Faux passeports. Charles Plisnier

Premier écrivain Belge à obtenir le Goncourt en 1937, Charles Plisnier se lit aujourd’hui avec intérêt : même si on est peu sensible aux problèmes du militantisme communiste des années 1920-30, les cinq portraits qu’il nous présente sont impressionnants. Ils nous montrent comment l’engagement idéologique peut conduire au fanatisme autodestructeur.

Dans les trois premières histoires ce sont des femmes qui sont mises au premier plan. Pilar, grande bourgeoise andalouse, prend le parti des opprimés (et il en était dans l’Andalousie de l’époque !) et devient la compagne d’un militant anarcho-syndicaliste. Lorsqu’il est recherché après un attentat elle l’accompagne dans ses pérégrinations militantes, mais peu à peu ne suit plus son compagnon radical : « Je ne crois pas, disait-il, en ceux qui ont une maison, un lit, une famille, des amis ».

Ditka, militante Serbe, « sorte de sainte sans espoir », connaît les prisons, les tortures et les mutilations (image terrible). L’auteur continue à traquer la part de sentiment chez ces épris de libération des peuples avec l’exemple de Carlotta, envoyée par Moscou pour juger les traîtres : qu’elle soit amoureuse de l’un deux ne changera rien, il sera exécuté. Mais qu’en est-il du courage dans cette guerre, souvent de l’ombre ? Deux hommes sont opposés : Saurat, grande gueule qui ne recule devant aucune mission dangereuse, et Cordevise, plus effacé. Pourtant le second sauvera le premier : il y a quelque chose qui est plus humain en lui.

Le dernier portrait est celui de Iégor, cadre russe du Parti, qui exclut sans pitié ceux qui ne restent pas sur la ligne exacte (Plisnier lui-même a connu une telle mésaventure en 1928). Le narrateur, militant chassé, essaie de comprendre ce personnage, stalinien pur jus : « Etre un véritable bolchevik, cela signifie-t-il faire bon marché du juste et de l’injuste, de la dignité de l’homme, de l’honneur d’une âme ? Iégor rit franchement. –Ce qui m’étonne, dit-il, c’est que pendant dix ans, tout habitué de ces billevesées bourgeoises, vous vous soyez conduit à peu près comme si vous aviez été un vrai bolchevik ».

Ce Iégor reste fidèle jusqu’au bout : il ne sauve pas le frère de sa compagne de l’exécution, et lui-même s’accuse des pires trahisons aux procès de Moscou de 1936. Sa compagne témoigne : « Iégorouchka ne sait pas ce que signifient la vie et la mort. Le sait-il vraiment ? Le croyez-vous ? Il ne le sait pas, je vous le jure. C’est un petit enfant. C’est un petit enfant ».

Andreossi

Faux passeports. Charles Plisnier

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Un homme se penche sur son passé. Maurice Constantin-Weyer

Un bon roman d’aventures que ce prix Goncourt 1928. Nous voici entraînés d’abord dans la Prairie des Etats-Unis puis au cœur du Canada pour suivre le narrateur, Monge, dans ses essais de vie plus sédentaire après un temps de coureur des bois, mais aussi dans ses mésaventures sentimentales. C’est l’occasion, pour cet homme qui fait le bilan de sa vie, d’offrir des réflexions plus générales : « Dès que nous échappons à l’artificielle construction de la Civilisation, nous nous heurtons à un monde qui ne vit que par le meurtre et l’amour, sans qu’on puisse dire lequel des deux est le plus fatal ».

Venu vendre des chevaux sauvages au Canada, le Français Monge s’arrête dans la ferme des O’Molloy et est retenu par le rire d’Hannah, laquelle flirte avec Archer. Notre héros part chasser dans le Nord avec Paul, le fiancé de l’autre fille O’ Molloy, Magd. Paul meurt dans la neige canadienne. Monge, pour échapper à la pression des loups, enveloppe le corps de son ami dans un cercueil de glace ! De retour à la ferme il trouve Magd fiancée à un autre, et Hannah prête à l’épouser.

Le couple s’installe, a une petite fille, mais Monge perçoit des divergences entre les désirs de sa femme et les siens. Et Archer, l’ancien rival, revient au village. Tentative de meurtre, poursuite et fin tragique se succèdent, mais l’atmosphère du récit reste mélancolique, on n’oublie pas le titre du roman. Cet aventurier est malgré tout amateur de livres, et Shakespeare, Shelley, Milton, Dickens l’accompagnent dans son équipée.

