Après l’assassinat d’un directeur d’école laïque par un extrémiste islamique, une représentation théâtrale kémaliste cousue du fil blanc par les autorités pousse les jeunes étudiants de l’école de prédicateurs à l’affrontement, aussitôt réprimé par l’armée qui réalise à cette occasion et dans un bain de sang un putsch militaire.
Au fil de ses promenades dans la ville, où chacun des camps et la grande diversité des positions des habitants l’interpellent pour lui livrer son point de vue et lui demander son avis, le poète Ka se retrouve tout à tour confronté à des conversations dans lesquelles il finit par donner raison à tout le monde.
Mais dans le fond, il est uniquement préoccupé par Ipek, qu’il souhaite très fort pouvoir emmener avec lui à Francfort, et par les poésies qui jaillissent à nouveau en lui lors de fulgurantes inspirations.

Emu par la beauté de la neige, troublé par son amour, bouleversé par la poésie, Ka réalise que ses convictions politiques marquées à gauche, forgées par les idées démocratiques et laïques ont perdu la force de ses jeunes années.

Au fil d’une écriture et d’un récit empreints de poésie – magnifiée par l’omniprésence de la neige – Pamuk livre sur les questions religieuses et politiques en Turquie un regard nuancé, qui éclaire mille facettes, ne simplifie jamais et questionne sans cesse. A lire absolument.

Neige. Orhan Pamuk
Gallimard, Du monde entier, 2005, 485 p., 22,50 €
et en Folio, 640 p., 8,20 €

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A l'abri de rien. Olivier Adam

A l'abri de rien, Olivier Adam, l'OlivierOlivier Adam a l’art de décrire les souffrances intimes, les moments de vide, la solitude, la détresse, l’errance, la perte de soi. Il le fait avec finesse, sobriété, de son écriture courte qui oscille entre délicatesse et coup de poing.
Dans son dernier roman, A l’abri de rien, il prend une nouvelle fois le chemin des écorchures et des drames mais surtout celui de l’ordinaire et des médiocrités de l’existence.
Dans un village du bord de la mer du Nord, malgré l’amour de son mari et de ses deux jeunes enfants, Marie est en train de perdre le goût à la vie. Elle contemple son pavillon acheté à crédit, les enseignes lumineuses des centres commerciaux, son couple dont la passion a disparu sous les problèmes du quotidien, ses congénères et leur sort ordinaire semblable au sien, sans plus trouver sa place dans ce qui est sa vie.
Un soir où elle est venue se garer tout près de la mer, au pied de l’immeuble de son enfance, et penser en fumant à ses bonheurs perdus, elle croise les silhouettes erratiques et abîmées de réfugiés clandestins. Elle va aussitôt s’engouffrer auprès d’eux, les aider en leur donnant tout ce qu’elle peut, et bien au-delà.

Comme les précédents romans d’Olivier Adam, A l’abri de rien est un livre poignant. Mais cette fois certains passages sont moins convaincants, notamment lorsque Marie se trouve près des malheureux "kosovars". L’auteur mêle à la description de ses gestes de plus en plus fous les réflexions qu’il lui prête et qui sont elles très censées. Le lecteur a du mal à y croire car l’état psychologique de son personnage semble incompatible avec de telles analyses.
La lecture terminée, l’on a l’impression que l’histoire de l’aide aux réfugiés était un prétexte. Un prétexte pour réussir à décrire, ici encore, à travers cette femme, mère et épouse qui perd pied, une sorte de perdition de l’âme et du corps, une violence contre soi et l’impossibilité de communiquer avec l’autre.

A l’abri de rien. Olivier Adam
Editions de l’Olivier
228 p., 18 €

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La physique des catastrophes. Marisha Pessl

Marisha Pessl, La physique des catastrophesBleue van Meer a seize ans. Sa mère, qui ne parvenait à attraper que les papillons les plus rares, est morte dans un accident alors que Bleue était toute petite.
Depuis, elle traverse les Etats-Unis aux côtés de son père, lisant, révisant, récitant avec lui les ouvrages les plus savants. Enseignant d’université itinérant, spécialiste de la résolution des conflits dans le tiers-monde, il est non seulement très beau, mais aussi le plus cultivé, le plus raisonnable et le plus intelligent des hommes.
Bleue le vénère, ce qui, entre entre autres traits, dont celui d’être un enfant prodige, a le don d’irriter au plus au point les plus branchés de ses congénères.
Ce n’est donc que grâce à Hannah Schneider, professeur de cinéma où Bleue fait sa terminale, jeune femme atypique qui fascine les élèves, que notre héroïne-narratrice va se voir intégrée dans un groupe de jeunes élus qui chaque dimanche se retrouvent dans l’ambiance raffinée de la maison d’Hannah.
Jusqu’au jour où celle-ci est retrouvée pendue à un arbre.
Bleue entreprend alors de démêler l’écheveau d’énigmes qui ont conduit à cette fin tragique.
Ce qu’elle trouve va bouleverser sa vie.

