Les monologues voilés. Adelheid Roosen

Les monologues voilés Centre Wallonie-BruxellesCe spectacle nous fait entrer au cœur de l’intimité de femmes musulmanes : leur sexualité, leur rapport au corps, à cet endroit que les poètes appellent con ; mais aussi rapport à l’homme et à leurs pareilles.
Une approche de ces sujets et des façons de les vivre qui résultent bien souvent de l’éducation.
Absence de pudeur entre femmes ; "communautarisation" du corps de la jeune fille par le biais de la sauvegarde de son hymen ; hypocrisies et bricolages qui en découlent ; sacralisation de l’acte amoureux ; sensualité exacerbée ; violence de l’excision… C’est toute une culture que ces quatre formidables comédiennes livrent sur scène ; mais en laissant aussi la place à des cheminements singuliers, différents.

Les 12 monologues tendrement enchaînés troublent et dérangent, attendrissent et amusent. Mais surtout, ils ouvrent l’esprit, révoltent parfois et donnent toujours à réfléchir ; sur l’Autre, mais aussi sur soi-même. Fenêtre et miroir à la fois, ces Monologues issus de témoignages réels de femmes musulmanes agissent comme un courant d’air vif qui soulève audacieusement le voile. Impossible de rester indifférent(e).

Les monologues voilés
Textes : Adelheid Roosen
Mise en scène : Adelheid Roosen, assistée par Isabelle Wéry
Avec Jamila Drissi, Morgiane El Boubsi, Hoonaz Ghojallu
Musique et chants : Hassiba Halabi

CENTRE WALLONIE-BRUXELLES DE PARIS
46, rue Quincampoix – 75004 PARIS
Du mardi 23 au samedi 27 mars 2010 à 20 h 00
Durée 1 h 30
Réservations au 01 53 01 96 96 ou info@cwb.fr
Places 10 € ou 8 €

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Emma la clown et son orchestre

Emma et son orchestreEmma la clown, c’est une naïveté et un étonnement enfantins dont surgit la fantaisie la plus pure. Clown géniale, elle réunit maladresse désarmante et grotesque attachant en un talent comique irrésistible.
Après Le clown sous le divan en 2007, Emma revient cette saison au Théâtre du Rond-Point avec du nouveau dans sa valise : des chansons de son cru accompagnées de son "orchestre", à savoir un pianiste (également compositeur des musiques), un clarinettiste et un batteur – aussi agréables à écouter qu’à regarder.
Elle arrive sur scène affublée comme une girl-scout qui en a trop fait, jupe ringarde et mitée, godillots éventrés, chemise qui aplatit tout. Alternant sketches et chansons, elle convoque les animaux, dont un éléphant évidemment gros et gris, ou un chien qui finit en cornemuse – en fait plutôt l’inverse. Elle interpelle l’assistance (ce soir-là un Jean et une Martine ont dû montrer qu’ils suivaient, de leur siège et de bon gré) avec taquinerie et toujours beaucoup de gentillesse. Elle dit avoir grandi avec Georges Brassens, Jean Ferrat, Léo Ferré, Charles Trenet et Anne Sylvestre. Avec ses textes surréalistes, on la verrait aussi bien l’héritière de Boby Lapointe. Elle pousse son goût du déguisement jusqu’à interpréter une chanson médiévale de son invention en costume "d’époque historique" (quoique un peu revisité), mais finit par se mettre "à nu" sur la scène, ôtant son grimage et ses guenilles, faisant peu à peu apparaître une petite robe de soie rose sur un corps délicat et un joli minois aux yeux espiègles. Applaudissements très nourris… !

