L’exposition coloniale, Erik Orsenna.

Faut-il être passionné par l’histoire de l’industrie du caoutchouc pour prendre plaisir à la lecture du Goncourt 1988 ? Peut-être. En tout cas, si ce n’est pas le cas, il est bien difficile de suivre avec intérêt les péripéties de la vie de Gabriel Orsenna, né dans les années 80 du 19ème siècle et que nous accompagnons jusqu’aux années 50 du 20ème.

La thématique permet à notre héros de connaître le Brésil, région d’origine de l’hévéa, puis Clermont-Ferrand, capitale du pneumatique, et divers lieux de compétition automobile ou cycliste dans lesquels doivent être mises à l’épreuve les innovations technologiques caoutchouteuses.

La vie intime de Gabriel est placée, on ne s’en étonnera pas, sous le signe du rebondissement : son père rebondit de femme en femme, tandis que lui-même n’hésite pas entre Clara et Ann, les deux sœurs avec lesquelles il partage sa vie au gré de leurs intermittentes rencontres.

Ce très long roman semble fait de fiches de préparation de concours aux Grandes Ecoles, à condition toutefois que ces derniers concernent la petite histoire: par exemple celle de la course cycliste « circuit des champs de bataille » de 1919, ou celle de Freud vivant lui aussi entre deux sœurs, ou celle de l’opposition surréaliste à l’exposition coloniale de 1931, ou encore sur les Six Jours du Vel d’hiv à Paris, sur les soins du corps féminin dans les années 20… Nous sommes saturés d’informations dont nous ne savons que faire.

Si nous lisons « il faut faire de sa vie une exposition universelle », nous nous demandons si nous avons ici exposée la bonne méthode. Le statut du texte est lui-même déroutant : la plus grande partie est écrite à la troisième personne, mais Gabriel intervient fréquemment en tant que « je ». De plus, on croit comprendre qu’il s’agit d’un manuscrit lu par les deux sœurs, puisqu’il leur arrive de laisser des notes en bas de page, ou même, bien curieusement, d’intervenir au sein du texte.

Mais c’est sans doute la plasticité des personnages qui nous empêche d’adhérer vraiment au roman, car ils n’ont pas assez de solidité, de force, pour tenir la distance des près de 700 pages. Le style lui-même, léger, sous le mode dominant de la plaisanterie, n’aide pas à s’arrêter vraiment sur une histoire qui reste caoutchouteuse de bout en bout.

Andreossi

L’exposition coloniale, Erik Orsenna

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Hartung et les peintres lyriques

Jean-Yves nous ramène de Bretagne une belle idée d’excursion en cette fin d’hiver : l’exposition consacrée à Hartung et d’autres peintres lyriques à Landerneau. Merci Jean-Yves de nous faire partager ce coup de coeur !

Mag

Le Fonds pour la Culture Hélène et Edouard Leclerc qui avait organisé, à Landerneau, une très belle rétrospective Chagall en 2016, récidive dans la qualité en proposant, cet hiver et jusqu’au 17 avril, une exposition consacrée à Hans Hartung et à quelques autres peintres lyriques.

L’accrochage chronologique des œuvres de l’artiste commence par ses tableaux de jeunesse, dans les années 1930, quand il s’engage délibérément et sans retour vers la non-figuration. S’ils n’ont pas la maîtrise des œuvres ultérieures, ces tableaux, souvent moins exposés que le reste de la production d’Hartung, demeurent intéressants, notamment quand ils illustrent la technique du report adoptée alors par le peintre, consistant à reproduire exactement sur tableaux les dessins sur papier.

L’exposition se poursuit en survolant la production d’Hartung dans l’immédiat après-guerre pour s’attarder sur les réalisations de la fin des années 1950 et des années 1960 lorsque la technique du peintre évolue : plus sûr de son geste, l’artiste explore une nouvelle méthode de mise à distance et n’hésite pas à employer divers instruments inattendus (pistolets de carrossier, lames ou râteaux). La recherche constante de nouvelles méthodes le conduira plus tard à employer un spray pour pulvériser de la peinture acrylique sur la toile, voire à frapper celle-ci au moyen de balais de genêt…

Les accrochages rendent très bien compte de ces évolutions, les griffures et zébrures laissant progressivement la place aux masses sombres, puis à un renouveau jubilatoire de la gamme chromatique.

Hartung continuera à peindre quasiment jusqu’à la fin de sa vie, à 85 ans, dans une approche toujours très physique de son art… C’est dans son œuvre finale qu’il parvient à la plus grande amplification de son geste, dans des tableaux de grande taille.

La visite est ponctuée d’îlots ouverts à d’autres peintres lyriques. Le premier expose des œuvres de quelques représentants de la Nouvelle Ecole de Paris (Simon Hantaï, dont on retrouve avec plaisir deux tableaux, Gérard Schneider, Georges Mathieu) et met leurs contributions en résonance avec celle d’Hartung… Le second, occupé essentiellement par des peintres américains (Cy Twombly, Willem de Kooning, Helen Frankenthaler), annexe aussi Jean Degottex, dont on apprécie le très beau « L’adret ». Le dernier, enfin, permet de découvrir certains « héritiers » d’Hartung (Jaffe, Traquandi, Polke…), même si la filiation ne saute pas toujours aux yeux du néophyte.

