Les plages d'Agnès. Agnès Varda

Les plages d'Agnès, Agnès VardaCe film ne ressemble à aucun autre. Autobiographie. Mémoires.
Pour tracer les grandes lignes de sa vie, Agnès Varda s’est emparé de ce qui constitue sa plume depuis plus de cinquante ans : la caméra. Pour y placer son sujet devant : elle. Osé.
Le fil est chronologique. Il commence donc par les plages de son enfance, celles de la mer du Nord, dont les noms l’enchantent encore aujourd’hui. Dans une scène d’ouverture magnifique – installation de miroirs anciens sur le sable, alors que le vent agite son écharpe colorée – Agnès Varda plante quelques photos et donne le ton : calme, enjoué, clair. Drôle de projet, confit-elle. "Pas de nostalgie". Ce qui n’empêche pas la passion pour les photographies, même celles de familles inconnues trouvées dans les brocantes.

En 1940, la guerre pousse sa famille de Belgique jusqu’à Sète. Là, pendant quatre ans, les cinq enfants et leur mère vivront à bord d’une péniche, à la Pointe-Courte.
Avec des comédiens d’aujourd’hui et en couleurs, Agnès recrée les scènes, retrouve les blouses et les chants de ses souvenirs, réincarne son passé.
Juste avant la Libération, les Varda "montent" à Paris ("comme si la France était verticale !" souligne joliment la cinéaste) ; pour Agnès, c’est l’école du Louvre, lecture sur les quais et débuts dans la photographie pour le théâtre.

Et puis le cinéma vient vite, alors qu’elle n’a encore vu que neuf ou dix films dans sa vie. Mais elle s’est "lancée" ; dit-elle si simplement. La Pointe-Courte, Cléo de 5 à 7, etc. Sa fille Rosalie ; ses amis artistes ; et puis Jacques Demy, et encore leur fils Mathieu…
Comment raconter cette vie si riche, faite de rencontres, de créations, de voyages ?
En mettant ensemble des bouts de tout cela, sans chercher à leur donner une cohérence. En accolant, comme les pièces d’un puzzle, les photos, les scènes reconstituées, les extraits de films, d’installations et d’expositions, pour donner à voir les lieux qui ont compté, les gens qu’elle a aimés, les oeuvres qu’elle a réalisées.

Le lien se fait comme par magie avec la voix d’Agnès, omniprésente, et son image d’aujourd’hui, celle d’une octogénaire pleine de sagesse et de malice. Ce tout disparate tient parfaitement debout, armuré par un savant montage, mais peut-être plus encore par la simplicité, le naturel et la fantaisie d’Agnès Varda, qui en ne cessant de parler d’elle nous renvoie à des questions qui pourraient être qu’est-ce qu’une vie ?, qu’est-ce qui lui donne une cohérence ?, "qu’est-ce qui "fait" une personne ? qu’est-ce qui lui donne son unité ? Sur les magnifiques plages d’Agnès se trouvent beaucoup de réponses.

Les plages d’Agnès
Un film documentaire d’Agnès Varda
Durée 1 h 50

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La vie moderne. Raymond Depardon