Emma la clown et son orchestre
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
2bis, avenue Franklin D.Roosevelt – 75 008 Paris
M°Franklin D.Roosevelt ou Champs-Élysées Clemenceau
Jusqu’au 27 février 2010
Du mardi au dimanche à 18 h 30, durée 1 h 15
Places de 10 € à 28 €
Spectacle réservé aux 12 ans et plus

De et avec Meriem Menant
Musiques Mauro Coceano
Mise en scène Kristin Hestad
Piano Mauro Coceano
Clarinettes Michel Aumont
Batterie en alternance Nicolas Courret et Gaël Desbois

Emma la clown et son orchestre seront le 6 avril 2010 au Festival SPRING 2010/ODC de l’Orne
Emma jouera également ses autres spectacles en 2010 :
dieu est-elle une particule ? du 23 mars au 2 avril au Théâtre Romain Rolland de Villejuif, le 8 avril à L’Archipel/Fouesnant, le 10 avril au Palais des Congrès/Loudéac, le 23 avril à l’Espace Soutine/Lèves
Emma la clown sous le divan le 20 avril au Prato/Lille, le 29 avril au Théâtre du Strapontin/Pont Scorff, le 4 mai à L’Aire Libre/St Jacques de la Lande, où on la verrra également dans Emma la clown en Afghanistan du 13 au 16 avril

Le site d’Emma la clown

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La Menzogna. Pippo Delbono

La menzogna, Pippo DelbonoAprès le bouleversant Questo buio feroce donné en 2008 au théâtre du Rond-Point, Pippo Delbono, habitué des lieux, revient avec La Menzogna (Le Mensonge), présenté au Festival d’Avignon en juillet dernier.

Dans ce très grand spectacle, il mêle histoire intime et critique féroce de la société italienne. D’autres peuvent s’y reconnaître.

Le point de départ est l’accident survenu dans l’usine sidérurgique Thyssen Krupp de Turin en décembre 2007, dans lequel ont péri sept ouvriers et qui a donné lieu à une mise en scène de la douleur des familles pour mieux dissimuler le scandale de la tragédie.
Pippo Delbono relate cet événement de sa voix sobre et suave, avant que ne soit projeté un film publicitaire pour la firme en question. La menzogna est en place : d’un côté, la cynique réalité, où l’humain, surtout s’il est pauvre et anonyme, a bien peu de valeur, de l’autre les fables en couleur dont le monde économique, politique et médiatique nous berce, avec les prêtres pour garants.
Quelques minutes plus loin, l’acteur et metteur en scène italien ajoute que son père est mort d’avoir trop travaillé, et demande pardon de n’avoir pas ressenti de douleur à son enterrement.

Se servant de la vidéo, du théâtre, de la danse, de très belles musiques, avec peu de mots mais magnifiquement choisis et dits, avec parfois des cris insupportables, avec des masques et des corps nus, Pippo Delbono déroule son propos d’une façon incroyablement singulière.
Il renvoie sans cesse le spectateur à son propre regard en s’asseyant dans la salle avec lui, ou, depuis la scène, en lui tendant un miroir, en le prenant en photo, en l’éclairant avec une lampe.
Pippo Delbono veut voir et faire voir ; avec sa rage, il montre l’hypocrisie et la manipulation et se dévoile lui-même sans complaisance, au figuré comme au sens propre.

Bobo, Pippo DelbonoMais ce que le spectateur voit aussi, c’est une troupe de comédiens extraordinaire, faite de tout ce que la société désigne comme marginaux, handicapés, clochards, malades du corps et de l’esprit. Pippo Delbonno puise sa force auprès d’eux, il le dit ; c’est criant. Et peu à peu, la douceur et une étrange beauté viennent combattre la douleur de la mort et de la culpabilité, et la violence du mensonge.

