Fragonard amoureux. Galant et libertin. Musée du Luxembourg

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Colin-Maillard, vers 1754-1756, Huile sur toile - 117 x 91 cm,, Toledo, Toledo Museum of Art, don Edward Drummond Libbey
Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Colin-Maillard, vers 1754-1756, Huile sur toile – 117 x 91 cm,, Toledo, Toledo Museum of Art, don Edward Drummond Libbey

On avait beaucoup aimé, il y a huit ans, l’exposition que le Musée Jacquemart-André avait consacrée à Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Les plaisirs d’un siècle. Cette saison, le Musée du Luxembourg rend à son tour hommage au peintre originaire de Grasse (seul rapport avec la maison de parfums du même nom, si ce n’est que son fondateur l’a appelée ainsi en hommage au peintre), en adoptant uniquement le prisme de l’amour.

Bien que Fragonard ait abordé tous les genres picturaux, cet angle d’approche permet d’aborder assez largement son œuvre. Il est vrai qu’il s’est plu à illustrer l’amour sous de multiples facettes, de la veine galante et pastorale héritée de Boucher jusqu’à l’amour dit moralisé de la fin du siècle, en passant par la peinture d’histoire mais aussi l’illustration libertine.

L’exposition tente de décortiquer cette évolution au fil de quelques 80 peintures, dessins, gravures et livres illustrés articulés en 11 sections. Le propos, certes instructif, est un peu décevant, s’alourdissant parfois sur l’aspect licencieux de son œuvre, l’interprétant à d’autres moments de façon un brin péremptoire.

Qu’importe au fond, le plaisir de revoir des œuvres de ce peintre incomparable, auquel s’ajoute celui d’en découvrir de nouvelles, demeure intact.

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Verrou, vers 1777-1778, Huile sur toile - 74 x 94 cm Paris, musée du Louvre, Photo : RMN-GP/Stéphane Maréchalle
Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Verrou, vers 1777-1778, Huile sur toile – 74 x 94 cm
Paris, musée du Louvre, Photo : RMN-GP/Stéphane Maréchalle

L’apport de Fragonard semble déjà contenu dans l’une des premières œuvres du parcours Le Colin-Maillard, tableau placé après Les charmes de la vie champêtre de Boucher, dont il fut l’élève. Encore jeune peintre, Fragonard affirme nettement son style, caractérisé par une palette claire et pimpante (il usera aussi des couleurs chaudes, mais toujours lumineuses), un pinceau vif et enlevé, une apparente légèreté dans le traitement du sujet pour mieux laisser place à l’ambiguïté. C’est d’ailleurs pourquoi une lecture morale de ses œuvres semble toujours délicate à imposer. Que faut-il voir avec cette jeune fille jouant avec ses chiots (La jeune fille aux petits chiens), ou cette jeune femme découvrant une lettre galante (Le Billet doux ou La Lettre d’amour) ? Les Curieuses sont certes bien plus explicites (probablement dissimulées dans une maison de plaisirs), mais Le Verrou, quoi qu’on en dise, garde sa part de mystère.

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Diane et Endymion, vers 1755-56, Huile sur toile - 94,9 x 136,8 cm, Washington, National Gallery of Art, Photo : Washington, National Gallery of Art
Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Diane et Endymion, vers 1755-56, Huile sur toile – 94,9 x 136,8 cm, Washington, National Gallery of Art, Photo : Washington, National Gallery of Art

Outre sa virtuosité et cette délicieuse touche à la manière d’esquisse, ce qui frappe chez Fragonard c’est sa fantaisie et son humour. L’illustration des Contes de La Fontaine en est un exemple, comme elle est révélatrice également de ses talents de dessinateur (voir aussi les planches de l‘Orlando furioso de l’Arioste). La liberté du peintre est tout aussi savoureuse ; elle se retrouve dans ses tableaux mythologiques (Diane et Endymion), mais aussi religieux (une Adoration des Bergers, peu conventionnelle et très belle, a l’air de se demander ce qu’elle fait ici). Preuve que Fragonard sait aussi se montrer bien tendre, confortée par un adorable Pâtre jouant de la flûte, bergère l’écoutant ou encore une émouvante Leçon de musique.

La touche annonce l’impressionnisme, mais les thèmes célèbrent le XVIII° (L’Ile d’amour, sorte d’hommage aux fêtes galantes de Watteau) et ne plongeront guère au-delà : Fragonard s’arrête en effet de peindre au début des années 1790, laissant à d’autres le soin d’explorer la veine néo-classique.