L’exposition, la première de cette importance consacrée en France au peintre depuis 2008, souligne donc la grande diversité de la production d’Hartung et la hauteur de son influence. Elle permet de deviner comment, dans sa volonté d’exploration, la démarche du peintre reste marquée par une grande rigueur, davantage peut-être que par l’effusion qui s’attache souvent au lyrisme. Elle donne enfin à retrouver quelques-uns des principaux acteurs de ce mouvement, l’abstraction lyrique, qui constitue l’une des étapes majeures de la peinture au cours de la seconde partie du 20ème siècle.

Jean-Yves

Hartung et les peintres lyriques

Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la Culture

Les capucins – 29800 LANDERNEAU

Jusqu’au 17 avril 2017

 

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Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine

Gauguin, Eh quoi, tu es jalouse ? (1892)
Aha oé feii ? (Eh quoi, tu es jalouse ?), Paul Gauguin, Tahiti, Papeete, été 1892. / Musée Pouchkine, Moscou

Jean-Yves est allé admirer la collection Chtchoukine à la Fondation Vuitton à Paris. Son coup de cœur est tout à fait partagé : les Cézanne à eux seuls valent le détour! Mag

S’il y a un événement qu’il ne faut pas manquer aujourd’hui, c’est bien l’exposition Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton. Cette exposition réunit, en effet, 130 œuvres faisant partie de la collection que le riche industriel russe avait constituée dans son palais de Moscou entre 1898 et 1914. Après avoir été nationalisée en 1918, la collection fit l’objet d’une partition entre le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, d’une part, et le musée Pouchkine à Moscou, d’autre part. Après une longue mise à l’index, certains tableaux refirent leur apparition vers la fin des années 1950, quelques-uns d’entre eux étant même autorisés à être présentés à l’étranger. Mais c’est la première fois qu’autant d’œuvres majeures voyagent en si grand nombre et c’est en cela que l’événement est exceptionnel.

L’exposition est organisée en différentes séquences, chacune dédiée à un thème particulier. Dès la première galerie, le ton est donné. A l’enseigne des « peintres et le collectionneur », on peut d’emblée admirer des autoportraits de Cézanne et Gauguin, le portrait de Benet Soler par Picasso, dans sa période bleue, un Van Gogh et le superbe « Homme à la pipe »  de Cézanne.

Se succèdent ensuite des salles aux accrochages les plus admirables. « Le déjeuner sur l’herbe » (Monet) figure avec deux Pissarro, un Sisley et un Signac dans l’ensemble « Paysages Impressions ». La salle suivante (« Paysages constructions ») est, selon nous, l’une des plus belles, puisqu’elle propose deux tableaux de Cézanne (dont « La Montagne Sainte-Victoire vue des Laures », annonciatrice du cubisme et de l’art abstrait) et un mur cubiste composé de trois Picasso, d’un Braque et d’un Derain.

Femme à l’éventail (Après le bal), Pablo Picasso, printemps-été 1908. / © Succession Picasso 2016. Crédit photo : Musée d’Etat de l’Ermitage,Saint-Pétersbourg, 2016
Femme à l’éventail (Après le bal), Pablo Picasso, printemps-été 1908. / © Succession Picasso 2016. Crédit photo : Musée d’Etat de l’Ermitage,Saint-Pétersbourg, 2016

La visite se poursuit dans un ensemble constitué exclusivement d’œuvres de Gauguin, qui se prolonge par une série de « Portraits de la peinture » faisant l’état des lieux des inventions plastiques qui bouleversent alors l’art contemporain (Degas, Renoir, Toulouse-Lautrec, Cézanne, Picasso, Matisse…).

Le « Salon rose » est un hommage à Matisse, dont le collectionneur a acquis 37 toiles, avec qui il dialogua et qui le guida dans ses choix. Si les emblématiques « La danse » et « La musique » ne sont pas présentes dans l’exposition, on peut néanmoins voir « La desserte – harmonie en rouge », commandée par l’industriel en tons bleus, mais que le peintre réalisera, selon sa propre volonté, dans un rouge explosif.

Après avoir traversé les salles consacrées aux « Natures mortes » et aux « Totems et tabous », on arrive à la Cellule Picasso : Chtchoukine avait décidé de consacrer une salle entière de son palais à l’œuvre du peintre, malgré les fortes réticences que celle-ci soulevait alors.

La visite se termine par trois salles où est mise en exergue l’influence que la collection Chtchoukine exerça sur la peinture russe avant-gardiste de l’époque (Malevitch, Klioune, Tatline, Rozanova…). A la fois collectionneur au goût très sûr, mécène, amateur (il ne revendait pas les œuvres acquises), Chtchoukine souhaitait, en effet, donner une large expansion aux mouvements artistiques qu’il défendait et il n’avait pas hésité, à cet effet, à rendre son palais accessible au public dès 2008.

L’exposition est donc aussi un hommage à Serguei Chtchoukine, dont la vie fut traversée par des circonstances familiales tragiques et qui trouva peut-être dans sa collection une échappatoire à la douleur. On retiendra, enfin, qu’après avoir fui la Russie en 1918, ce grand visionnaire s’exila en France où il est mort en 1936 sans avoir revu sa collection.