Comme dans les grands romans du Nord canadien, la nature est très concrète, mais toujours évaluée à l’aune d’une pensée darwiniste : « Voici cette charmante petite mésange, qui chante si gentiment que ce serait pitié de la tuer. Elle plonge de sa branche d’arbre, décrit un arc de parabole qui l’amène au ras de la terre, traverse la toile de l’araignée, remonte d’un autre arc de parabole, l’araignée dans son petit ventre satisfait… Et jusqu’aux plantes, et jusqu’aux plantes ! …Les arbres s’étouffent, s’écrasent et se jugulent mutuellement. La Forêt est pleine de guet-apens végétaux, de crimes botaniques ! »

Le narrateur trouve dans la Nature matière à tirer enseignement dans les épreuves qu’il traverse : « Cette grande leçon que m’avait donnée la vie sauvage, je veux dire cette constatation, de tous les instants, que la vie est naturellement un sublime et tragique mélange de volupté et de douleur, -dites, si vous voulez, d’amour et de mort !- j’en retrouvais ici une application singulière ».

Andreossi

Un homme se penche sur son passé. Maurice Constantin-Weyer

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Gaspard. René Benjamin

Un an après le début de la Grande Guerre le prix Goncourt 1915 est donné à Gaspard, roman qui narre l’entrée en guerre d’un vendeur d’escargots parisien, hâbleur, vantard, qui sait amuser les compagnons d’infortune et faire tourner en bourrique les officiers. Le ton du livre tranche avec les quatre romans couronnés par les Goncourts suivants, tous consacrés à 14-18.

Si le portrait caricatural de ce Gaspard, fier d’être de Paname face à ces lourdauds de province qu’il doit côtoyer dans son régiment est agaçant, d’autres traits le rendent plus sympathique. Lui qui « à l’école, n’avait su qu’essuyer le tableau noir », s’attache les amitiés d’hommes plus instruits que lui, et il apprend à élargir ses conceptions : « Est-ce pas, mam’selle, v’s êtes de Paris ? Non, elle était de l’Anjou ; elle avait été élevée dans cette sage et maligne province, et elle le disait, les yeux si clairs, avec un rire si franc, que Gaspard, pour la première fois de sa vie, se demanda s’il y avait en France quelque chose de mieux que sa grande ville».

L’humour rugueux de l’ouvrage n’empêche pas les solides convictions sur l’ennemi. Même les chevaux allemands portent les stigmates repoussants : « Les fantassins écarquillaient les yeux, bouche bée. Il se fit un silence. Puis Gaspard lança : -Ah les sales gueules qu’ils ont ! Comme c’était vrai ! Pas seulement par la faute des harnais et des selles. Non ; ils ne regardaient pas ; ils avaient l’air servile ; ils n’entendaient rien au français : des Teutons ; des chevaux boches, -haïssables ».

Notre héros est blessé dans les premières semaines (comme René Benjamin l’a été lui-même), connaît des mois d’hôpital, puis retourne au front, et est confronté à la mort des amis. Les champs de bataille ne font pas rire : « Ce champ retourné, meurtri par des épaules et des genoux en détresse, c’était l’image vivante et poignante de deux cents hommes devenus cadavres, qui, les premiers, s’étaient acharnés à défendre, motte par motte, la terre française. Mais il ne restait plus que le moule de leurs efforts, le dessin effrayant de leur expression dernière ; eux, ils avaient disparu, enfouis dans leur dernier sillon, boursouflant la terre fraîche de leurs deux cents corps tassés, pour encombrer le moins possible les vivants ».

L’écriture s’applique à rendre compte de l’argot parisien de l’époque, mis en valeur grâce à la hâblerie de Gaspard. On sait ainsi l’origine du fameux « poilu » : on dirait aujourd’hui un « type », un « mec ».

Andreossi

Gaspard. René Benjamin

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Alabama Song. Gilles Leroy

Zelda Fitzgerald est l’héroïne du roman de Gilles Leroy couronné par le prix Goncourt 2007. C’est elle-même qui nous raconte sa vie, d’abord de jeune fille de bonne famille de l’Alabama, puis d’épouse du célèbre écrivain Scott Fitzgerald. Une vie que l’auteur a choisi avec justesse de présenter sous le thème de la difficulté pour une femme de l’époque de parvenir à exister pour elle-même.