La vie moderne, Raymond DepardonCe sont des routes désertées, au milieu de paysages magnifiques mais qui ne sont pas là pour ça. Au bout du bout, ce sont des hameaux de pierre qui semblent avoir été toujours là.
Le jour tombe, Marcel rentre ses brebis, appelle sa chienne en patois ; comme hier, comme avant-hier, comme chaque soir depuis combien de temps ?
Il est l’aîné des deux frères Privat, quatre-vingt ans bien sonnés chacun, restés à la ferme du Villaret dans les Cévennes après leurs parents, et restés célibataires aussi.
Leur neveu Alain vient de se marier avec Cécile, venue du Pas-de-Calais. Active et souriante, elle dit bien s’adapter ; sa fille Camille, quinze ans, taiseuse, se tient bien sur la roue du tracteur et pourrait devenir agricultrice plus tard. La relève assurée, enfin ? Les choses ne vont pas de soi. "Conflit de génération ?" demande Depardon. "Non !", s’exclame Raymond, le cadet des deux oncles, à la fois passionné et réfléchi. "Le métier a évolué. je me souviens de ma mère qui se levait à 6 heures du matin pour faire le feu et préparer le café. Il n’y avait pas d’électricité. On n’était pas bien moins que les autres. C’était comme ça chez tout le monde. Alors elle se levait à 6 heures et elle allumait le feu. Nos parents, c’était autre chose."
Ainsi Raymond Privat répond à Raymond Depardon sur la question du conflit des générations : pas à côté, mais "de côté". A l’image de la façon dont Depardon le filme, magnifique : en léger contre-champ, de trois-quart, assis à la table de la cuisine. Son frère Marcel est en face de lui, un peu de biais aussi. Plus "rouscagneur" que bavard, il est plus direct aussi, plus à vif : "Je n’aime pas qu’on me marche sur les pieds et les gens qui n’aiment pas qu’on leur marche sur les pieds. Voilà." Toujours au sujet de la belle-nièce toute neuve. Ce sera à peu près tout pour Marcel.
Depardon questionne encore : "Et la succession ?" "C’est là que le bât blesse" résume Raymond. "C’est là que le bât blesse" répète-t-il.
C’est dire le climat de confiance qui s’est installé entre le documentariste et ces paysans de moyenne montagne, dans les Cévennes ou en Haute-Loire, là ou les terrains accidentés ne permettent que l’élevage. Depardon les a parcourus pendant dix ans pour aller à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui vivent "loin de tout", mais si présents à leur terre, à leur bétail, à leurs pierres.

Raymond Depardon vient de ce monde-là, l’a quitté à l’âge de seize ans, est devenu reporter et a parcouru le monde. Plus de quarante ans après, alors que ses parents ne sont plus, il revient vers leur/son milieu. Et s’il filme ce qui évolue dans ce monde à part, il filme aussi ce qui n’a pas changé. Au Villaret par exemple, où il revient à différentes saisons, il montre à plusieurs reprises le perron de la maison : trois-quatre marches de pierres, une porte ouverte. De longs plans fixes, sans personne ou avec l’un des frères ou encore la chienne qui passe. Cela suffit pour se dire que depuis quatre-vingt et quelques années, chaque jour, plusieurs fois par jour, Raymond et Marcel ont marché sur ces pierres, ont franchi ce seuil. Tous les jours, depuis si longtemps.
"Apaisé" confie Raymond Depardon en conclusion de son documentaire. Il a tant bougé ; comme tant de gens au cours de ce XXème siècle. L’exode rural a bien continué. Mais il s’en est trouvé qui sont restés, et il en restera encore peut-être demain. Même si Marcel, à la fin du film, ne peut plus sortir ses brebis : il a quatre-vingt-huit ans, il est malade ; il ne peut plus. "C’est comme ça, dit-il, c’est pour tout le monde pareil, quand on ne peut pas, on ne peut pas." Toujours laconique, sans gras.

En filmant les frères Privat et bien d’autres tout aussi passionnants à écouter, Depardon a trouvé la distance et les mots justes pour les faire parler avec naturel, en demeurant toujours à mille lieux du folklore ou du pittoresque.
Il était à la recherche de quelque chose qu’il connaissait, qu’il avait peut-être peur d’avoir oublié mais qu’il a su retrouver, avec obstination et délicatesse, et surtout un respect infini.
Alors, après le déchirement de voir Marcel ne plus pouvoir sortir ses bêtes et sa vie peut-être bientôt se conclure, Depardon, dans la scène finale, très belle, montre la silhouette de Raymond, au loin sur le col, qui, lui, est encore là-haut ; on pense aussi aux enfants, prêts à reprendre plus tard.
La caméra de Depardon s’éloigne, c’est un au-revoir. On aime et on croit en cet "apaisé" ; on aime par dessus tout chez lui ce qu’il semble avoir inventé, qui pourtant ne s’invente pas, et qui a pour nom la finesse. Et il en fallait pour réaliser ces deux Profils paysans puis cette Vie moderne, des oeuvres rares, précieuses qui avec beaucoup de silences en disent bien long.