 

Fragonard amoureux. Galant et libertin

Musée du Luxembourg

19, rue de Vaugirard, 75006 Paris

TLJ de 10 h à 19 h, nocturnes les lundis et vendredis jusqu’à 21h30

Les 24 et 31 décembre et le 1er janvier de 10h à 18h (fermeture le 25 décembre)

Entrée : 12 €

Jusqu’au 24 janvier 2016

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Joyeux Noël !

rouaud_champs_honneurPour vous souhaiter un joyeux Noël, un conseil de lecture réitéré : celui des Champs d’honneur de Jean Rouaud, qui avait été évoqué ici dans le cadre du feuilleton dédié aux prix Goncourt.

Le prix 1990 est non seulement une pure merveille d’écriture, mais aussi un formidable exercice de mémoire.

Les personnages de Jean Rouaud sont aussi un peu les nôtres. Leurs histoires, leur histoire appartiennent à un creuset commun qui parlera à beaucoup de lecteurs.

Pour compléter le billet d’Andreossi, ci-dessous un extrait des pages consacrées la Grande Guerre, à travers la mort de Joseph.

Lisez ceci. Relisez le billet d’Androssi. Ensuite vous lirez tout le livre, et vous avez de la chance car c’est un grand bonheur de lecture que vous avez devant vous.

Alors, joyeux Noël à toutes et à tous !

Mag

« Sous la fièvre, à des bribes de mots, des convulsions de terreur sur les visages, on reconnaît le ressassement halluciné de ces visions d’enfer, les corps à demi ensevelis, déchiquetés, écartelés sur les barbelés, bleus étourneaux suspendus dans la pantière à qui semble refusée l’ultime consolation de s’étendre, d’attendre la joue contre la terre humide la délivrante mort, animés de hoquets grotesques à l’impact des balles perdues, soulevés comme des pantins de paille par le souffle d’une explosion, décrivant dans le ciel haché d’éclairs un rêve d’Icare désarticulé avant d’étreindre une dernière fois la lise féconde, bouche ouverte en arrêt sur l’effroi, regard étonné pour tout ce mal qu’on se donne, tandis que le casque renversé se remplit d’une eau claire sauvée du bourbier, vasque délicate pour le jour des colombes (…) ».

Les champs d’honneur

Jean Rouaud

Editions de Minuit, 1990

 

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Élisabeth Louise Vigée Le Brun enfin exposée

Elisabeth Vigée Le Brun, Autoportrait au chapeau de paille
Elisabeth Vigée Le Brun, Autoportrait au chapeau de paille

Les amateurs de belle peinture ne passeront pas à côté de la première exposition monographique jamais consacrée à Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1755-1842), à voir au Grand Palais à Paris jusqu’au 11 janvier 2016.

Comptant parmi les plus grands portraitistes de son temps, elle fut aussi la seule femme que notre époque a gardé en mémoire.
Elle avait du talent à revendre, a beaucoup travaillé (elle a peint quelques 670 tableaux), a su s’entourer, faire connaître son art… Elle a dû aussi beaucoup voyager. C’est peut-être ce qui explique qu’aujourd’hui ses tableau sont un peu partout, en Europe bien sûr, mais aussi de l’autre côté de l’Atlantique, dans des collections publiques et privées, comme en témoignent les origines des près de 130 œuvres, pour l’essentiel des peintures, mais aussi quelques admirables pastels, fusains et sanguines réunis sur deux niveaux des galeries du Grand Palais.
Une vaste exposition, donc, bien faite, qui conduit le visiteur à découvrir l’ensemble de l’œuvre de la portraitiste, de manière chronologique et thématique, et se faisant, suivre sans vie dans son contexte historique. Car le destin d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun est pour grande partie lié à l’évolution du régime en France.
Fille d’un pastelliste reconnu, le premier à reconnaître ses dons, à l’instruire et à l’encourager dans son art, Élisabeth Vigée doit dès l’âge de 12 ans lorsqu’elle perd son père poursuivre son apprentissage en se tournant vers d’autres proches, les ateliers et les tableaux de maître. Mais son talent de portraitiste lui vaut rapidement le succès, qui reçoit son couronnement lorsqu’elle devient peintre officiel de la reine Marie-Antoinette en 1778.
Elisabeth Vigée Le Brun, La Paix ramenant l'Abondance
Elisabeth Vigée Le Brun, La Paix ramenant l’Abondance

Particulièrement habile dans cet « art du portrait à la Française », elle sait à la fois respecter une certaine ressemblance tout en amendant « la nature » de ce qu’il faut pour que modèle soit flatteusement représenté. Courtisane, petite bourgeoise ayant accédé aux plus hautes strates de la société grâce à son art, ses connaissances et celles de son époux Le Brun, marchand d’art, ses ambitions n’en sont pas pour autant artistiques. Elle aime surprendre (elle enfreint les conventions en représentant la Reine en robe de « de gaulle », c’est-à-dire en simple robe d’intérieur de coton blanc). Elle aspire aussi à dépasser les limites du portrait pour accéder à la peinture d’histoire, noble entre toutes, qui n’était guère accessible aux femmes peintres. Pourtant, c’est avec une belle allégorie (La paix ramenant l’abondance, Louvre) qu’elle est admise, en 1783, à l’Académie royale de peinture et de sculpture.