Jean-Yves

Fondation Louis Vuitton

Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine

Entrée 16 euros (tarifs réduits 5 et 10 euros)

L’exposition est prolongée jusqu’au 5 mars 2017

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Admirable Frédéric Bazille au Musée d’Orsay

Frédéric Bazille, Réunion de famille dit aussi Portraits de famille (1867) H. 152 ; L. 230, Paris, musée d'Orsay, acquis avec la participation de Marc Bazille, frère de l'artiste, 1905© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
Frédéric Bazille, Réunion de famille dit aussi Portraits de famille (1867) H. 152 ; L. 230, Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Pour mettre en valeur un artiste insuffisamment (re)connu, rien de tel que de mettre en perspective ses œuvres avec celles de ses contemporains que la postérité a glorifiés. Telle est la démarche – fort convaincante – adoptée par le Musée d’Orsay pour cette première exposition consacrée par un musée national français au peintre Frédéric Bazille (1841-1870).

Fils aîné d’une famille de la grande bourgeoisie protestante montpelliéraine, Frédéric Bazille était promis à la médecine. Mais, sitôt « monté » à Paris pour y poursuivre ses études, il s’inscrit à l’atelier de Charles Gleyre et décide de changer radicalement de destinée pour s’adonner à l’une de ses passions, la peinture – l’autre étant la musique.

Frédéric Bazille, La robe rose (1864) H. 147 ; L. 110 cm, Paris © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Frédéric Bazille, La robe rose (1864) H. 147 ; L. 110 cm, Paris © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

D’emblée, il côtoie la génération de Monet, Renoir, Sisley et s’élance sur la voie de la modernité. Avec ses amis, et suivant le mouvement de Monet (une fréquentation que l’exposition restitue), il prend le chemin de la peinture sur le motif à Fontainebleau, en Normandie, à Chailly… C’est toutefois lorsque, l’été, il retrouve son midi natal, que la singularité de son talent se révèle. Voyez ses vues d’Aigues-Morte, dont il restitue l’atmosphère si particulière, baignée autant de soleil que d’immobilité et d’oubli. Admirez la fine lumière de sa Réunion de famille, les traits réalistes et la présence de ses proches. Succombez à l’une des plus belles toiles de l’exposition, La robe rose, où Bazille a su capter l’extrême douceur du soir d’une journée de fin d’été, qui éclaire encore les pierres blanches du hameau, laissant le personnage féminin assise dans l’ombre les contempler.

Frédéric Bazille, Les Remparts d'Aigues-Mortes, du côté du couchant (1867) H. 60 ; L. 100 cm, Washington, National Gallery of Art © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images
Frédéric Bazille, Les Remparts d’Aigues-Mortes, du côté du couchant (1867) H. 60 ; L. 100 cm, Washington, National Gallery of Art © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images

Forts admirables aussi sont les tableaux montrant ses ateliers, notamment celui de la rue Condamine, que l’artiste, comme ses autres logements, partage généreusement avec ses amis peintres. Lorsque l’argent manque pour payer les modèles, ils posent les uns pour les autres. Ainsi Bazille peint Renoir et inversement. Il peint des Baigneurs avant Cézanne et à dix mille lieux des nus académiques de son compatriote Cabanel. Mais aussi une Toilette féminine façon Manet ou Delacroix. Il peint des natures mortes très réussies – c’est avec des Poissons qu’il est admis pour la première fois au Salon d’automne en 1866, mais on aime bien aussi son Héron. Citons encore une Jeune femme aux pivoines en deux versions, toutes deux magnifiques, une mélancolique Tireuse de cartes, un Autoportait à la palette, à la fois fort bien ajusté et débordant de tempérament.

Frédéric Bazille, Jeune femme aux pivoines (1870) H. 60 ; L. 75 cm, Washington, National Gallery of Art © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images
Frédéric Bazille, Jeune femme aux pivoines (1870) H. 60 ; L. 75 cm, Washington, National Gallery of Art © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images

Le tout en sept ans de carrière seulement. Il est en effet emporté sur le front de la Guerre de 1870 à quelques jours de son 29ème anniversaire. Il a eu le temps de peindre une petite soixantaine de tableaux.

Le Musée d’Orsay en montre 47 et une série de dessins, ainsi que de nombreuses toiles de ses contemporains tels Courbet, Monet, Corot, Cézanne, Sisley, Renoir, Fantin-Latour…

L’exposition est le fruit d’un judicieux partenariat entre les trois plus importantes collections mondiales d’œuvres de Frédéric Bazille, le Musée d’Orsay, la National Gallery or Art de Washington (où elle fera sa dernière étape à partir d’avril 2017) et bien sûr le Musée Fabre à Montpellier, où elle a été inaugurée et qui compte le plus grand nombre d’œuvres de cet artiste dont on découvre l’étendue du talent avec emballement.