La vie moderne
Un documentaire de Raymond Depardon
Durée 1 h 30

Les deux premiers volets de cette trilogie sur le monde paysan sont Profils paysans – L’approche (2001) et Profils paysans – La vie quotidienne (2005)

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L'échange. Clint Eastwood

L'échange, Clint EastwoodLe film est inspiré de cette histoire réelle, qui s’est déroulée à la fin des années vingt à Los Angeles : Walter Collins, neuf ans, fils unique de Christine Collins, une femme célibataire et active, disparaît. Au bout de quelques mois, le Los Angeles Police Department (LAPD), après avoir soigneusement convoqué la presse pour faire montre de son efficacité remet un petit garçon à Christine en affirmant qu’il s’agit de son fils. Mais Christine ne reconnaît pas son Walter. Elle poursuit alors un combat obstiné afin que la police poursuive ses recherches.
L’arrogant LAPD, plus soucieux de son image que d’œuvrer pour la justice, ne l’entend pas de cette oreille et utilise tous les moyens, de la manipulation à l’internement forcé, pour faire taire Christine.
En parallèle, un policier découvre dans un ranch un ossuaire d’une vingtaine d’enfants assassinés par un tueur en série. L’ampleur du crime va contraindre la police à mener jusqu’au bout cette enquête-là. Walter faisait-il partie de ces pauvres victimes ?
De ce fait divers, Clint Eastwood a tiré un mélodrame magnifique. Admirablement classique, maîtrisé, où les séquences s’enchaînent les unes aux autres avec une fluidité narrative extraordinaire malgré la multiplicité des faits. Eastwood déroule l’histoire progressivement, pousse les volets les uns après les autres, sans que jamais le film ne perde une once de souffle, sans que la direction donnée ne soit jamais bâclée ou traitée avec facilité.
Il développe les sentiments avec cette force dénuée de mélo qui n’appartient qu’à lui et montre les faits avec une puissance de frappe qui laisse pantois.
Pour autant, L’échange n’est pas seulement un film sentimental : au delà du déchirement d’une mère privée de son fils, au delà de l’horreur des enfants massacrés, Clint Eastwood souligne tout ce que ce drame recèle de questions sociales et politiques : l’administration corrompue qui gouverne par l’arbitraire, l’intimidation, le harcèlement et la force ; le sort fait aux femmes (le désir d’indépendance considéré comme pure hystérie) ; les traitements ignobles infligés aux malades psychiatriques (ou prétendus tels) ; la demande de sécurité des citoyens moyennant renoncement à certaines règles de l’Etat de droit ; la peine de mort enfin.
Au delà de la splendeur formelle et de la reconstitution historique parfaite, sur tous ces sujets, Clint Eastwood sonne juste et bouleverse ; et fait une fois de plus la preuve qu’il est décidément, loin devant, le plus grand.

L’échange.
Clint Eastwood
Avec Angelina Jolie, John Malkovich, Michael Kelly, Jeffrey Donovan, Jason Butler Harner
Durée 2 h 21

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Le crime est notre affaire. Pascal Thomas