La physique des catastrophes est une sorte de roman initiatique : comment la petite Bleue va voir s’effondrer une partie de ce qui a cimenté son enfance ; comment "l’exceptionnel" dans lequel elle a été élevée va se dépouiller de ses oripeaux anciens, pour la laisser s’emparer de sa propre vie.
Pour son premier roman, cette Américaine d’à peine trente ans se révèle plus que brillante : son écriture jaillissante bluffe dès le début. Elle restitue avec un charme irrésistible la vigueur et les excès de l’adolescence. Marisha Pessl bourre chaque ligne de métaphores et de références – y compris les plus farfelues, donc follement amusantes –, pour mieux se moquer des têtes trop pleines, débordantes de connaissances, de théories et de pensées savamment ordonnées.
L’épilogue dévoilé dans les toutes dernières de ces six cents pages apparaît comme le couronnement de la délicieuse ironie qui court tout au long de ce très bon roman.

La pysique des catastrophes. Marisha Pessl
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux
Gallimard
610 p., 24,50 euros

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Une vie divine. Philippe Sollers

Une vie divine de Philippe Sollers Contre la résignation, le nivellement par le bas, le triste et misérable bougli-bougla culturel et sexuel, le modèlement social, l’anxiété générale, voici le singulier, l’esprit, l’esthétique, la joie.

La corde à suivre : celle de Nietzsche.
Aux incompréhensions dont le philosophe a été victime de son temps ; à ce que, selon Philippe Sollers, il est devenu historiquement, les multiples récupérations et déformations, approches toutes fausses de sa pensée, l’auteur oppose la sienne, l’éternel retour vu comme le bonheur présent d’une "éternité vécue".
En parallèle, la démonstration par l’exemple positif : le narrateur sollersien vivant ses amours (et lesquelles !), écrivant à Paris, davantage encore à Venise (on a connu pire), dissimulant son être, jouissant de sa vie divine (on le croit).

Philippe Sollers fournit toute la matière nécessaire à l’agacement : contentement de soi, administration de leçons (ce qu’il ne cesse précisément de pourfendre), et surtout, joie trop souvent associée à un confort matériel confinant au luxe (il ne dort pas sous les ponts à Venise).

Mais on renonce vite à l’agacement lorsqu’on lit des passages de cette veine :

« Il y a bien des épisodes cocasses ou tragiques dans une existence, joies, attentes, sables mouvants, chutes, maladies, déceptions, ennuis – mais il y a aussi les souvenirs honteux, ceux qui vous font monter le sang au visage. Consternantes niaiseries, égoïsme, mensonges idiots, mauvaises actions, lâchetés, bêtises. C’est là que la Commandeuse Morale vous rejoint, se redresse, se gonfle, veut vous juger, réécrire l’histoire à votre place, vous rapetisser et vous écraser. Eh bien non, vous n’allez pas être écrasé, mais rire. « Repens-toi, scélérat ! » – « Non ! » – « Si ! » – « Non ! » – « Si, si ! » – « Non, vieille infatuée, non ! »

Beauté, liberté, quant-à-soi, soleil, présence au monde ici et maintenant, aménagements discrets pour échapper au vulgaire… bain souverain, divine proposition.

Une vie divine. Philippe Sollers
Folio Gallimard (2006, 2007 pour l’édition de poche)
503 p., 7,70 €
Site des Editions Gallimard

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L'aube le soir ou la nuit. Yasmina Reza

L'aube le soir ou la nuit Yasmina RezaCombien de temps a-t-il fallu à Yasmina Reza pour être séduite par Nicolas Sarkozy ? On ne le sait pas exactement.