Elisabeth Vigée Le Brun, La Reine et ses enfants
Elisabeth Vigée Le Brun, La Reine et ses enfants

En 1787, alors que la popularité de la Reine est en berne, elle est chargée de réaliser un grand tableau la montrant entourée de ses enfants. Il faut dire que l’année précédente elle avait livré un très émouvant autoportrait avec sa fille, dans une composition rappelant les vierges à l’enfant de Raphaël – un des nombreux tableaux où, dans la veine rousseauiste de l’époque, Élisabeth Vigée Le Brun a parfaitement su saisir la fraîcheur de l’enfance et la tendresse du lien maternel. Mais l’impressionnant tableau La Reine et ses enfants ne convainc pas à l’époque : pas assez d’amour maternel sur le visage d’une reine encore entachée par l’affaire du collier. En 1789, Vigée Le Brun, artiste de cour, se trouve en mauvaise posture. Début octobre, elle fuit Paris pour rejoindre l’Italie. Pour quelques mois pense-t-elle. Mais les événements sont ceux qu’ils sont et, d’Italie, elle se rend à Vienne, puis de Vienne à Saint-Pétersbourg… son exil durera plus de douze ans. Partout cependant, elle parvient à se faire une clientèle dans les cercles choisis et à vivre de son art jusqu’à son retour en France. Sous l’Empire, elle continuera à peindre les portraits de l’aristocratie européenne et, au soir de sa vie, couchera sur le papier d’épais Souvenirs.

La visite de l’exposition est un éblouissement. Transparence et éclat des carnations, fraîcheur des chairs, expression des regards, soin apporté au traitement des étoffes, splendeur des couleurs, élégance, sensualité, tendresse… face à chaque portrait c’est une personne que l’on voit, malgré l’aspect évidemment très présent de tout ce qui fait les « attributs » de la personne (et qui marque son rang dans l’échelle sociale). Et si elle réussissait merveilleusement les portraits de femmes et d’enfants, elle n’était pas moins douée pour représenter les hommes. Pour n’en citer qu’un, le superbe portrait du peintre Joseph Vernet. Enfin, ses nombreux autoportraits témoignent de la beauté de Mme Vigée Le Brun, une beauté qu’Augustin Pajou a parfaitement restituée en un magnifique buste en terre cuite (Louvre).
Élisabeth Louise Vigée Le Brun
Jusqu’au 11 janvier 2016
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Mia madre. Nanni Moretti

mia_madre_nanni_morettiCinéaste engagée, Margherita démarre tout juste un nouveau film, alors qu’elle vient de rompre avec son compagnon et élève seule sa fille adolescente – laquelle pense davantage aux plaisirs de son âge qu’aux obligations du lycée.

C’est dans cette vie un peu sur le fil que survient la maladie de sa mère. Margherita essaie, le soir, d’aller la voir à l’hôpital et, le jour, d’assurer un tournage qui s’avère compliqué avec un acteur américain insupportable. Son frère, lui, s’est mis en disponibilité professionnelle et veille sur la mère à chaque instant.

Pour traiter ce douloureux sujet, Nanni Moretti fait preuve d’une grande acuité et d’une grande sensibilité. L’air de rien, il montre tous les aspects de ce moment déchirant que constitue la perte d’un parent, à travers des personnages très bien dessinés et tous impeccablement interprétés.

Chez Margherita, qui est au centre du film, c’est à la fois le déni de ce qui est en train d’arriver (elle ne comprend pas la gravité de la maladie de sa mère), l’impression de ne plus rien maîtriser (sa fébrilité face aux situations les plus courantes de la vie), la culpabilité (ses moments de colère, son visage soudain absent et bouleversé sur le tournage). Elle réalise aussi qu’elle ignore tout du quotidien de sa mère (les gens qu’elle voit, ce qu’elle aime manger, où elle range ses affaires). Ces sentiments résonnent d’autant plus fort que la relation entre les deux femmes, faite d’admiration et de connivence, est très belle, et que Margherita est plutôt ce qu’on appelle une « femme forte ».