Le crime est notre affaire, Pascal ThomasAprès Mon petit doigt m’a dit, puis L’heure zéro, absolument délicieux, Le crime est notre affaire est le troisième film de Pascal Thomas tiré d’un roman d’Agatha Christie.
Nous voici cette fois installés dans les Alpes cossues, où Prudence et Bélisaire se sont rangés des services secrets. Une retraite bien trop paisible pour Prudence, qui sent dans ces jours tranquilles une "odeur de vieux" étouffante.
Noël approche, une vieille tante un peu farfelue vient faire une petite visite avant d’aller chasser le papillon en Guyane. Tourneboulée, elle affirme avoir été témoin d’un assassinat dans le train. Mais aucun cadavre n’ayant été retrouvé, la maréchaussée classe l’affaire sans suite. Il n’en fallait pas plus pour ranimer la flamme de détective encore tapie en Prudence : elle part donc mener l’enquête, d’une façon peu conventionnelle et beaucoup plus séduisante que celle de Bélisaire… mais les deux font malgré tout la paire, d’autant qu’ils sont amoureux comme au premier jour.
Autant le dire franchement, il s’agit certes d’une énigme policière, mais Pascal Thomas la traite avec une totale désinvolture ; une manière qui n’exclut nullement le charme. Par sa fantaisie, son ton plein de liberté, son parfum de mystère et les contours tout en couleurs de ses personnages principaux, Le crime est notre affaire offre un moment de pure détente. L’histoire y a peu d’importance, mais l’on en sort avec la sensation d’avoir passé un bon moment, avec d’excellents comédiens, des dialogues bien balancés et des décors enchanteurs. Bref, ce qu’on appelle un agréable film de divertissement.

Le crime est notre affaire
Pascal Thomas
Avec Catherine Frot, André Dussollier, Claude Rich, Chiara Mastroianni, Melvil Poupaud, Hippolyte Girardot, Annie Cordy…
Durée 1 h 49

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Vicky Cristina Barcelona. Woody Allen

Woody Allen, Vicky, Cristina, BarcelonaElles sont américaines, jeunes, belles, et contentes de venir passer leur été à Barcelone. Cela ne fait pas deux minutes qu’elles ont débarqué qu’on est déjà tout content aussi de faire partie du voyage.
Le film démarre en trombe, avec une voix off qui débite, en anglais, mais au rythme de la langue de Cervantes, c’est-à-dire à toute allure, le portrait de nos deux touristes : Vicky, la brune (Rebecca Hall), sage et cultivée, solidement fiancée, qui sait ce qu’elle veut dans la vie en général et ce qu’elle vient faire là en particulier : approfondir sa thèse sur l’identité catalane. Cristina, la blonde (Scarlett Johansson), glamour et rêveuse, qui sait ce qu’elle ne veut pas et vient ici chercher tout le reste. Rappliquera vite le beau, le brun, le charmant, le dragueur, aussi léger qu’obstiné, l’artiste peintre : Juan Antonio, joué par un Javier Bardem très en forme. María Elena (voici Penélope Cruz, qui atteint des sommets), artiste peintre également, ne tarde pas à les rejoindre : elle est l’ex-femme de Juan Antonio, mais avec qui le "ex" n’est pas tout à fait consommé…
Prenez les quatre pendant quelques semaines, mélangez, et il ne reste plus qu’à déguster le cocktail signé Woody Allen, fait d’amour (beaucoup), d’humour, de cris et de larmes. S’y ajoute une pointe de philosophie, où le film parle sans ambages de la vie, de ce qu’on sait et de ce qu’on croit savoir, de ce qu’on veut et de ce qu’on ne veut pas, de ce qu’on peut et de ce qui advient. C’est un régal, avec tous les clichés de l’Espagne que nous aimons, bien normal puisque c’est précisément pour ceux-là que Vicky et Cristina sont venues, et qu’on était fermement décidé à les suivre…

Vicky Cristina Barcelona
Un film de Woody Allen
Avec Scarlett Johansson, Rebecca Hall, Javier Bardem, Penelope Cruz…
Durée 1 h 37