Ce n’est pas du côté de ses parents qu’elle trouve la plus grande affection mais plutôt du côté de sa nourrice noire Auntie. Plutôt indisciplinée, parfois effrontée, elle en veut à son père : « Le jour où je couperai mes cheveux à l’égal des hommes, comme je me le suis promis et même si cela vous déplaît, ce jour-là où tomberont en morte enfance les boucles blondes qui me contraignaient de faire la greluche sudiste, ce jour-là je ne jouirai vraiment qu’à l’idée de la tête de mon père, ce spectacle de lui, mâchoire décrochée, teint fantôme, et ses râles, ses jérémiades, ses insultes régurgitées, mâchonnées puis ravalées ».

Elle rencontre Scott lorsqu’il a 21 ans « et danse à merveille toutes les danses à la mode ». Sitôt mariés ils mènent dans les années 1920 une vie de « flambeurs », dans laquelle l’alcool a une part de plus en plus grande : « On était si semblables, lui et moi, on l’était dès la naissance, deux danseuses mondaines, deux gosses de vieux, deux enfants gâtées, intenables et, lui comme moi, médiocres à l’école, un duo de brillants « Peut mieux faire », deux créatures insatiables et condamnées à être déçues ».

A l’occasion d’un séjour en France, elle rencontre un bel aviateur avec qui elle vit une histoire d’amour intense. Scott la punit en l’arrachant à son bonheur, comme il la brime dans son désir d’écrire, en lui volant des extraits de son journal, en oubliant son nom aux histoires qu’ils écrivent en commun, en faisant pression pour qu’elle ne publie pas son premier roman. Et elle passe une grande partie de sa vie en hôpital psychiatrique, où elle meurt dans un incendie en 1948.

Le romancier se découvre dans les dernières pages : « Mes mains tremblent un peu. Il y a des morts devant lesquelles l’esprit bute, auxquelles il se refuse, et l’agonie par les flammes est de toutes la pire à mes yeux ». S’il profite de la liberté du romancier pour se mettre dans l’esprit de Zelda, il parvient à faire passer ses sentiments pour elle, grâce à une écriture évocatrice, habile à traduire la densité des corps.

Andreossi

Alabama Song, Gilles Leroy

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Les filles du calvaire, Pierre Combescot

C’est un gros roman au titre de station de métro parisien qui a été couronné par le Goncourt 1991. Comme les stations de métro, qui paraissent insensibles aux changements d’époque, le livre de Pierre Combescot semble vieilli depuis toujours. Le lecteur s’accroche pour lire l’histoire de Maud, tenancière de café, dans un style qui rappelle le roman populaire (en moins léger) ou les œuvres d’un Francis Carco sur le « milieu » (avec moins de talent).

Dans une première partie nous sommes donc à Paris dans l’après deuxième guerre mondiale. Autour du café-tabac des Trapézistes gravitent divers personnages que le lecteur est amené à qualifier de pittoresques, venus en particulier du Cirque d’Hiver voisin. Dans une deuxième partie nous remontons le temps aux origines de la famille de Maud, à La Goulette en Tunisie. Il est question d’une lignée de femmes juives dont les rapports entre mères et filles sont complexes.

La troisième partie, la plus longue, s’attache à l’installation de Maud à Paris durant la période de l’Occupation. Le sexe est le souci principal des personnages masculins, et la prostitution, surtout masculine, donne lieu à des observations toujours aussi pittoresques. On apprend d’ailleurs pourquoi Hitler persécutait les Juifs : « Parce que comment croyez-vous que ce peintre du dimanche survivait à Vienne quand il n’avait pas trois fifrelins en poche ? Comme tout le monde il faisait le trottoir. Et pas de bol pour nous, c’est une vieille chochotte de la synagogue qui la lui a mise. Et depuis ce jour il a la rondelle en feu. Voyez-vous Léa nous sommes ses morpions ! Et les morpions cela se brûle ! ».

En dernière partie nous suivons l’histoire d’une bouchère- chanteuse plus ou moins raccordée au reste du roman. Mais le style « populaire » (du moins essaie-t-on de le croire ainsi) des propos échangés par les personnages demeure, ainsi que les stéréotypes bien campés, tel cet Allemand qui au bistrot « y faisait chaque soir la fermeture sur l’air de ‘On lui roussira les poils du cul à la youpine’… », ou ce commentaire finement théologique : « Bref, démontrer par un pilpoul ‘du feu de Dieu’ (…) que toute cette chiée de rabbis, lesquels avaient monopolisé le verbe de Celui qui, nonobstant le vertige, proféra du haut du Sinaï les Commandements funestes aux oreilles des Hébreux, n’étaient en fait que des petits branleurs ».