Le personnage du frère apparaît comme le contrepoint de celui de Margherita. Il est celui qui a mis le reste de sa vie entre parenthèses avec détermination. Il comprend ce qui se passe, l’assume et assure. Calme, discret et efficace, il irradie d’amour et de bienveillance, envers sa mère bien sûr mais aussi sa sœur qu’il ne juge jamais.

Dans ce contexte, l’acteur américain à l’ego envahissant – et la mythomanie maladive – pourrait n’exprimer que la superficialité du monde du cinéma et la vanité de la vie. Pourtant, Nanni Moretti le préserve de l’archétype, en le dotant d’un humour dévastateur et en n’omettant pas d’en dévoiler la faiblesse à la fin du film.

Quant à la mère, comment ne pas l’aimer. A la fois malade ordinaire avec ses incompréhensions et ses impatiences, elle demeure femme de lettres (elle a enseigné le latin toute sa vie avec passion et n’en a rien oublié), aimante (ses élèves le lui rendaient bien), mère et grand-mère attentive. Sa lucidité et son intelligence font mal (pourquoi a-t-on l’air de nous prendre pour des imbéciles, nous les malades, dit-elle en substance), mais pas autant que lorsqu’on la voit décliner plus sérieusement.

C’est avec la même élégance que Nanni Moretti traite de la question de la transmission. Dans un cauchemar, Margherita se demande ce que deviendront tous les livres de l’ancien professeur après sa mort ; sa fille se décide enfin à faire des efforts en latin quand elle voit sa grand-mère malade – et lui demande de l’aider. Et ses anciens élèves ne l’oublieront pas… Que laisse-t-on de toute une existence, qu’est-ce qui fait la valeur d’une vie ? Pas le cinéma, a l’air de répondre Nanni Moretti dans ce film magnifique.

Mia madre

Un film de Nanni Moretti

Avec Margherita Buy, John Turturro, Giula Lazzarini, Nanni Moretti, Beatrice Mancini

Durée 1h47

Sorti en salles le 2 décembre 2015

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L'esprit et la main et le bivouac de Napoléon à la Galerie des Gobelins

mobilier_national_esprit_et_mainVous avez jusqu’au 13 décembre pour profiter de cette double exposition proposée par le Mobilier National dans sa majestueuse Galerie des Gobelins à Paris.

Deux exposition en une, donc, mais organisées dans le même objectif de montrer l’excellence française dont le Mobilier National est un représentant.

La partie la plus inédite est L’esprit et la main qui, pour la première fois, montre au public l’envers du décor du Mobilier National : les ateliers de restauration. Au nombre de sept, ils sont la perpétuation d’un savoir-faire ancestral et indispensable au service du mobilier de l’Etat, qu’il soit multi-séculaire ou contemporain.

Ateliers de tapisserie de décor, de tapisserie d’ameublement, de menuiserie, ateliers de restauration en ébénisterie, en lustrerie-bronze, en tapisserie et enfin en sièges : l’ensemble des composantes de ce riche « patrimoine immatériel » sont ici réunies.

Le visiteur découvre dans chacun de ces sept espaces d’ateliers, à travers les matériaux, outils, œuvres exemplaires achevées et ouvrages en cours, comment travaillent ces techniciens d’art. A certaines heures, ceux-ci sont présents et l’on peut alors échanger avec eux et écouter leurs explications passionnées. Des films ponctuent le parcours et, avis aux amateurs et appel aux vocations, les formations dispensées au Mobilier National sont évoquées, puisqu’il faut penser à la transmission de cette excellence dans le travail du textile, du bois et du bronze pour préparer l’avenir et assurer la conservation et l’enrichissement des biens mobiliers de la République…

bivouac_napoleonL’autre exposition est une riche illustration des travaux du Mobilier National, puisqu’elle présente le bivouac de Napoléon, dont la restauration a été réalisée dans ses ateliers.

Comme on sait, Napoléon Ier passait beaucoup de temps en campagne et en voyage. A cet effet, il bénéficiait de toute une organisation qui reproduisait pour partie l’étiquette impériale, dont l’ingéniosité mais aussi le raffinement sont ici manifestes. Nécessaires de toilette, lampes, services de table, meubles pour travailler, pour se reposer… tout devait être aisément transportable. Entre luxe et simplicité, entre souci de représentation et nécessité de formats modestes, ces meubles et objets venaient joliment se ranger dans de précieux étuis et malles. Le clou de l’exposition est bien sûr la restitution du bivouac, c’est-à-dire du mobilier de camp sous la toile de tente à l’époque du Premier Empire. L’ensemble sous un splendide ciel étoilé… Lit pliant (le fameux « lit parapluie » inventé par le serrurier Desouches et que Napoléon adopta résolument, jusqu’à sa mort à Saint-Hélène), fauteuil, tabouret, bureau, flambeau, tapis, toile de Jouy de la tente… tout y est !