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Cowboy angels. Kim Massee

Kim Massee, cowboy angelsDès le début, on pense au Petit Prince, si seul qu’il veut apprivoiser un renard, ou à un petit chien abandonné par son maître, qui court derrière un inconnu pour plutôt se faire apprivoiser lui-même. Ainsi débute Cowboy angels, avec Pablo, un gosse de onze ans délaissé par sa mère, sans géniteur dans les parages et qui demande à Louis, un joueur de poker en déroute, de l’emmener en Espagne retrouver son père. Démarre alors un road-movie entre un homme méfiant et endurci et un enfant plein de bagout, de vivacité et de ressources, mais en manque de protection et d’attention, presque en manque de tout. Ceux qui l’ont aidé à se construire sont les différents amants de sa mère. On les découvrira successivement au cours de ce voyage Paris-Barcelone-Paris via Bayonne, avec, au bord de l’eau, une superbe rencontre… celle-là féminine.

Si Cowboy angels souffre de baisses de rythme à certains moments, il révèle l’indéniable talent de Kim Massee, franco-américaine, directrice d’acteurs et réalisatrice de courts et moyens métrages, qui a produit elle-même son premier long métrage. Tourné entre la France et l’Espagne, mais bourré de références américaines, notamment Bob Dylan et les grands films de western, il nous plonge avec naturel et simplicité dans l’univers singulier, dans le monde très attachant qui se crée entre Louis et Pablo, enrichi au fil des rencontres, tour à tour désopilantes ou affectueuses.

Kim Massee a formidablement choisi ses acteurs, à commencer par son propre fils dans le rôle de Pablo, mais aussi l’irrésistible Thierry Levaret dans celui de Louis, jusqu’aux rôles secondaires, tous impeccables. Ils participent de cette ambiance chaleureuse qui fait de Cowboy un film dans lequel on se sent drôlement bien.

Cowboy angels
Kim Massee
Avec Diego Mestanza, Thierry Levaret, Françoise Klein
Durée 1 h 40

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Entre les murs. Laurent Cantet

Entre les murs, Laurent Cantet, François BégaudeauC’est un film qui laisse un peu perplexe.

D’abord, il faut peut-être éviter la fausse bonne idée consistant à lire le livre de François Bégaudeau (1), écrit comme un scénario, juste avant d’aller en voir l’adaptation cinématographique : autant se réserver la surprise des dialogues et de la bouillonnante énergie, déjà présents dans le livre de l’ancien professeur de français.

Ensuite, il y a la Palme d’Or descernée par le jury de Sean Penn au dernier Festival de Cannes et l’hystérie qui s’en est suivie dans les médias comme dans le monde politique, grandes déclarations à l’appui : celles-ci ne manquèrent pas d’intriguer le grand public. Qu’ont-ils découvert qu’ils ne soupçonnaient point ?

Voici le film enfin projeté en salle. Et, curieusement, l’on en sort avec l’impression d’avoir vu une "petite chose". Laquelle, au fait ? Documentaire ou film ? Les milieux autorisés sont unanimes : il s’agit d’un film. L’affaire est entendue, remarque faite qu’étant inspiré de l’expérience d’un professeur de français jouant son propre rôle dans un collège du XXème arrondissement de Paris avec des élèves dudit collège pour interprètes, réalité et fiction se trouvent intimement mêlées.

Peu importe, si le résultat est convaincant. Il l’est assez. Mais il est avant tout attachant. L’empathie avec François Marin (noble personne, louables intentions et pédagogie plutôt fine) joue à plein régime. L’attachement à ces mômes de 13, 14 ou 15 ans, insupportables mais désarmants est immédiat. Les échanges, parfois enjoués, parfois violents, entre le professeur et ses élèves de quatrième évoquent bien souvent le jeu théâtral. Car pour ces ados, tout semble affaire de représentation et de spectacle. François est nécessairement pris (au piège ?) dans ce jeu, dont il détient toutefois en grande partie les clés : celles de la langue.
Là se trouve la trame de fond et le véritable intérêt d‘Entre les murs, livre comme film : l’affrontement incessant entre les élèves et leur professeur est avant tout l’affrontement de deux langages. François Marin a pour mission de leur faire apprendre le sien, qui est celui de la société dominante et que ces jeunes ont du mal à accepter et surtout à s’approprier. Avec la maîtrise du verbe, se joue pourtant leur avenir. Tel est l’enjeu de l’action qui se déroule sous nos yeux, telle est la force du film, et son ressort dramatique. Peut-être ne faut-il pas en chercher d’autre.