La Menzogna (Le Mensonge)
De et avec Pippo Delbono
Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, Paris-8ème
Jusqu’au 6 février 2010
Du mardi au samedi à 20 h 30 et le dimanche à 15 h
Places de 10 € à 33 €

Distribution Dolly Albertin, Gianluca Ballaré, Raffaella Banchelli, Bobò , Julia Morawietz, Pippo Delbono, Lucia della Ferrera, Ilaria Distante, Claudio Gasparotto, Gustavo Giacosa, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Mr. Puma, Pepe Robledo, Antonella de Sarno, Grazia Spinella

A lire, entre autres : Récits de juin publié chez Actes Sud, et son dernier livre Regards (textes et photographies de Pippo Delbono, Actes Sud)

Photos © Brigitte Enguerand

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Abraham, Michel Jonasz : prolongations

Abraham, Michel Jonasz, Gaîté MontparnasseFace à son succès, Abraham, la très belle pièce écrite, mise en scène et interprétée par Michel Jonasz (lire le billet du 13 septembre 2009) est reprise en ce mois de janvier 2010.

Vous pouvez désormais aller la voir ou la revoir les dimanches à 15 h et les lundis à 20 h au théâtre de la Gaîté Montparnasse.

Infos pratiques :
Théâtre de la Gaîté Montparnasse
26 rue de la Gaîté 75014 Paris
Métro Gaîté ou Edgar Quinet
Réservations au 01 43 20 60 56
Places de 24 € à 42 €

Vous pouvez aussi acheter le livre-CD contenant l’intégralité du texte de la pièce et les musiques tziganes du spectacle sur le site officiel de Michel Jonasz :

http://www.micheljonasz.fr

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Coup de griff'. Comédie Bastille

Coup de griff à la Comédie BastilleLe spectacle fait rire, indéniablement, mais une fois le rideau tombé, on se trouve un peu glacé.
C’est la thèse de la pièce qui donne à réfléchir. Voici un homme en plein divorce, donc gentiment énervé, qui voit débarquer sur son pallier un représentant de la grande firme Griff‘ prêt à lui vendre une assurance, un ascenseur, voire deux bières fraîches livrées dans les deux minutes. A ce stade, notre homme est juste un peu plus agacé. Mais quand le super VRP tous produits lui propose d’acquérir une femme sur catalogue, il se fout carrément en rogne, révolté comme on l’est dans la salle…
Sur le ton de l’humour, de la redoutable toile que les entreprises tissent autour du client potentiel afin de mieux connaître son profil et lui proposer des offres auxquelles il sera certainement prêt à succomber, Coup de griff‘ nous en dit long. Sur l’approche utilitariste, mercantile de l’homme (enfin, ici, de la femme…), la pièce met aussi une belle couche. L’humain vu comme un investissement comme les autres, cela s’est vu, cela se voit encore. Mais pousser la logique de la rentabilité jusque dans les rapports amoureux, cela choque évidemment ici et aujourd’hui. La victime de cette société de consommation poussée à son extrême franchira-t-elle ce pas ?
Il faut aller voir Coup de griff‘ pour le savoir, et surtout passer une soirée à rire malgré soi, en compagnie de Momoko, Christian Lucas et surtout Dominique Bastien, à qui le rôle de VRP infatigable va comme un gant, pour le plus grand bonheur du public.

Coup de Griff
De Momoko et Bernard Fructus
Avec Momoko, Dominique Bastien et Christian Lucas
Jusqu’au 24 janvier 2010
Du mar. au sam. à 19 h 30, le dim. à 17 h 30
Comédie Bastille
5 rue Nicolas Appert – Paris 11°
M° Richard Lenoir
Réservations au 01 48 07 52 07
Places 24 € (10 € pour les moins de 26 ans du mardi au vendredi)

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James Thierrée. Raoul

Théâtre de la Ville, Raoul, James ThierréeJames Thierrée a impressionné et conquis le public français avec ses précédents spectacles, montrés depuis dix ans dans le monde entier et depuis 2003 chaque année à Paris et en province : "La Symphonie du Hanneton",  »La Veillée des Abysses » et  »Au revoir Parapluie ».

Trois spectacles où on le voyait avec sa troupe, la Compagnie du Hanneton (surnom que ses parents Jean-Baptiste et Victoria Thierrée lui ont donné quand il était petit) et inspirés du monde du cirque (de ce point de vue aussi, ses parents ne sont pas loin, qui donnent à nouveau à Paris leur Cirque Invisible).