D’autres éléments complètent ce voyage dans le temps, comme de somptueuses pièces du service particulier de l’Empereur en porcelaine de Sèvres (celui-ci ne servait pas aux campagnes militaires, au cours desquelles il utilisait un simple service en argent), un nécessaire de voyage dit « porte-manteaux », une lampe portative issue de l’atelier du bronzier Tomir, dans oublier des tableaux montrant Napoléon Ier in situ…

Un bel et cohérent ensemble qui s’articule de la manière la plus harmonieuse qui soit avec l’exposition L’esprit et la main, en un parcours très élégamment scénographié sur les deux niveaux de la galerie.

L’esprit et la main, héritage et savoir-faire des ateliers du Mobilier National

Le bivouac de Napoléon, luxe et ingéniosité en campagne

Galerie des Gobelins

42, avenue des Gobelins – Paris 13°

TLJ sauf le lundi, de 10 h 18 h

Visites conférences le samedi à 14h30 et à 16h

Jusqu’au 13 décembre 2015

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Daum, Variations d'Artistes

Arman, L'âme de Vénus, pâte de cristal et or (2009), pâte de cristal et argent (2008)
Arman, L’âme de Vénus,
pâte de cristal et or (2009), pâte de cristal et argent (2008)

Art et artisanat se tiennent la main sur la butte Montmartre, grâce à l’exposition visible à l’Espace Dalí jusqu’au 3 janvier 2016.

Y sont présentées des créations de la maison Daum imaginées par des artistes célèbres depuis les années 1960. Le premier d’entre eux est bien sûr l’hôte des lieux : Salvador Dalí, dont la première rencontre avec le maître-verrier nancéien eu lieu en 1968. Au cours de vingt années de collaboration et d’amitié entre l’artiste catalan et Jacques Daum, vingt-et-une œuvres furent élaborées. On les découvre à l’espace Dalí, voisinant avec celles d’autres artistes de la période récente et contemporaine tels César, Arman, Ben, Richard Texier, Jérôme Mesnager

Chacune d’elles témoigne d’un mariage réussi entre la tradition (la création artisanale à base de pâte de verre, dont le rendu a évolué avec la mise au point de la pâte de cristal, plus douce) et la modernité. Pour comprendre leur genèse, peut-être faut-il remonter aux débuts de la cristallerie de Nancy née en 1878. Dès 1893 en effet, Antonin, fils du fondateur Jean Daum, créé un département d’art : il sera fer-de-lance dans le développement de l’Art Nouveau, qui avait pour dessein d’abolir les frontières entre art et artisanat. Daum s’associe alors avec Majorelle ou encore Henri Bergé. A partir des années 1920, les lignes se simplifient, le verre se givre : c’est le style Art Déco qui commence à se déployer. La pâte de cristal (par ajout de plomb dans la composition du verre) permet d’obtenir cette matière claire et épaisse qui peut prendre des formes et des couleurs extrêmement variées, et qui est aujourd’hui encore la marque de reconnaissance des création de la belle maison lorraine.

Salvador Dalí, Porte-manteau montre, 1971
Salvador Dalí, Porte-manteau montre, 1971

Au fil des différentes sections qui jalonnent l’agréable déambulation, on aime perdre ses repères devant des œuvres qui semblent hors du temps, impression que la pâte de verre, matériau ancien, imprime fortement aux sculptures, y compris surréalistes.

Il faut dire que les artistes exposés ont largement puisé leur inspiration dans la mythologie (cf. le Pégase et le Cyclope de Dalí, l’ensemble de Venus de Milo de Arman et de Dalí ) et dans la nature (impressionnant regroupement intitulé « La nature transfigurée »).

Les couleurs, d’une audace folle, sont quant à elles à ranger plutôt du côté de la modernité. Ce sont des jaunes et des verts acides, des bleus turquoise ou Klein, des rouges et des roses profonds… Le tout magnifiquement éclairé (le contraire eût été dommage : la pâte de verre est tellement sensible à la lumière !) dans cet espace intimiste et un peu décalé joliment situé, qui justifie pleinement la volée de marches à expédier pour y accéder…

Daum, Variations d’Artistes

Espace Dali

11 rue Poulbot – 75018 Paris

Ouvert TLJ de 10h à 18h

Entrée : de 5,5 à 11,5 €

Jusqu’au 3 janvier 2016

 

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Un vrai elisir d'amore à l'Opéra national de Paris

alagna_nemorino_elisirComment ne pas sortir enchanté de cette représentation, quand on a été transporté de joie, quand on a vibré aussi bien sûr (ah, la bien-nommée furtiva lagrima !) tout au long de cet Elisir d’amore de Donizetti repris ce mois-ci à l’opéra Bastille ?