Entre les murs
Un film de Laurent Cantet
Avec François Bégaudeau, Esmeralda Ouertani, Boubacar Touré, Angelica Sancio, Burak Ozyilmaz, Nassim Amrabt, Louise Grinberg
Durée 2 h 08

(1) Editions Verticales (2006), Prix France Culture-Télérama
Egalement en Folio, 290 p., 6,30 €

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A Toulouse : Cinespaña 2008

Cinespana 2008Ce vendredi 3 octobre, Cinespaña redémarre pour une treizième édition de promotion du cinéma espagnol en France.

Six distinctions seront remises samedi 11 octobre au cours de la soirée de clôture, honorée de la présence du parrain du festival, Jorge Semprún :
– la Violette d’Or du Meilleur long métrage ;
– le Prix du Meilleur court métrage ;
– le Prix du Meilleurs Documentaire du jury Raíces ;
– le Prix Révélation descerné par le jury Etudiant ;
– le Coup de coeur des lecteurs de la Dépêche du Midi ;
– mais aussi le film préféré du public.

Cette année, un hommage est rendu au comédien (plus de deux cents rôles), réalisateur (trente films) et écrivain Fernando Fernán Gómez, tandis que la rétrospective est consacrée, en sa présence, au directeur de la photo lauréat de quatre Goyas, José Luis Alcaine. Chef opérateur de plus de cent films, il a notamment travaillé avec Pedro Aldomovar dans Attache-moi et Volver.
A noter aussi, le cycle scolaire mis en place avec l’Inspection Académique de Midi-Pyrénées qui présente une sélection de films aux collégiens et lycéens.
Enfin, la convivialité promet d’être comme toujours de la partie dans la cour de la Cinémathèque de Toulouse avec des rencontres-débats, apéro-concerts et autres rendez-vous au restaurant ou au bar à tapas.
Bon festival à tous !

Les lieux de Cinespaña
A Toulouse :
Cinémathèque – 69 Rue du Taur
Instituto Cervantes – 31 Rue des Châlets
Cinéma ABC au centre culturel Alban Minville 67 Allée de Bellefontaine
où l’ABC s’est transporté pour la durée de ses travaux de rénovation
Cinéma UGC – 9 allées Franklin Roosevelt
Ecole Supérieure d’Audiovisuel (ESAV) – 56 Rue du Taur
Casa de España – 85 avenue des Minimes
Cinéma Utopia – Rue Montardy
A Tournefeuille
Cinéma Utopia – Allées des Sports (31170)
Et pour tout savoir sur la programmation : Cinespaña 2008

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La belle personne. Christophe Honoré

La belle personne de Christophe HonoréA quoi sert La Princesse de Clèves, sauf à encombrer l’esprit de fonctionnaires inconséquemment recrutés ?
A quoi sert la littérature, cette tortionnaire d’enfants, toujours prête à d’inutiles finasseries, alors que les réponses aux questions du monde d’aujourd’hui sont paraît-il si simples ?