Avec Raoul, joué à guichets fermés jusqu’au 5 janvier au Théâtre de la Ville (mais la tournée continue), James Thierrée, trente-cinq ans, apparaît seul en scène, interprétant un homme reclus dans sa hutte faite de mâts métalliques. Toutes sortes d’aventures lui arrivent, à commencer par l’arrivée d’un enquiquineur qui lui ressemble étrangement : lui-même…

Bien que James Thierrée soit seul ou presque, le spectacle ne tire pas vers la performance d’un one-man show, ce qu’il pourrait pourtant faire avec facilité – et succès. Au contraire on retrouve dans Raoul tout ce qu’on a aimé dans ses précédentes créations : le sens burlesque incroyable du comédien-clown (il faut arrêter de dire qu’on croirait voir son grand-père Charlie Chaplin, mais c’est tellement vrai !), ses talents d’acrobate et, nouvelle corde à son arc, de danseur.
Sont toujours présents aussi les décors faits de grands voiles blancs, de mâts, d’objets anciens, vaisselle métallique, velours usé, tapis, lustre ; la musique (ici souvent romantique) qui soudain emporte tout ; et surtout le bestiaire fantastique de Victoria Chaplin, monstre marin affectueux, insectes étranges et fascinants, éléphante blanche comme la ouate. On est toujours, avec ces inventions, dans l’ambiguïté de bestioles effrayantes et belles à la fois. James Thierrée danse avec elles dans des ondulations très tendres. Avec ses deux mains, il évoque avec une grâce inouïe la danse d’un couple. Puis il se lance, s’envole, tourne, revient, regarde les spectateurs, les éclaire, les effleure, pour les emporter une fois encore, et toujours sans un mot, dans un souffle poétique qui est le génie des spectacles de James Thierrée.

Raoul
Mise en scène, décor et interprétation : James Thierrée
Costumes, bestiaire : Victoria Thierrée
Son : Thomas Delot
Lumières : Jérôme Sabre
Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet Paris 4°
Jusqu’au 5 janvier 2010
Durée 1 h 20

Suite de la tournée : Chalon-sur-Saône du 18 au 20 mai 2010, Nice du 3 au 9 juin 2010

Photo © Richard Houghton

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Une maison de poupée. Théâtre de la Colline

Ibsen, Une maison de Poupée, La Colline

Depuis huit ans, Nora vit avec son époux Helmer un amour douillet et partagé.
A la veille de Noël, la nomination d’Helmer à la direction d’une banque lui offre des perspectives d’aisance matérielle qui ne font qu’accroître son bonheur. Telle une enfant, elle prépare les fêtes en chantonnant, croque un macaron et obtient en câlinant une obole supplémentaire de son mari. Apparaît alors Mme Linde, une amie d’enfance qui jusqu’à présent a eu moins de chance que Nora. Dans un moment de confidence, Nora raconte à Mme Linde qu’au débute de son mariage, elle a dû emprunter beaucoup d’argent pour sauver la vie de son mari. On apprend au fil de la pièce qu’elle a commis un faux pour obtenir ce prêt.

"Est-ce inconsidéré de sauver la vie de son mari ?" demande-t-elle. Le romanesque de Nora vole en éclats en se heurtant à la réalité : celle de la loi qui condamne sans appel le faux en écriture. Une loi totalement étrangère au monde dans lequel Nora s’est construite, mais parfaitement intégrée par son époux, qui craint plus que tout une atteinte à son honneur. Deux systèmes se fracassent alors, celui de l’épouse qui croit en l’amour capable de tout couvrir, en l’héroïsme sans limite de son homme, bref qui vit dans le rêve, et celui d’Helmer, calqué sur la société, avec ses règles, ses compromis, ses comptes à rendre, son prosaïsme.
Face au bouleversement total de ce qui a fondé sa vie de jeune fille puis de jeune femme, Nora tirera une conclusion radicale, celle de la nécessité absolue de tout réexaminer seule, de commencer enfin à exister par elle-même.