Frédéric Bazille, La jeunesse de l’impressionnisme

Musée d’Orsay – Paris 7°

TLJ sauf le lundi, de 9h30 à 18h, le jeudi jsq 21h45

Entrée 12 euros (TR 9 euros), gratuit pour les – de 26 ans de l’UE

Jusqu’au 5 mars 2017

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Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

modigliani_femme_assise_robe_bleueNotre ami Jean-Yves s’est rendu au LaM dans le Nord pour visiter la rétrospective consacrée à Modigliani… Ce qu’il en dit nous fait pâlir d’envie ! Merci Jean-Yves de partager ainsi ce magnifique moment de peinture !

Mag

Le LaM à Villeneuve d’Ascq, qui détient une collection exceptionnelle de peintures, sculptures et dessins de Modigliani propose une très belle traversée de l’œuvre de l’artiste, né en Italie en 1884 et arrivé à Paris en 1906.

modigliani_lamCette présentation est construite en trois parties, à la fois thématiques et chronologiques. La première s’attache à démontrer la diversité des sources d’inspiration de Modigliani : il est fou d’art égyptien qu’il consulte régulièrement au Louvre, mais sa sensibilité s’imprègne aussi des références khmères, cycladiques et africaines. S’essayant à la sculpture malgré un manque de formation dans cette discipline, il s’entoure des conseils de Brancusi qu’il a rencontré à Montparnasse, mais il doit abandonner cet art pour des raisons de santé et financières (il ne parvient pas à trouver de mécène). De cette époque, on admire une très belle « Tête de femme », la seule sculpture en marbre de l’artiste, mais aussi des dessins et une superbe « Cariatide » sur fond bleu, dessinée au crayon et lavis d’encre.

tete_rouge_amedeo_modiglianiLa deuxième partie met en évidence l’importance du portrait d’artiste dans sa production. Dès 1915-1916, Modigliani cherche à définir son style, immédiatement reconnaissable : figures de forme ovoïde, yeux le plus souvent sans pupilles et de hauteurs distinctes, nez aux arrêtes tranchées, cous en pur cylindre, fonds minimaux et abstraits… Côtoyant les peintres de la future Ecole de Paris (Moïse Kisling, Chaïm Soutine, Pinchus Kremègne), Modigliani dresse leur portrait dans des tableaux et croque aussi (au crayon ou au graphite) Max Jacob, Pablo Picasso (qui le sous-estimait) et Jean Cocteau qui, n’aimant pas la représentation faite de lui par le peintre italien, s’en séparera rapidement. Toutes ces œuvres sont intéressantes, mais on se permettra une préférence pour la « Tête rouge » qui synthétise à la fois l’art africain, le cubisme, le fauvisme et l’art de Cézanne. L’exposition ne manque pas de rappeler que ce dernier est la référence absolue de Modigliani.

modigliani_jeune_filleLa fin de l’exposition est consacrée aux dernières années de l’artiste. Soutenu par le marchand d’art Léopold Zborowski, dont il dressera deux beaux portraits, accrochés aux murs du musée, Modigliani parvient à une peinture plus sereine. Les couleurs s’éclaircissent, la ligne des corps s’arrondit et devient plus voluptueuse, comme en témoigne le « Nu assis à la chemise », dont le dessin raffiné et la touche délicate restituent toute la fragilité de la femme. La présentation de ses nus lors d’une exposition de décembre 1917 fera scandale. Mais la préoccupation première du peintre reste le visage. Modigliani continue à représenter ses amis artistes et ses proches, mais il donne aussi une place plus importante aux anonymes. Il ne peindra des paysages (qui demeureront rares dans sa production) qu’à partir de 1918, lors d’un séjour dans le sud de la France organisé par Zborowski.

modigliani_nuL’exposition rend également hommage à Roger Dutilleul que Modigliani rencontre en 1919 et qui deviendra un collectionneur assidu du peintre (il achète et échange 35 peintures et 26 dessins) et ne cessera de défendre son œuvre bien au-delà de la mort de l’artiste en 1920. La donation par son neveu Jean Masurel de quatorze pièces de la collection est à l’origine de la création du LaM, qui a donc toute légitimité pour monter cette rétrospective, la première d’importance depuis celle organisée au Musée du Luxembourg en 2002. Au-delà de la qualité des pièces présentées, l’exposition est passionnante par son côté didactique qui permet de suivre l’évolution du parcours de l’artiste au travers de ses influences, de ses rencontres…

La visite donne aussi l’occasion de s’attarder dans les collections permanentes du musée, riches de quelques tableaux cubistes de Picasso et de Braque, d’œuvres de Fernand Léger, de Miro, de Jenkins, et de pièces représentatives de l’abstraction lyrique : Manessier, Poliakoff, Staël, Estève, Ubac…

Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

LaM

1, allée du Musée – Villeneuve d’Ascq (59)

Jusqu’au 5 juin 2016

Jean-Yves

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Hubert Robert. Musée du Louvre

Elisabeth Louise Vigée-Lebrun, Hubert Robert, 1788. Huile sur panneau de chêne. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Jean-Gilles Berizzi
Elisabeth Louise Vigée-Lebrun, Hubert Robert, 1788. Huile sur panneau de chêne. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Jean-Gilles Berizzi

Plus qu’à la simple visite d’une exposition, c’est à une profonde immersion dans l’œuvre d’Hubert Robert (1733-1808) que le musée du Louvre nous invite avec cette large rétrospective, qui réunit quelques 140 œuvres de cet artiste complet du siècle des Lumières, peintre, dessinateur, décorateur, architecte, paysagiste.