Il arrive toutefois qu’une scène plus touchante émerge de ce monde interlope.

Andreossi

Les filles du calvaire, Pierre Combescot

 

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L’Amant, Marguerite Duras

Le Goncourt 1984 se donne nettement comme autobiographique, voulant même prolonger certains écrits antérieurs : « Ici je parle des périodes cachées de cette même jeunesse, de certains enfouissements que j’aurais opérés sur certains faits, sur certains sentiments, sur certains événements ». Mais le titre choisi met l’accent sur une aventure qui paraît somme toute moins remarquable que révélatrice du rapport de l’auteure à sa famille.

Une adolescente Française de Saigon séduit (ou est séduite par) un riche Chinois qui a vingt ans de plus qu’elle. Le pouvoir de la beauté adolescente s’exprime pleinement : « Dès le premier instant elle sait quelque chose comme ça, à savoir qu’il est à sa merci. Donc que d’autres que lui pourraient être aussi à sa merci si l’occasion se présentait ». L’histoire d’amour dure assez longtemps pour que l’inquiétude survienne chez l’amant : « Il éprouve une autre peur aussi, non parce que je suis blanche mais parce que je suis si jeune, si jeune qu’il pourrait aller en prison si on découvrait notre histoire ».

Pourtant la narratrice évoque beaucoup plus sa famille, c’est à dire sa mère et ses frères, pour que l’on n’ait pas le sentiment que l’essentiel se passe ailleurs, et que l’homme est l’occasion de se libérer d’une lourde emprise familiale : « L’enfant aura à faire avec cet homme-là, le premier, celui qui s’est présenté sur le bac ».

Mais il fallait que la mère et les frères ne soient plus pour pouvoir écrire cette histoire, éventuellement dans un style déroutant : « Pour les souvenirs aussi c’est trop tard. Maintenant je ne les aime plus. (…) C’est fini, je ne me souviens plus. C’est pourquoi j’en écris si facile d’elle maintenant, si long, si étiré, elle est devenue écriture courante ».

Ce sont les propos de la mère à la directrice de la pension qui résument la question du rapport à l’argent sous-jacent à la relation avec l’amant Chinois : « La mère parle, parle. Elle parle de la prostitution éclatante et elle rit, du scandale, de cette pitrerie, de ce chapeau déplacé, de cette élégance sublime de l’enfant de la traversée du fleuve, et elle rit de cette chose irrésistible ici dans les colonies françaises, je parle, dit-elle, de cette peau de blanche, de cette jeune enfant qui était jusque- là cachée dans les postes de brousse et qui tout à coup arrive au grand jour et se commet dans la ville au su et à la vue de tous, avec la grande racaille milliardaire chinoise, diamant au doigt comme une jeune banquière, et elle pleure ».

Andreossi

L’Amant, Marguerite Duras

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Les Bêtises, Jacques Laurent.

Le Goncourt 1970 ne manque pas d’ambition, surtout  lorsque le narrateur confie : « le moment approche où si mon entreprise est réussie le lecteur me connaîtra mieux que moi ». Si Jacques Laurent tente de démêler les rapports complexes entre la vie et l’écriture, le résultat n’est pas tout à fait convaincant.

C’est un ami (avec préfaces, notes de bas de pages) qui compose le livre avec les parties que l’auteur lui a successivement laissées : « Dans un premier temps le héros se révèle par la fiction qu’il a produite grâce à laquelle on découvre ce qu’il aurait voulu être ; dans le deuxième, il peint sa vie avec un recul qui n’exclut ni l’oubli, ni le plaidoyer, ni la fabrication ; dans un troisième il se survole minute après minute et en rase-mottes ». Mais ce n’est pas fini, une quatrième partie va plus au fond du personnage à l’aide de 60 pages intitulées : « Fin fond ».

La vie du narrateur se déroule sur plusieurs décennies, depuis l’Occupation jusqu’en 1966. Certains faits sont rapportés de manière différente et le lecteur est amené à faire le choix entre ce qui relève de la fiction et ce qui relève de l’autobiographie, sachant qu’au bout du compte tout fait roman. La variété des sujets abordés est très grande, d’un accord de Pétain avec la Résistance à la question de la hiérarchie dans un poulailler en passant par des réflexions sur l’œuvre de Spinoza.