Ibsen a écrit cette pièce magnifique en 1879 alors qu’il avait pris ses distances avec la Norvège depuis une quinzaine d’années. La dénonciation de la condition de la femme dans la société traditionnelle du XIXème – même si le texte ne peut se réduire à cet aspect – est d’une force incroyable et continue, au XXIème siècle, à propager longuement ses ondes.
Stéphane Braunschweig a pris le parti d’une mise en scène contemporaine, dans un respect scrupuleux du texte. On s’habitue très vite à entendre résonner la belle langue d’Ibsen dans un blanc appartement d’aujourd’hui, dite par des comédiens en jeans et costumes actuels. Cela est même frais, lumineux et pimpant, tout à fait agréable.
Chloé Réjon fait une Nora excellente, très à l’aise dans tous les registres de son rôle, des plus gaies et légères au début jusqu’à la profondeur et la gravité finales, en passant par les moments de danse folle et d’oubli de soi. Le Docteur Rank, sans âge, incarne l’éternité de son rôle – celui de la mort – à la perfection. Quant à Eric Caruso dans celui d’Helmer, l’impression de relative fadeur des premières répliques s’estompe bien vite, pour convaincre tout à fait dans ce rôle d’homme si respectueux des modèles et de la tradition.
Le nouveau directeur du théâtre national de la Colline, successeur d’Alain Françon, nous offre avec cette Maison de poupée un très bon spectacle, parfaitement tenu, où la modernité n’est pas prétexte à artifice, mais au contraire valorise la beauté de ce texte indémodable.

Une maison de poupée
Une pièce de Henrik Ibsen
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
avec Bénédicte Cerutti, Éric Caruso, Philippe Girard, Annie Mercier,
Thierry Paret, Chloé Réjon
Théâtre de la Colline
15, rue Malte Brun – Paris XX°, M° Gambetta
Jusqu’au 16 janvier 2010
Mardi à 19h30, jeudi à 20h30, samedi à 20h30 et dimanche à 19h

Stéphane Braunschweig met également en scène, du même auteur, Rosmersholm, présenté en alternance avec Une maison de poupée. Les samedis et dimanches, les deux spectacles d’Ibsen sont proposés en intégrale

Les textes des deux pièces sont publiés aux éditions Actes Sud-Papiers (2009, 16 €)

Image : © Benoite FANTON/WikiSpectacle

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Juste la fin du monde à la Comédie Française

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce au Français
Jean-Luc Lagarce a écrit Juste la fin du monde en 1990 alors qu’il se savait atteint du sida, auquel il allait succomber quelques années plus tard, à l’âge de 38 ans. Ce n’est qu’après sa disparition que la pièce a attiré metteurs en scène et public, au point d’entrer en 2008 au répertoire de la Comédie-Française, où elle est reprise cette saison.

Ecrite dans une langue simple et en même temps très fine, mêlant prosaïsme et rythme poétique, le texte ne raconte pas une histoire mais invente une situation et les dialogues qui en découlent : Louis, 34 ans, se sachant condamné, revient dans la maison familiale après des années d’absence pour annoncer sa mort prochaine. Tant de rancœurs l’accueillent à son arrivée qu’il repartira sans avoir réussi à dire la raison de son retour.

D’emblée, la mise en scène de Michel Raskine met en évidence l’inconfort de la position de Louis : alors qu’il est debout sur la scène, sa mère, sa sœur, son frère et sa belle-sœur sont assis sur une estrade. Scène de tribunal à la vérité, dont Louis demeure le seul accusé. Tour à tour, au fil de longs monologues aux accents de réquisitoires, chacun exprime sa souffrance, lui faisant reproche de son abandon.
Mais derrière cette absence, accusée sous un débordement de mots, c’est de silence dont il s’agit. Le silence de celui qui est parti sans livrer d’explication ; le même, qui, devenu écrivain, se contente d’envoyer de temps en temps quelques lignes laconiques et banales sur une carte postale, et qui, enfin revenu, continue de se taire, un léger sourire sur les lèvres, "replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne saurais pas même imaginer le début du début", comme lui reproche son frère cadet.
La famille s’accommode mal du silence ; l’extrême sensibilité des liens familiaux fait jaillir les mots comme ils viennent, mais dans une poignante recherche du mot juste.