Il y avait pour le Louvre du temps à rattraper et un hommage à rendre à l’égard de cet ancien directeur du Musée, qui n’avait pas été exposé depuis 1933. Grande figure de son temps, on le décrit comme un homme enjoué, sociable, amateur des plaisirs de la vie. Le parcours s’ouvre d’ailleurs sur un témoignage d’amitié, celui de Louise Elisabeth Vigée Le Brun, qui a fait du peintre un majestueux portrait.

C’est à Rome que tout démarre véritablement. Arrivé en 1754, très vite pensionnaire de l’Académie de France à Rome, avec Fragonard pour compagnon, il étude Piranèse, écume les monuments et dessine la ville éternelle pendant une bonne dizaine d’années, emmagasinant un formidable répertoire de motifs dans lequel il puisera durant toute sa carrière.
Robert Hubert, Projet pour la Transformation de la Grande Galerie. 1796. Huile sur toile. H. 113; l. 143 cm. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi
Robert Hubert, Projet pour la Transformation de la Grande Galerie. 1796. Huile sur toile. H. 113; l. 143 cm. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

Puis c’est Paris, avec son atelier installé dans le Louvre, sa réception à l’Académie royale de peinture dès 1766 grâce à son Port de Ripetta, patchwork associant différents monuments de Rome. La France se pique alors d’Antiquités, Robert est pile dans l’air du temps.

Mais Hubert Robert ne s’est pas contenté de peindre les ruines Antiques. Bien plus, celles-ci ont été une sorte de tremplin pour son imaginaire, sa fantaisie et sa sensibilité. D’un pinceau alerte, il compose, avec un sens du cadrage souvent spectaculaire, presque photographique, des scènes narratives, parfois non dénuées d’humour, et des vues qui paraissent créées de toutes pièces, exceptés les éléments architecturaux qui en sont le point de départ – ou le prétexte ?
Des jeunes filles dansent autour d’un obélisque brisé ; des personnages étendent un linge dans une baie de la basilique Saint-Pierre de Rome ; des visiteurs découvrent des antiquités dans une cavité à la lumière d’une torche ; les cascades de Tivoli ressemblent aux chutes du Niagara.
Hubert Robert, Personnages dans une baie à Saint-Pierre de Rome. 1763. Huile sur bois. H. 48,5; l. 37 cm. Valence, musée de Valence © Musée de Valence, photo Éric Caillet
Hubert Robert, Personnages dans une baie à Saint-Pierre de Rome. 1763. Huile sur bois. H. 48,5; l. 37 cm. Valence, musée de Valence © Musée de Valence, photo Éric Caillet

Sa passion des ruines semble aller au-delà de cette mode de la fin du XVIII°, pour annoncer, dans cet attrait pour ce qui est menacé d’engloutissement, le Romantisme du siècle suivant. Il y a certes ces petites personnages qui ont l’air de s’amuser autour des ruines, ce linge étendu partout, ces petits chiens, autant de clins d’œil à la vie quotidienne comme elle va. Mais le grandiose et le sublime s’effondrent. Rome est incendiée dans un impressionnant brasier. Paris la médiévale est démolie. A Versailles, ce sont les arbres que l’on abat. La Révolution française arrive (par miracle, Hubert Robert lui survit). La Bastille brûle. Les tombeaux des rois sont saccagés.

Témoin d’un passé disparu (la Rome Antique), ce peintre de l’Ancien Régime se fait à la fin du siècle chroniqueur d’un présent qui engloutit une époque. Il y a là comme une mélancolie, une gravité, une méditation, que l’une des adorables sanguines exposées, Jeune homme lisant, appuyé sur un chapiteau corinthien semble résumer, avec, pour le coup, la plus grande simplicité.

Hubert Robert, un peintre visionnaire
TLJ sf le mar., de 9h à 18h, mer. et ven. jusqu’à 21h45
Jusqu’au 30 mai 2016
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Apollinaire. Le regard du poète

Giorgio de Chirico, Portrait de Guillaume Apollinaire
Giorgio de Chirico, Portrait de Guillaume Apollinaire

Rarement on aura vu une exposition aussi vivante, alors même qu’elle vient nous rappeler des événements vieux d’un siècle… Mais combien ces histoires-là ont compté dans l’évolution de l’art : c’est en effet au début du XX° siècle que la peinture dite alors « d’avant-garde » a émergé, s’est développée et en définitive a planté de profondes racines pour autoriser les mouvements ultérieurs.

Ceci fut vrai en peinture et dans les autres domaines de l’art. Ainsi la poésie voit apparaître Guillaume Apollinaire (1880-1918) qui, après avoir fait connaître ses premiers poèmes au tournant du siècle, publie Alcools en 1913 d’où il bannit systématiquement toute ponctuation et joue d’associations novatrices, avant de créer ses premiers « idéogrammes lyriques », baptisés plus tard  Calligrammes.