L’écriture est le thème principal du livre, souligné à plusieurs reprises : « Mes meilleures omelettes au lard je les ai mangées imprimées ». Les références à la littérature sont constantes, le narrateur est toujours en train de lire un ouvrage. Il reconnaît, dans l’examen des «  Bêtises de Cambrai » (titre de la première partie) : « Bref, je ne voulais plus penser à moi, mais je m’apercevais que sans moi je ne pouvais poursuivre les Bêtises de Cambrai, sauf si je me bornais à des enjolivements qui me glaçaient ».

Le tout souffre de bien des longueurs, Jacques Laurent n’arrive pas à soutenir l’attention sur toutes les 600 grosses pages du livre. Mais on retient certaines descriptions, par exemple l’épluchure de la banane : « J’en tirais, un à un, les pans qui retombaient, autour de mes doigts joints, comme des orchidées mourantes. Ce dépiautage, juste un peu irritant par le frisson des deux chairs qui se détachaient, l’une un peu cuir, l’autre un peu serviette-éponge mouillée, précédait le plus difficile qui était de mordre dans l’extrémité pointue et alourdie d’un grain de beauté de ce fruit, le plus stupide de la création ».

Andreossi

Les Bêtises, Jacques Laurent.

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Dieu est né en exil. Vintila Horia

Drôle d’aventure pour le Goncourt 1960 : attribué, il n’a pas été décerné. C’est qu’on a découvert que son auteur, Vintila Horia, après un passé de militant fasciste, avait été condamné dans son pays d’origine, la Roumanie. Réfugié après 1945 en France puis en Espagne il connaît bien la condition d’exilé qui est le thème de son roman écrit dans un impeccable français.

L’auteur, à partir des écrits du poète Ovide, imagine la tenue d’un journal de ce Romain banni par l’empereur Auguste en l’an 9. Exilé à Tomes, dans l’actuelle Roumanie, Ovide commence à ne penser qu’au retour à Rome. Mais au bout des huit ans de relégation, son état d’esprit a beaucoup évolué, car il a appris à connaître les « barbares » du lieu, les Gètes, et est prêt à abandonner le polythéisme romain pour la nouvelle religion émergente, le christianisme.

Nous suivons année après année cette évolution, qui passe par l’abandon de la vie urbaine qu’il a connue et l’évocation de sa jeunesse, dans une atmosphère de douce mélancolie : « Le soir était calme, il faisait encore chaud, les feuilles des oliviers se renversaient doucement dans la brise en faisant voir leur ventre argenté, comme de petits poissons dans une eau limpide ».

Ovide devient de plus en plus critique vis-à-vis de l’impérialisme romain : « Les Romains faisaient avancer partout les limites de l’empire, à force de couper des têtes et d’implanter des lois, sans se douter que la terre n’avait pas de fin et que leur entreprise demandait autant d’hommes que tous les autres hommes de l’espace à conquérir ». Il observe comment certains peuples gardent une bonne part de leur culture : « Notre civilisation a sans doute ses avantages et les Gètes savent en profiter. Ils tolèrent la présence des Grecs qui ont su les apprivoiser, en faisant de leurs villes des centres commerciaux florissants où les Gètes viennent changer leurs produits ».

C’est par rapport à la religion que le changement dans les valeurs d’Ovide est le plus manifeste. Grâce à des rencontres qui l’ont marqué, comme avec sa servante Dokia, ou avec le médecin Grec Théodore, il est séduit par le monothéisme. Théodore raconte : « Comment pouvais-je croire encore à Zeus, l’adultère, le criminel, le jouisseur, l’inverti, quand, devant mes yeux, à Alexandrie, j’apprenais que Dieu était un seul, quoique sa substance était triple ? Connaissez-vous cette doctrine ? Elle est d’une grande beauté ».

Peut-être Vintila Horia a-t-il pris des libertés avec l’Histoire, mais son roman n’en reste pas moins très agréable à lire.

Andreossi

Dieu est né en exil. Vintila Horia

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Saint Germain ou la négociation, Francis Walder

Roman original que ce Goncourt 1958 : l’auteur imagine les dessous des tractations qui ont abouti à la paix de Saint Germain en Laye en 1570, mettant provisoirement fin à la guerre entre royauté et huguenots. Les péripéties de la négociation sont décrites avec beaucoup de finesse, offrant au lecteur quelques recettes de diplomatie réussie.

Le narrateur est monsieur de Malassise (personnage effectivement historique) chargé par le roi Charles IX de traiter avec le parti huguenot. Il est accompagné d’un militaire, le baron de Biron et ont tous deux comme interlocuteurs deux représentants de l’amiral de Coligny. Un personnage féminin, jeune cousine de de Malassise, passée du côté protestant, intervient dans l’affaire, pour pimenter quelque peu le roman sans l’envahir toutefois.