En tout cas, à la page 40, elle semble déjà "cuite" : De temps en temps, il se tait et me détaille. Il a des yeux doux et rieurs
Cette phrase pourrait être extraite de n’importe quel roman d’amour, elle décrirait le moment où le lecteur est invité à comprendre que le narrateur commence à se sentir exister dans les yeux de l’autre.
Cette impression d’"histoire d’amour" (platonique), visiblement irrésistible conséquence de l’intimité qui se crée au fil de la campagne du candidat, dont l’auteur partage chaque instant, ne fera que se confirmer, l’auteur avouant, vers la fin du livre Pourtant, c’est souvent hors micro, hors caméra, livrant, sans y penser, la pleine mesure de sa liberté que je l’admire sans réserve.

On ne saurait dénier à Yasmina Reza l’authenticité de son intention artistique : connaître par soi-même ce personnage fascinant qu’est le probable futur président de la République, l’homme le plus médiatisé de France, celui qui fait couler le plus d’encre ("Je suis quand même une source inépuisable pour vos articles de merde !", aurait-il déclaré à des journalistes du Monde et du Figaro).

Donc, aller visiter les coulisses, faire de l’homme le sujet d’un roman, d’un récit, d’une pièce de théâtre, peu importe, le projet était excitant.
Et ne pouvait qu’être destiné à un colossal succès commercial compte tenu de la notoriété de l’auteur et de son sujet.

Mais le résultat révèle, hélas, bien peu de choses. Yasmina Reza fait de Nicolas Sarkozy un portrait attachant puisqu’elle souligne ce que le personnage a de profondément humain : l’enfance, la peur de la solitude, la peur du temps, de la mort… aspects dont on a pas attendu ce livre pour avoir un aperçu.

Seulement, en insistant sur l’humanité de l’animal politique extraordinairement puissant, ne commet-elle pas une hagiographie inespérée ?

Reste que Yasmina Reza avait une intention seconde (ou première) en entreprenant L’aube le soir ou la nuit : déceler chez Nicolas Sarkozy ce dans quoi elle pourrait se reconnaître : se regarder dans le miroir qu’il a accepté de lui tendre.
Le livre distille alors au fil des pages une sorte de quête de soi via le futur président, quête qui, dans ce cadre de référence, prend une ampleur incommensurable…

Malgré le talent et la finesse de Yasmina Reza, le résultat est sans surprise. Plus on avance dans l’ouvrage, plus on se demande "à quoi il sert."
Si on apprend quelques détails propres à satisfaire notre curiosité de grand public, d’un point de vue littéraire, ce journal de "l’accompagnatrice" est d’une vanité proche de l’absolu.

La fin en queue de poisson, où l’écrivain est censée avoir avec celui qui est désormais le nouveau président de la République sa première conversation réelle, mais dont elle affirme qu’elle ne peut rien tirer pour l’écriture a tendance à le confirmer furieusement.

L’aube le soir ou la nuit. Yasmina Reza
Flammarion (août 2007)
186 p., 18 €

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A la recherche du temps perdu. Fin.

Marcel Proust La RechercheA la toute fin de A la recherche du temps perdu, alors qu’il est malade et craint de ne pas avoir la force d’écrire son oeuvre, le narrateur évoque ce moment de réminiscences où, lorsqu’il était dans l’hôtel des Guermantes, un tintement de sonnette lui fit "entendre" celui qui, quand il était enfant, à Combray, marquait le signal du départ de M. Swann que ses parents venaient de raccompagner à l’entrée du jardin, c’est-à-dire celui du moment où il pourrait embrasser sa mère avant de dormir.

S’il a été capable d’entendre à nouveau le son de cette petite sonnette c’est que depuis ce soir lointain, il n’y a pas eu « discontinuité ». Il n’a pas « un instant cessé d’exister, de penser, d’avoir conscience de (lui) ».

Il se rend compte alors de toutes les heures qu’il a vécues, de ce temps si grand que son être contient.
Tout ce temps passé lui donne le vertige :

J’éprouvais un sentiment de fatigue et d’effroi à sentir que tout ce temps si long (…) j’avais à toute minute à le maintenir attaché à moi, qu’il me supportait, moi, juché à son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir sans le déplacer. (…) J’avais le vertige de voir au-dessous de moi, en moi pourtant, comme si j’avais des lieues de hauteur, tant d’années.

C’est par cette dernière phrase qu’il annonce ce que sera son livre… s’il a la force de l’écrire :

Du moins, si elle m’était laissée assez longtemps pour accomplir mon oeuvre, ne manquerais-je pas d’abord d’y décrire les hommes (cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux) comme occupant une place si considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place au contraire prolongée sans mesure – puisqu’ils touchent simultanément comme des géants plongés dans les années, à des époques si distantes, entre lesquelles tant de jour sont venus se place – dans le Temps.

FIN

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