Pablo Picasso, L'Homme à la guitare
Pablo Picasso, L’Homme à la guitare

Mais ce n’est pas le talent du célèbre poète du Pont Mirabeau que l’exposition organisée au Musée de l’Orangerie (avec la complicité du Musée d’Orsay bien sûr, mais aussi du Musée Picasso, du Centre Pompidou et de la Bibliothèque de la Ville de Paris) vient, s’il en était besoin, réanimer. Elle met en lumière l’activité de critique d’art de Guillaume Apollinaire. Et c’est époustouflant !

Picasso, Braque, Duffy, Derain, le Douanier Rousseau, Chagall, Matisse, Delaunay, Duchamp ils sont tous là ! Dès 1902 et jusqu’à sa mort en 1918, Apollinaire a été un formidable « sponsor » de la révolution picturale. Il a écrit dans des revues, en a fondé, a tenu des chroniques artistiques dans des quotidiens, a écrit des préfaces dans des catalogues d’exposition, a encouragé son ami le galeriste Paul Guillaume à soutenir l’avant-garde. Ami des artistes, peintres mais aussi écrivains comme Alfred Jarry, d’une insatiable curiosité, il n’a cessé de découvrir et de faire connaître.

L’exposition de l’Orangerie restitue cet extraordinaire foisonnement dans tous ses éclats : on a l’impression « d’y être », c’est-à-dire de voir les artistes éclore, les admirations naître, les amitiés de nouer, les collaborations se mettre en place.

Pablo Picasso, Portrait lauré de Guillaume Apollinaire
Pablo Picasso, Portrait lauré de Guillaume Apollinaire

C’est le cubisme qui organise sa première exposition indépendante en 1912 à la galerie La Boétie (Juan Gris, Homme dans un café). C’est Picasso qui s’impose chef de file et fédère autour de lui, Guillaume Apollinaire à ses côtés dès le début et jusqu’au bout (Marie Laurencin, Apollinaire et ses amis, 1909). Ce sont Chagall, de Chirico, Picasso encore, qui font le portrait du poète. Duffy qui illustre Le Bestiaire ou le Cortège d’Orphée. Le Douanier Rousseau qui finalement trouve en Apollinaire un admirateur de poids, lequel lui écrira une Ode et même une Inscription pour le tombeau du peintre Henri Rousseau dans la revue Les Soirées de Paris. Picasso, toujours et encore, qui illustre le frontispice d’Alcools. Ou encore des statuettes africaines qui rappellent le goût partagé avec Paul Guillaume pour les arts primitifs. La dernière section de l’exposition est d’ailleurs consacrée à l’amitié entre les deux hommes, faisant le lien avec la collection permanente du Musée de l’Orangerie.

Marie Laurencin, Groupe d'artistes
Marie Laurencin, Groupe d’artistes

Au total 357 pièces, dont 45 peintures (toutes superbes), une centaine d’œuvres graphiques et une trentaine de sculptures non moins belles (La Sainte Famille de Zadkine, 1912-13), des manuscrits, des publications, des lettres, des cartes, des photos… Le parcours est documenté, diversifié, clair. Construit autour d’un homme et d’une passion – la critique d’art – il fait à la fois converger et se déployer toute une galerie d’artistes et d’œuvres sur différents supports tout en en assurant la cohérence. C’est beau, instructif, dynamique : on adore.

Apollinaire. Le regard du poète

Musée de l’Orangerie

Jardin des Tuileries, côté Seine – Paris 1er

TLJ sauf le mardi et le 1er mai, de 9h à 18h

Entrée 9 euros (TR 6,5 euros)

Jusqu’au 18 juillet 2016

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Le Douanier Rousseau, l’innocence archaïque

rousseau_charmeuse_de_serpentsUn dessin de Giorgio de Chirico montrant Picasso avec trois autres convives dînant sous un tableau du Douanier Rousseau ouvre l’exposition. Ce choix n’a rien de fortuit : Picasso et d’autres modernes tels que Delaunay, Kandinsky, Léger ou encore Morandi ont trouvé dans la création d’Henri Julien Félix Rousseau (1844-1910) une approche plastique nouvelle qui a séduit ceux-là mêmes qui allaient développer une œuvre d’avant-garde.

Au tournant du siècle, le Douanier Rousseau parvient en effet à s’imposer avec un style bien à lui, auquel il est resté fidèle tout au long de sa carrière (qui toutefois ne dura qu’une vingtaine d’années) et qui rend sa peinture immédiatement reconnaissable : un dessin aux contours nets mais souvent « maladroit », avec un affranchissement des lois de la perspective, un goût marqué pour la couleur, une impression de grande fraîcheur.