Du reste, le public ne s’y est pas trompé ce dimanche 8 novembre, applaudissant à tout rompre une distribution qui brilla par son homogénéité tant vocale que scénique.

Il faut dire aussi que la mise en scène de Laurent Pelly fonctionne à merveille. Il transporte dans l’Italie du XX° siècle cette comédie sensée se dérouler dans un village basque au XVIII° siècle. Elle voit la romance entre un pauvre paysan et une riche fermière finir par triompher après bien des subterfuges,

Le hêtre sous lequel la belle Adina se repose dans la scène d’ouverture est devenu un parasol planté sur un énorme tas de bottes de foin. Une ambiance champêtre qui convainc de bout en bout, scènes de la noce et du Dr Dulcamara incluses. Celui-ci – il n’a de docteur que le nom, mais grâce à son talent de bonimenteur, la crédulité de tous les villageois lui est acquise – tient autant du colporteur des temps anciens que du camelot des grands boulevards à l’époque des grands magasins. Interprété par l’extraordinaire Ambrogio Maestri (quelle voix !), il semble tout droit sorti de la commedia dell’arte.

Un talent comique que l’on retrouve sans peine chez le baryton Mario Cassi en sergent Belcore, tout gonflé de vanité au motif qu’il porte l’uniforme, et croit obtenir grande victoire quand il emporte le oui d’Adina, sans s’apercevoir que ce n’est que par dépit qu’elle lui cède. Mais la belle (très jolie voix, délicate et colorée, de la soprano Aleksandra Kurzak) est moins légère qu’elle ne le voudrait elle-même, son cœur battant en secret pour Nemorino, lequel n’a pour richesses que son amour et sa fidélité. Pauvre Nemorino, naïf au cœur pur, qui espère obtenir celui d’Adina grâce à un précieux élixir… Mais même le vin de Bordeaux a du bon, telle peut être la morale de ce jeu de dupes, quand il s’agit de faire triompher les nobles et beaux sentiments !

C’est la première fois que Roberto Alagna incarne à Paris le rôle de Nemorino – l’un de ses préférés paraît-il. Il est évident qu’il est taillé pour, lui qui aime tant jouer, bouger, amuser et s’amuser sur scène ! Il fait mimiques et roulades, mais jamais trop. Et quand vient le moment du fameux Una furtiva lagrima chanté par ce paysan tout dégrisé et seul sur son tas de foin, Alagna l’exécute avec tant de grâce que c’est en réalité un prince que l’on entend à cette heure où les premières étoiles se mettent à briller.

L’elisir d’amore

Gaetano Donizetti

Opéra en deux actes créé en 1832

Durée 2 h 15, avec entracte de 30 mn

Opéra national de Paris

Jusqu’au 25 novembre 2015

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L'Homme irrationnel. Woody Allen

lhomme_irrationnel_woody_allenChaque année nous livre un nouveau Woody Allen, et c’est toujours de bon cœur qu’on va le découvrir en salle, quasiment assuré de passer un bon moment, en retrouvant l’univers du cinéaste qui au fil du temps nous est devenu aussi familier qu’attachant.

Questions existentielles, philosophie et psychanalyse, magie, hasard, intrigues noires, pouvoir de séduction et passions… peuplent ensemble ou en ordre dispersé les films du cinéaste new-yorkais sans jamais nous lasser. Quoique…

Son avant-dernier opus Magic in the Moonlight était très réussi, débordant de toutes sortes de charmes, auxquels Colin Firth et Emma Stone n’étaient certes pas étrangers. C’est donc avec joie que l’on retrouve celle-ci dans L’homme irrationnel, cette fois accompagnée de Joaquin Phoenix.

Il campe Abe, professeur de philosophie débarquant dans une fac de province de la côte Est, précédé d’une sacrée réputation, qu’il confirme en grande partie dès son arrivée : passé engagé sur le terrain, thèses philosophiques peu conventionnelles, alcoolique, divorcé amateur de jeunes femmes… Sa renommée de coureur de jupons (d’étudiantes) est finalement la seule que son attitude dément. En fait, il est désormais totalement déprimé (et impuissant), désabusé par tout ce qui a fait le sel de sa vie : l’engagement, l’enseignement, l’amour.

Jill, la plus jolie et la plus brillante de ses étudiantes (Emma Stone), bouleversée par la noirceur d’âme de Abe, se lie d’amitié avec lui (qui le lui rend bien), avant de tomber carrément amoureuse de lui (qui lui résiste).