L’essentiel réside dans les commentaires du négociateur qui nous rend compte de quelques règles utiles en matière de diplomatie. Par exemple ne pas se laisser surprendre par l’imprévu : « J’ai toujours observé qu’en négociation l’élément imprévu est de précieux rapport pour qui sait s’en servir. Chaque délégation vient avec un programme d’idées et d’arguments faits d’avance (…) Dès lors, toute nouveauté, même favorable, sème le trouble dans cet ordre préconçu et produit un moment d’incertitude, dont l’esprit le plus vif tire parti avant les autres ».

Un des points majeurs des pourparlers est celui de la liberté de culte qui sera octroyée à quelques villes. Les deux partis tombent immédiatement d’accord sur Montauban et La Rochelle. Reste à s’entendre sur deux autres villes. De longs marchandages concernent Sancerre et Angoulême, mais finalement sont choisies Cognac et La Charité sur Loire. Entre temps il a fallu déployer beaucoup d’habileté et passer par le cabinet de la reine mère Catherine de Médicis.

Parmi les règles énoncées par de Malassise on retiendra le souci d’aller chercher le contact humain jusque chez l’adversaire : « Malgré tout ce sont des hommes, des hommes, sensibles par conséquent à ce qui est humain, et le sort des négociations huguenotes dépend de leurs sensibilités, comme dépend de la mienne celui des négociations royales. Les connaître, les faire parler d’eux, les amener à s’ouvrir ».

Et puis c’est le militaire de Biron qui rappelle la raison fondamentale de ces rencontres : « La guerre, dit-il, couvre des choses affreuses, vous le savez, mais qui sont vraies, et cela ne se sait pas suffisamment. On ne peut pas les traiter comme des idées. Les cadavres dans les champs, cela existe réellement, et cela ne ressemble à rien de ce que vous connaissez ».

Deux ans après cet accord de paix, c’est le massacre de la Saint Barthélémy.

Andreossi

Saint Germain ou la négociation, Francis Walder

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Vent de Mars, Henri Pourrat

Les premières phrases du prix Goncourt 1941 sont prometteuses : « Les sapins, serrés en bleuissante laine de solitude et d’ennui, dorment sur le songe qui les a arrêtés là, dans cette faille, au bout du monde ». Mais au fur et à mesure de la lecture, le leitmotiv du livre, répété sous toutes les formes, devient lassant, et on se dit que rarement le jury du Goncourt a été aussi opportuniste dans son choix.

L’œuvre se présente comme un journal tenu par un observateur à une période difficile de l’histoire de la France, entre juin 1938 et le 1er novembre 1940. Autrement dit lorsque la « drôle de guerre » s’étire jusqu’à la défaite et où débute l’Etat Français du Maréchal Pétain. L’écrivain réside en Auvergne près d’Ambert, et c’est de ce point de vue qu’il chronique ses observations et réflexions. Si les péripéties historiques sont absentes (mis à part la mobilisation) la solution aux difficultés du pays se résume pour lui simplement : il n’y a que le paysan qui peut sauver le France.

Pourtant l’auteur est davantage convaincant lorsqu’il décrit la société paysanne, déjà à l’époque largement vaincue par l’exode et la pauvreté, que dans l’espoir qu’il met à un ressourcement national grâce aux campagnes : « Un être de grand tempérament sentira toujours que la vie à la ville ne peut pas être la vie : d’autre part comment ne pas voir que le retour à la terre, comme on dit, est un luxe, une très mauvaise affaire ? ».

Cette chronique n’évoque que très allusivement la défaite, et l’on trouve à la date de fin juin 1940 : « Dans son combat contre le moteur, le géant a ployé le genou. Qu’il s’appuie de sa main contre le sol : il n’ira pas au sol : il touchera terre, seulement. Et de la patiente et sombre mère, alors, il sentira la vie remonter à ce cœur, comme un lait vivifiant, comme une force ».

Une des phrases du livre permet de comprendre l’espoir que l’écrivain a mis dans la politique du Maréchal : « Comment ne pas désirer repartir des réalités naturelles, le pays, le métier, la famille ? ».

Un peu plus tard Pourrat abandonne cette attente, et aide Juifs et Résistance. Ce Goncourt représente un dernier hommage à une société paysanne à qui l’Occupation a laissé un sursis, mais dont la fin est très proche.

Andreossi

Vent de Mars, Henri Pourrat

 

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