Christophe Honoré, concluant sa belle trilogie parisienne, fournit avec cette libre adaptation de La Princesse de Clèves un début de réponse.
Avec lui, la Princesse s’appelle Junie, a seize ans et fréquente en ce début du XXIème siècle un lycée de l’ouest parisien. Et grâce à cette Belle personne, les sentiments semblent traverser les siècles sans l’ombre d’une poussière.
C’est que depuis Dans Paris, puis Les chansons d’amour et enfin avec celui-ci, Christophe Honoré pose et maîtrise à chaque fois davantage son film, pour accéder à une épure dans la mise en scène et dans l’expression des sentiments qu’il n’avait jamais atteinte.
Ici, tout se joue dans une poignée de plans parfois très courts, dans un regard à la dérobée, un visage bouleversé, des yeux perdus sous la vague du sentiment amoureux, l’espoir ou l’esquisse d’une étreinte.
Si le coeur et l’armature du film sont tenus par Junie, figure éternelle de l’amoureuse éprise d’absolu depuis Mme de Lafayette, le personnage central, au sens physique du terme, est certainement Nemours, le jeune professeur d’italien. Incarné par un Louis Garrel proprement magnétique, au contraire de Junie que le mystère et l’extrême exigence éloignent, Nemours est évidemment le personnage le plus proche, le plus humain. Face à une Princesse presque désincarnée (ce qui est d’autant plus talentueux de la part du metteur en scène et de Léa Seydoux que celle-ci a un physique précisément très charnel), Nemours concentre en ses traits l’irrésistible attirance, presque électrique, le désir et le trouble. Deux amoureux mus par une même intensité de sentiments mais que Junie rejettera dans l’absolu, l’empêchant de devenir terrestre.

La belle personne. Christophe Honoré
Avec Louis Garrel, Léa Seydoux, Grégoire Leprince-Ringuet
Durée 1 h 30
Le site officiel du film

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Gomorra. Matteo Garrone

Gomorra, de Matteo GarronePire que la violence que l’on voit à l’écran est la violence que l’on ressent, à travers des corps tremblants, des bouches qui crient, d’autres qui se figent avant d’en avoir le temps, des regards effrayés : cette peur qui irradie le film de Matteo Garrone et dans laquelle vivent des milliers de foyers dans le quartier napolitain des Vele.
L’un des lieux où le quotidien n’est autre que le trafic de drogue et son cortège de victimes, tenu d’une main de fer par la Mafia. Là où des clans s’affrontent et certaines affaires se règlent d’une balle dans la tête ou dans la nuque. Là où les jeunes n’ont d’autre avenir que d’entrer dans la spirale ; où le "milieu" entretient les familles ; où une autre économie s’est installée, fondée sur le commerce de narcotiques et d’armes, mais aussi de contrefaçons et de déchets toxiques. Loi du plus fort, Etat dans l’Etat, zones sans droit. La ligne semble connue.
Elle prend dans Gomorra un visage troublant, à travers cinq récits qui s’entrecroisent, traçant les portraits d’une série de personnages, maillons du rouage infernal. Un gosse de douze ans apprend, appliqué, les règles de l’art de la criminalité. Une paire de gamins, têtes brûlées à peine plus âgés que lui, narguent les califes locaux pour jouer leur propre jeu avec les armes et la came, auquel ils ne pourront que perdre. Un tailleur fabrique les magnifiques pièces qui iront à la grande couture financée par l’argent sale. Un "caissier" fait chaque semaine le tour des épouses privées de leur mari camorriste pour leur donner de quoi survivre. Un jeune diplômé assistant d’un entrepreneur spécialisé dans l’enfouissement des déchets toxiques ouvre les yeux sur ce spectacle écœurant.
Matteo Garrone a tiré son film du livre Gomorra, dans l’empire de la Camorra écrit par le journaliste Roberto Saviano, issu de la banlieue de Naples gangrénée par la Mafia, et aujourd’hui sous haute protection policière.
Il nous tient au plus près de ses personnages, personnes en réalité, tristes pantins de la mécanique du profit et du crime. Tristes pantins mais tellement humains et dont le film de Matteo Garrone, distingué par le Grand Prix du jury à Cannes, porte le témoignage criant, comme pour mieux nous dire "Regardez !". Ce qu’il faut faire, absolument.

Gomorra
Un film italien de Matteo Garonne
Avec Salvatore Abruzzese, Gianfelice Imparato, Maria Nazionale
Durée 2 h 15 mn

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