Sur la complexité des rapports entre frères, entre sœur et frères et les douloureux positionnements dans le groupe familial, Jean-Luc Lagarce est d’une précision et d’une force extraordinaires. L’acuité – la cruauté, même – de son regard met en lumière les besoins d’amour, de reconnaissance, et en même temps de singularité et de liberté de chacun des membre de cette communauté.
Impressionnants, les comédiens du Français choisis pour la pièce ont fait leurs les personnages et la langue de Lagarce ; leur jeu est si subtil que l’on se demande parfois à quoi il tient. Ils évoluent à l’avant du rideau de scène, dans un espace imprécis, restituant merveilleusement l’universalité de cette pièce bouleversante.

Juste la fin du monde
Une pièce de Jean-Luc Lagarce
Mise en scène par Michel Raskine
Avec Catherine Ferran, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre, Julie Sicard
et Pierre Louis-Calixte
Comédie-Française
Salle Richelieu, place Colette, Paris-1er, M°Palais-Royal
A 20 h 30 ou 14 heures, en alternance jusqu’au 3 janvier 2010
Durée 2 h 05 sans entracte
De 5 € à 37 €

Image : © Pacome POIRIER/Wikispectacle

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Le Voyage de Victor. Théâtre de la Madeleine

Le voyage de Victor de Nicolas Bedos, avec Guy Bedos, la MadeleineOn est un peu triste parce qu’on a beaucoup de respect et de tendresse pour Guy Bedos et qu’on a aucune raison d’en vouloir à son fils Nicolas.
Le spectacle a la politesse de la brièveté, c’est bien sa seule qualité : aucune raison de se déplacer jusqu’au théâtre de la Madeleine pour faire ce voyage avec Bedos, écrit par le fils et joué par le père.

Le pitch ? Une esquisse : le vieux Victor (Guy Bedos) semble avoir perdu la mémoire à la suite d’un accident de voiture dans lequel son fils a trouvé la mort. Une « dame de compagnie » (Macha Méril) chargée de l’aider dans sa convalescence essaie de lui faire retrouver le fil de ses souvenirs. Petit à petit, se dévoile un lien passé entre les deux protagonistes.

Deux comédiens célèbres en tête à tête sur une scène bien située dans Paris, avec un lit ou une table voire les deux pour tout décor, la recette gagnante de certains théâtres privés commence à être bien connue. Mais s’ils ne sont pas au service d’un texte consistant, c’est l’ennui assuré. Ici, les bâillements viennent très vite. Les thèmes sont survolés à une hauteur telle que l’on en distingue aucun ; les jeux d’acteur sont si conventionnels que l’on peut fermer les yeux sans rien louper de la pièce. L’ensemble est vieux avant d’avoir été, et dénué du moindre intérêt.

Le voyage de Victor
Une pièce écrite et mise en scène par Nicolas Bedos
Avec Guy Bedos et Macha Méril
Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène – Paris 8° (Tel. 01 42 65 07 09)
M° Madeleine
Jusqu’au 30 janvier 2010
Les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 19 h
Le samedi à 16 h et le dimanche à 18 h
Durée 1 h
Places 32 €

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Ordet au théâtre du Rond-Point

Pascal Greggory dans Ordet de MunkA juger les œuvres qui parviennent jusqu’à nous, les Nordiques ne sont pas ce qu’on appelle des gais-lurons. Badinages enjouées et chroniques légères, passez votre chemin, Ordet (dont la traduction française est Parole), la pièce la plus célèbre de Kaj Munk, pasteur, poète et dramaturge danois, écrite en 1925 et adaptée au cinéma en 1955 par Dreyer ne déroge pas à la règle.