L’histoire d’Henri Rousseau pourrait évoquer celle d’un peintre du dimanche : ce natif de Laval issu d’une famille modeste, qui s’installe à Paris où il devient commis d’Octroi, commence à peindre en autodidacte à près de 40 ans. Pour toute formation : les conseils de quelques peintres tels que Bourguereau, l’exécution de copies au Louvre, et un travail acharné. C’est ainsi que malgré les moqueries que sa peinture naïve ne manque pas d’attirer, il parvient à exposer régulièrement au Salon des Indépendants à partir de 1886 et à vendre des tableaux, peut-être moins à des collectionneurs (Jean Walter fut l’un d’eux) qu’aux jeunes peintres qui l’admiraient.

rousseau_la_carriole_pere_junierAujourd’hui, le Douanier Rousseau (c’est son ami Alfred Jarry qui l’avait baptisé ainsi) est essentiellement connu pour ses « jungles », grandes compositions mettant en scène des animaux sauvages dans une végétation luxuriante. Celles-ci viennent achever merveilleusement cette belle exposition. Elles donnent d’ailleurs envie de s’y arrêter car elles sont significatives de la perplexité dans laquelle peut plonger l’œuvre du peintre. Car si le choix des sujets peut trouver à s’expliquer (la fascination pour l’exotisme d’un homme qui n’a jamais voyagé et fut marqué par les pavillons de l’Exposition universelle de 1889 et les espèces qu’on pouvait admirer au Jardin des plantes), les expressions recèlent un mystère plus grand.

Les yeux ronds des singes comme tout étonnés ou ceux des fauves dévorant leur proie sont difficiles à déchiffrer, comme le sont les regards des enfants que l’on découvre plus tôt dans le parcours : des expressions si adultes, si mélancoliques, sur ces visages potelés ! Quels sentiments animaient l’âme du Douanier Rousseau, capable de l’auto-portrait le plus « décomplexé », des compositions les plus fantastiques, des paysages les plus poétiques, des portraits de femmes les moins séduisants ?… On aime qu’au-delà d’une apparence naïve tout ne soit pas livré.

rousseau_pecheurs_a_la_ligneLes rapprochements effectués par le Musée d’Orsay et la Fondazione Museil Civici de Venise (où l’exposition fit une première étape l’an dernier) avec des œuvres fort variées au fil des salles thématiques sont souvent parlants bien que parfois surprenants : Picasso, Gauguin, Ernst, Morandi, Bourguereau, Ucello, Carpaccio… Ces rapprochements qui permettent d’éclairer avec davantage de relief l’œuvre du Douanier Rousseau, sont aussi la preuve de son inscription dans une tradition picturale – celle du rejet de l’académisme – et de l’intérêt qu’il y a aujourd’hui à (re)découvrir ses tableaux, y compris en dehors de ses fascinantes « jungles ».

Musée d’Orsay

62 rue de Lille – Paris 7°

Entrée : 12 euros (TR 9 euros)

Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h45

Jusqu’au 17 juillet 2016

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Les robes de Marcel Proust au Palais Galliera

greffulhe_par_ottoAu tournant du siècle la comtesse Greffulhe (1860-1952) régnait sur la vie mondaine et artistique parisienne. Elle fut immortalisée par Marcel Proust à travers le personnage de la duchesse de Guermantes dans La Recherche. D’où le titre de l’exposition à voir jusqu’au 20 mars : La mode retrouvée.

Elisabeth de Riquet de Caraman-Chimay reçoit une éducation cultivée, tournée vers les arts, notamment la musique. Son mariage avec le richissime vicomte Henry Greffulhe, d’un très grand intérêt financier pour cette jeune fille de haute lignée mais sans dot, fait d’elle une épouse trompée et délaissée.

La comtesse Greffulhe consacre alors son énergie et sa position sociale à la promotion des arts, en particulier en levant des fonds pour organiser concerts et ballets : Wagner, Fauré, Isadora Duncan, les Ballets russes de Diaghilev… Elle produit, promeut, monte des festivals, dirige les Chorégies d’Orange… Sa beauté – yeux noirs, allure élancée, taille de guêpe – alliée à son esprit fascinent et son salon est le plus couru de Paris.

worth_robe_byzantineExposées pour la première fois, ses robes témoignent de cet éclat. Si la comtesse poursuivait la plus grande élégance, celle-ci ne lui suffisait pas : il lui fallait en outre l’originalité. Son oncle Robert de Montesquiou raconte : « Elle se faisait montrer, chez les couturiers en renom tout ce qui était en vogue ; puis quand elle devenait certaine que fut épuisé le nombre des élucubrations fraîchement vantées, elle levait la séance, en jetant aux faiseurs, persuadés de son édification et convaincus de leur maîtrise, cette déconcertante conclusion : “Faites-moi tout ce que vous voudrez… qui ne soit pas ça !” ».

Le parcours s’articule dans les cinq espaces du palais Galliera. Dans le salon d’honneur, une lettre de Marcel Proust ébloui par le comtesse adressée à Robert de Montesquiou accueille le visiteur, qui voit  se déployer autour de lui de spectaculaires créations signées Worth, Vitaldi Babani ou Fortuny : « cape russe », « tea-gown » coupée dans tissus de velours ciselé bleu foncé et vert d’inspiration Renaissance, « robe byzantine » en taffetas lamé bordée de zibeline portée à l’occasion du mariage de sa fille…

nina_ricci_ensemble_soir_La grande galerie présente une série de robes du soir à se pâmer. Nina Ricci, Jenny, Jeanne Lanvin… beaucoup de noir et d’ivoire ; légèreté, souplesse, drapé, tombé : tout est infiniment recherché, travaillé. Des accessoires sont à voir dans la petite galerie est : admirez la finesse des broderies ornant les gants, les pochettes à lingerie et les bas. Côté ouest, des photographies de la comtesse (notamment de Otto et Paul Nadar)  permettent de se rendre compte de son allure et de son sens de la mise en scène.