L’affaire serait restée au stade de la romance si un événement anodin et fruit du plus pur des hasards n’avait secoué notre héros, au point de lui redonner grand goût à la vie… Mais à quel prix ? C’est alors que l’intrigue amoureuse se double d’une intrigue policière.

Les deux mêlées suffisent pourtant à peine à maintenir le spectateur en éveil. Dialogues fournis auxquels s’ajoute un récit off à deux voix, le tout plutôt redondant, produisent un grand bavardage, qui apparaît un peu comme l’emplâtre posé sur un scénario un brin faiblard. On voit les événements arriver de plus ou moins loin, et du coup un certain ennui aussi. Heureusement le jeu impeccable de Joaquin Phoenix comme de Emma Stone nous permet, malgré tout, de passer un plutôt bon moment… On reviendra quand même l’année prochaine !

L’Homme irrationnel

Un film de Woody Allen

Avec Joaquin Phoenix, Emma Stone, Jamie Blackley, Parker Posey

Durée 1h34

Sorti en salles le 14 octobre 2015

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Splendeurs et misères au Musée d'Orsay

Sur le Boulevard (La Parisienne), Louis Valtat Photo Mathieu Rabeau/RMN/ Fondation Bemberg
Sur le Boulevard (La Parisienne), Louis Valtat
Photo Mathieu Rabeau/RMN/ Fondation Bemberg

« Bien que ces vaches de bourgeois
Les appellent des filles de joie
C’est pas tous les jours qu’elles rigolent,
Parole, parole,
C’est pas tous les jours qu’elles rigolent (…) »

Comment ne pas penser à cette poignante chanson de Georges Brassens en parcourant la riche et intéressante exposition organisée au Musée d’Orsay jusqu’au 17 janvier, consacrée (la première en son genre) aux images de la prostitution, du Second Empire à la Belle Epoque ?

Le comte Henri de Toulouse-Lautrec a peint ces « filles de joie » en abondance dans les maisons closes bien sûr, mais aussi dans les cabarets, cafés-concerts et brasseries, tous lieux qu’il a assidûment fréquentés : on les y voit attendre le client, l’air mélancolique, las et résigné, parfois jouant aux cartes pour se divertir d’un ennui qui semble abyssal. Van Gogh, Manet, Picasso eux aussi ont représenté de telles expressions : leurs tableaux montrent ces filles seules, attablées devant un verre de bière ou de prune, ou simplement les bras croisés (Femme assise au fichu ou La mélancolie, Picasso, 1902).

Ces œuvres sont les plus touchantes de l’exposition car elles nous placent du point de vue des prostituées et de leur triste sort, dans une approche très humaniste.

Ce n’est pas la grille de lecture proposée par les commissaires d’exposition, qui placent ce sujet inédit dans une vision plus globale, procédant à une sorte d’inventaire de ces splendeurs et misères de la seconde moitié du XIX° siècle. Les lieux publics et privés de la prostitution (du boulevard aux maisons closes en passant par l’opéra Garnier), sa place dans l’ordre moral et social, la prostitution dans « le monde » (les courtisanes, ou demi-mondaines), la prostitution et la modernité… sont les principaux thèmes traités avec soin et sobrement mis en scène par Robert Carsen, au fil de salles essentiellement tendues de rouges, du brun tomette au cardinal le plus vif.

Olympia (1863) d'Édouard Manet (1832-1883) © Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt - Paris, musée d’Orsay
Olympia (1863) d’Édouard Manet (1832-1883) © Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt – Paris, musée d’Orsay

Le regard le plus souvent adopté par les nombreux artistes qui se sont collés au sujet à l’époque reste celui du client, réel ou potentiel, mais sans la compassion d’un Lautrec, d’un Picasso ou d’un Van Gogh. C’est plutôt un regard qui pointe l’altérité absolue, l’étrangeté que représente la prostituée, non seulement femme, mais encore femme de petite vertu. On l’achète, la domine, la réprouve. Et pourtant, sa séduction menace, et pas uniquement pour des raisons sanitaires. On nage en pleine ambiguïté dans ce jeu de pouvoirs. La citation de Felix Fénéon au sujet du tableau de Louis Valtat placé en ouverture de l’exposition, Sur le boulevard (la Parisienne), lors de son compte-rendu du Salon des Indépendants de 1893 est d’ailleurs assez explicite de cette fascination mêlée de mépris mais aussi de crainte : « Je gobe son grand tableau : une chouette filasse, putain comme chausson qui se trimballe sur le boulevard. Pour sûr, elle va rouler dans les grands prix les bourgeoisillons qui rôdent autour de ses froufrous ».