Dans une campagne reculée du Danemark, deux familles s’écharpent pour n’appartenir point au même courant religieux. Cette opposition au sein du Temple protestant est poussée à un degré tel que les deux pères s’opposent à l’union de leur progéniture éperdument énamourée, et qui plus de milieux sociaux-économiques fort distincts.
C’est grave, c’est dramatique, mais il faut avouer qu’au départ on a peu à faire de cette histoire de chapelle égrenée avec une solide lenteur.
Et pourtant ! Une force se dégage du spectacle, qui nous happe et nous fait suivre le destin de ces familles jusqu’au bout.

Il y a tout d’abord la folie de ces personnages, galerie de portraits magnifiques, avec le fils Johannes (interprétation bouleversante de Xavier Gallais) qui a perdu la raison à la mort de sa jeune épouse et depuis se prend pour Jésus, Anders le jeune prétendant à la fois embrasé par son amour et désarmé par la rigidité des pères, et Mikkel le fils aîné qui, en s’avérant agnostique a déçu son père. Père extraordinairement brossé, ambigü, aussi détestable par ses principes inflexibles, sa vanité et la façon dont il a traité sa défunte épouse (à savoir en utile ménagère) qu’il est émouvant dans l’amour constant qu’il porte à ses fils et dans son attachement à sa bru, femme merveilleuse de simplicité, de générosité et de dialogue.

Du côté de l’éventuelle promise, la cellule familiale massée sous l’autorité du père, répandant les "bienfaits" de la Mission avec une ouverture d’esprit toute relative ne manque pas de charme non plus. Car au delà de celles du poids des croyances et du rapport à la mort, Munk pose ici de douloureuses questions sur la place des femmes, la famille, l’orgueil des lignées, la puissance des patriarches et l’existence des fils.

Arthur Nauzyciel sait guider ses comédiens, tous remarquables, dans cette pièce difficile, à commencer par Pascal Greggory dans le rôle de Borgen père et Jean-Marie Winling dans celui de Peter Skaedder. La nouvelle traduction – établie avec Marie Darrieussecq – introduisant des mots triviaux d’aujourd’hui passe comme une lettre à la poste, de même qu’est judicieux le chois de Benoît Giros pour interpréter le médecin, des options qui insufflent certains moments d’humour et même un gramme de légèreté au spectacle.
C’est heureux, et aide à supporter jusqu’au bout la grande image de fond qui sert de décor, d’une laideur rare, mais aussi le dénouement de la pièce, que l’on n’ose qualifier de ridicule mais que l’on peut trouver tel, couronnant un spectacle qui s’étire bien longuement vers sa fin.

Ordet (Parole)
Une pièce de de Kaj Munk
Traduite et adaptée par Marie Darrieussecq et Arthur Nauzyciel
Mise en scène par Arthur Nauzyciel
Avec Pierre Baux, Xavier Gallais, Benoit Giros, Pascal Greggory, Frédéric Pierrot, Laure Roldan de Montaud, Marc Toupence, Christine Vézinet, Catherine Vuillez, Jean-Marie Winling et les chanteurs de l’Ensemble Organum

Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
Jusqu’au 10 octobre 2009, à 20 h 30, durée 2 h 40
Places de 10 € à 33 €

La pièce a été créée en 2008 au Festival d’Avignon. Elle est donnée cette saison au Rond-Point dans le cadre du Festival d’Automne, qui présentera une autre mise en scène d’Arthur Nauzyciel avec Julius Caesar de Shakesperare du 21 au 24 octobre à la Maison des Arts de Créteil.
A noter également que le cinéma Le Balzac programme le film de Carl Dreyer jusqu’au 10 octobre, les mardis et samedis à 11 h 30, au tarif préférentiel de 5 € sur présentation du billet du spectacle ou de la carte du Rond-Point.

Image : Pascal Greggory © Brigitte Enguérand

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