Enfin, on termine en apothéose dans la salle carrée, avec une robe du soir en velours noirs sur laquelle sont appliqués des motifs de lys, emblème de la comtesse Greffulhe depuis que Robert de Montesquiou l’avait dans un poème comparée à cette royale fleur : « beau lys d’argent aux yeux de pistils noirs… ». A la fin de sa vie, l’auteur de La Recherche courait encore après la photo la montrant dans sa divine robe.

La mode retrouvée, Les robes trésors de la comtesse Greffulhe

Palais Galliera

10, avenue Pierre 1er de Serbie – Paris 16°

Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, nocturne le jeudi jsq 21 h

Entrée 8 euros, gratuit pour les – de 18 ans

Jusqu’au 20 mars 2016

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Anselm Kiefer, l’alchimie du livre

anselm_kiefer_nigredoAlors que le Centre Pompidou propose jusqu’au 18 avril une large exposition consacrée à Anselm Kiefer, la Bibliothèque nationale de France organise la première rétrospective relative aux livres du célèbre artiste allemand, installé en France depuis 1993.

Il faut faire vite pour aller la voir, car elle se termine le 7 février. Or, elle est fondamentale pour mieux comprendre l’œuvre de cet immense artiste contemporain, qui avait fait l’objet de la première édition de Monumenta en 2007.

Le livre constitue en effet pour le peintre et plasticien né en 1945 à la fois la source d’inspiration et le travail premier. Même s’il les expose peu, et est bien davantage connu pour ses tableaux et ses sculptures, les livres constituent « la base » de ses productions. C’est par des livres qu’il a commencé à créer, à la fin des années 1960, et il n’a depuis jamais cessé d’en réaliser. Oeuvre autonome ou intégrée à certaines de ses installations et peintures, le livre est omniprésent. Il l’est aussi dans toute sa création en tant que source d’inspiration. Artiste de la littérature et de la mémoire, il puise dans les mythes antiques, l’Ancien Testament, les philosophes, les historiens, les poètes.

anselm_kiefer_nigredo_detailL’exposition de la BNF met magnifiquement en évidence la force du livre chez Anselm Kiefer. L’artiste lui-même en a conçu la scénographie. Elle est très convaincante : on pénètre dans le vaste espace comme dans une basilique. En entrant, tout de suite à droite, un immense tableau (La clairière) et, tout au fond, en vis-à-vis, un autre tout aussi monumental (Le livre) lui répond, placé comme un tableau d’autel. Un livre de plomb ouvert y est accroché, surplombant un paysage maritime, le tout à couper le souffle. Sur le premier tableau, en revanche, les livres qui y sont suspendus sont brûlés… mais l’œuvre, pour enfermante quelle soit avec son paysage de forêt, laisse surgir l’espoir par la lueur d’une clairière scintillante.

Entre ces deux extrémités, dans les « chapelles » sur les côtés, sont d’abord installés deux cabinets de lecture, où l’on découvre les premiers livres d’Anselm Kieffer, qui étaient encore de papier, avec des collages photographiques ; puis des ouvrages récents, où l’on voit des livres de plomb intégrant toutes sortes de matériaux (terre, paille, plantes séchées, bois calcinés, cheveux…).

anselm_kiefer_cabinet_de_lectureY sont ensuite exposées d’époustouflantes sculptures, telles Nigredo (où livres de plomb et chaises de jardin pliées sont superposées et surplombées d’une balance), La vie secrète des plantes (représentation céleste), Sappho, Praxilla et Erinna (femmes en robes d’époque dont les têtes sont des livres), La brisure des vases (bibliothèque de plomb et de verre), Le Rhin (livre monumental ouvert), …

Au milieu, dans « la nef », de nombreux livres, notamment des années 1990 et 2000. Les femmes, la littérature, l’Histoire y occupent une place de choix : Les femmes de la Révolution de Jules Michelet, Les reines de France, Les filles de Lilith, Les femmes des Ruines, ainsi que des dessins en hommage aux dessins érotiques d’Auguste Rodin ; mais aussi les poètes, en particulier Paul Celan (Le champ du Cèdre, évocation des camps de concentration).

anselm_kiefer_le_livreMais Anselm Kiefer n’est pas uniquement l’artiste qui a interrogé la mémoire allemande et la possibilité de créer après l’Holocauste. Il est celui qui embrasse l’Histoire de manière plus universelle, convoquant les éléments (la terre, les végétaux, la mer, les étoiles), les croyances, les savoirs et la littérature. Il sèche, brûle, rouille, brise et montre les ruines, rappelant les destructions passées et les menaces actuelles. Mais dans le même temps, il sauve des traces, transforme, réactive l’espoir et montre la profondeur de la mémoire, l’immensité du monde et la persistance folle de l’écrit.

L’alchimie du livre, Anselm Kiefer

Bibliothèque nationale de France

Site François mitterrand

Mardi – samedi de 10h à 19h
Dimanche de 13h à 19h (fermeture des caisses à 18h)

Entrée 9 €, tarif réduit : 7 €

Jusqu’au 7 février 2016

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