Cette peur semble atteindre son paroxysme avec l’Olympia de Manet. Soudain, la prostituée, représentée le plus souvent avec un voyeurisme certain (Degas n’était sur ce point pas le dernier) se met à regarder le spectateur en pleine face. La plus grande provocation du tableau est sans doute celle de renvoyer le spectateur à lui-même… Comme à la fin de la chanson de Brassens.

 

Splendeurs et misères

Images de la prostitution 1850-1910

Musée d’Orsay

Jusqu’au 17 janvier 2016

De 9h30 à 18h mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche
De 9h30 à 21h45 le jeudi
Fermé tous les lundi, les 1er mai et 25 décembre

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Manessier. Du crépuscule au matin clair

Alfred Manessier Petit port au matin clair
Alfred Manessier
Petit port au matin clair

Connaissez-vous le Musée Mendjisky à Paris ?… Une exposition consacrée à Alfred Manessier y est organisée jusqu’au 15 octobre. Heureusement que la curiosité et le flair de Jean-Yves sont là pour nous inciter à emprunter des chemins de traverse… Merci à lui !

Mag

Le Musée Mendjisky – Ecoles de Paris, ouvert en 2014, rend un bel hommage à Alfred Manessier (1911-1993), peintre majeur de l’art abstrait et figure tutélaire de la Seconde Ecole de Paris.

L’exposition, la première à Paris depuis la rétrospective au Grand Palais en 1992, illustre bien le parcours de cet artiste. Elle témoigne de la sensibilité aux variations de la lumière de cet homme du Nord dont la vocation de peintre se dessina, vers douze ans, devant la baie de Somme où il passait ses vacances. Sans particulièrement respecter un ordre chronologique, les accrochages affichent, dans la première salle, des œuvres peintes entre 1943 et 1956, dont les noms sont évocateurs : « Espace matinal », « Formes au crépuscule », « Nocturne marin »… et surtout un grand tableau « La nuit » (1956), qui fit partie, comme des Modigliani, Miro ou Dubuffet, de la collection d’Otto Preminger.

A l’invitation de ses amis le poète Camille Bourniquel et la peintre Elvire Jan, Manessier découvre la Provence en 1958, puis en 1959. Sous l’effet d’une « frénésie de dessiner », sa palette devient alors plus colorée et son expression plus mouvementée : « Aube sur la garrigue », « La nuit au mas ». La même veine lumineuse traverse son œuvre lorsqu’il découvre l’Espagne en 1963 (« Vent du soir sur Tolède »). On peut admirer tous ces tableaux sur les cimaises du musée.

L’exposition évoque également la période surréaliste de Manessier (fin des années 30), et elle rassemble aussi d’émouvantes œuvres de jeunesse des années 20, sous la forme d’études figuratives de petits formats, peintes sur le motif, autour du port du Crotoy.

Cherchant à « exprimer la prière intérieure de l’homme, à atteindre aux arts sacrés », Manessier considérait son œuvre comme indissociable de son engagement spirituel. Nous savons qu’il fut le premier artiste à proposer des vitraux non figuratifs dans une église. L’exposition propose ici des répliques de vitraux posés dans l’église du Saint-Sépulcre à Abbeville, la ville de son enfance. Une grande tapisserie suspendue, s’inspirant de « La nuit », démontre aussi combien Manessier est à l’aise dans les œuvres monumentales, en laine (tapisseries) et en verre (vitraux).

Alfred Manessier La petite source nocturne
Alfred Manessier
La petite source nocturne

Le peintre attachait une grande importance à l’amitié qu’il entretenait d’autres artistes. Un espace leur étant réservé, on pourra admirer des compositions de Jean Bazaine, Jean Le Moal, Jean Bertholle, Elvire Jan…

Enfin, la visite au musée donne l’occasion de découvrir ce lieu édifié, en 1932, comme atelier d’artiste par l’architecte Robert Mallet-Stevens pour son ami, le maître verrier Louis Barillet. Cette maison, attachée à la naissance des avant-gardes dans la première moitié du XXème siècle, apparaît comme représentative de l’art total dont se réclamait Mallet-Stevens. On y admirera les vitraux et les mosaïques, tout comme l’omniprésence du verre sous toutes ses formes. L’exposition ne manque pas de rappeler, par ailleurs, que Manessier vécut et travailla longtemps en voisin, rue de Vaugirard.

Jean-Yves

Manessier. Du crépuscule au matin clair

Musée Mendjisky – Ecoles de Paris

15 square de Vergennes – Paris 15°

(Accès à hauteur du 279, rue de Vaugirard)

Jusqu’au 15 octobre 2015

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